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L’Italie injecte de la flexibilité dans son droit du travail

À la une | publié le : 02.02.2015 | Anne Le Nir

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L’Italie injecte de la flexibilité dans son droit du travail

Crédit photo Anne Le Nir

Le Jobs Act s’attaque au droit du licenciement pour booster la mobilité et l’embauche.

Erika Monti, 33 ans, est esthéticienne. Avec dix ans d’expérience, elle doit se contenter d’un contrat à mi-temps alors qu’elle travaille dix heures par jour dans un institut de beauté, à Rome. « Pour payer moins de charges salariales, ma patronne me rémunère en partie au noir. Je suis dans cette situation depuis deux ans et mon salaire – 1 200 euros – ne m’a pas été versé depuis trois mois. » Erika supporte ces conditions, communes à de nombreux travailleurs, car elle n’a pas d’autres solutions. « Si rien ne s’arrange, je demanderai l’aide d’un avocat, mais je ne me fais pas d’illusions. Mon employeuse croule sous les dettes. Avant d’être dédommagée j’aurai atteint l’âge de la retraite ! » L’espoir d’Erika repose sur la réforme Jobs Act adoptée le 3 décembre, qui devrait favoriser les embauches, « dans le respect de la légalité », dit-elle.

De fait, il y a urgence. En Italie, le taux de chômage atteint 13,4 % de la population active, avec un pic de 43,9 % chez les 15-24 ans. Selon l’Institut national de statistique, ces chiffres représentent « un record négatif jamais battu depuis 1977 ». Pour relancer l’emploi, le gouvernement de coalition dirigé par Matteo Renzi a donc concocté une réforme fondée sur la flexi-sécurité. Elle est la première à s’attaquer à l’article 18 du Code du travail (adopté en 1971) qui protège les salariés d’entreprises de plus de 15 employés des licenciements abusifs. Les entreprises n’auront plus l’obligation de réintégration (sauf en cas de racisme, sexisme ou homophobie) mais seront tenues de verser des indemnités, de quatre à vingt-quatre mois de salaire, en fonction de l’ancienneté. Grâce à l’introduction de ce CDI dit « à protection croissante », les patrons vont bénéficier d’allégements en matière de charges salariales durant les trois premières années d’embauche.

« Avec un CDI en poche, les jeunes pourront établir des plans de carrière et de vie qu’ils n’arrivaient même pas à imaginer quand ils travaillaient en CDD, renouvelés de mois en mois », affirme Maurizio Ferrera, professeur de science politique à l’université de Milan. Un point de vue que conteste la plus grande centrale syndicale, la CGIL. « On est loin de la révolution copernicienne annoncée par Matteo Renzi, s’irrite sa secrétaire générale, Susanna Camusso. L’abrogation quasi totale de l’article 18 enterre la garantie d’un travail stable et généralise la précarité ; rien n’est fait pour relancer la productivité, après trois années consécutives de récession. »

ABATTEMENTS DE CHARGES

Plus modéré, le syndicat UIL a fait ses calculs et estime que le Jobs Act offre des opportunités concrètes. Selon un rapport publié par son centre d’études, actuellement, un salarié en CDI qui gagne 22 000 euros brut par an coûte 31 790 euros à son employeur. Avec le CDI à protection croissante, le coût pour l’entreprise devrait diminuer de 26,2 % grâce à l’abattement des charges salariales. Pour Fabio Franceschi, patron de Grafica Veneta, imprimerie située en Vénétie spécialisée dans les livres et les magazines (plus de 200 salariés), les calculs sont aussi déjà faits. « Nous obtiendrons des dégrèvements fiscaux. J’ai besoin d’effectuer de nouveaux investissements, donc je vais embaucher 10 employés en CDI dans un premier temps, et je prévois d’en recruter 40 de plus d’ici à quatre mois. »

Pour donner un avis définitif, la Confindustria, le Medef italien, attend la promulgation de tous les décrets d’application. Seuls ceux sur le CDI à protection croissante et l’assurance chômage ont été publiés. Le gouvernement a jusqu’à mai 2015 pour les quatre autres, sur la protection universelle pour la maternité, la réorganisation de l’Agence nationale pour l’emploi, la simplification des formes contractuelles et l’introduction d’un salaire horaire « à titre expérimental ». Giorgio Squinzi, président de la Confindustria, semble satisfait : « Le Jobs Act est une réforme du travail incisive et équilibrée. Elle donne plus de souplesse aux entreprises et améliore la protection sociale grâce à la nouvelle assurance chômage dont les travailleurs, précaires ou pas, pourront bénéficier. » Et de préciser : « La modification de l’article 18 va permettre aux investisseurs étrangers de ne plus craindre d’être liés à vie aux employés qu’ils embauchent en Italie, c’est très important pour la relance du marché de l’emploi. »

Auteur

  • Anne Le Nir