logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

À la une

Europe cherche emplois à tout prix

À la une | publié le : 02.02.2015 | Manuel Jardinaud

Image

Europe cherche emplois à tout prix

Crédit photo Manuel Jardinaud

Entre traitement social et baisses de charges, le gouvernement hésite dans sa stratégie antichômage. Celle-ci s’avère peu efficace pour l’instant. Et à contre-courant dans l’UE.

Le dernier jeudi de chaque mois, un étrange rituel anime les observateurs du chômage en France. À 18 heures tapantes, ils attendent, fébriles, scrutant leur fil Twitter ou les chaînes d’info. L’objet de leur impatience ? L’annonce des chiffres des actifs inscrits à Pôle emploi. Car il s’agit bien du juge de paix mensuel de la politique de l’emploi menée par le gouvernement. N’en déplaise au ministre du Travail, François Rebsamen, qui refuse de les commenter. Si l’on se fie à ce seul indicateur, la stratégie engagée par François Hollande depuis son élection a échoué.

Entre son accession à la présidence de la République et le mois de novembre 2014, le nombre de demandeurs d’emploi tenus d’effectuer des actes positifs de recherche a augmenté de 829 200 pour s’établir à 5 176 300 inscrits. Une hausse vertigineuse. L’inversion de la courbe du chômage, promise pour la fin 2013, n’est plus qu’une lointaine chimère. Pour Mathieu Plane, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques, le constat est simple : « Les politiques de l’emploi ne sont pas en capacité de suppléer la faible croissance. » Selon l’Insee, celle-ci devrait atteindre un petit 0,1 % au dernier trimestre 2014, pas loin de la stagnation. Résultat, le taux de chômage s’établit à 10,4 % de la population active, à seulement 0,4 point du record de 1997.

CONTRATS AIDÉS.

Pourtant, le gouvernement ne chôme pas, lui. Pour conjurer la crise économique persistante, il a d’abord pris des mesures conjoncturelles. Les emplois d’avenir en sont la locomotive. Depuis leur lancement, en novembre 2012, 190 000 ont été prescrits, dont 95 000 l’an passé. Au total, l’Insee chiffre à 380 000 le nombre de personnes entrées dans un des nombreux dispositifs de contrats aidés en 2014. Parmi lesquels quelques milliers seulement de contrats de génération. S’y ajoute une énième mobilisation pour la formation des chômeurs, avec 30 000 places financées en urgence en 2013 et 100 000 en 2014.

Si l’État – avec les régions et les branches – a cassé sa tirelire pour financer ce classique traitement social du chômage, les analystes se querellent toujours sur son utilité. Jean-François Ouvrard, directeur des études de COE-Rexecode, en reconnaît l’effet d’amortisseur, mais évoque « une passerelle limitée vers l’emploi ». Et Francis Kramarz, directeur du Centre de recherche en économie et statistique, déplore l’effet discriminant des emplois d’avenir qui « obèrent le futur des jeunes sur le marché du travail ». « Nous n’avons pas le choix », juge pourtant Mathieu Plane, qui y voit « un levier vers un emploi durable en plus de l’effet contracyclique indéniable ».

Cette politique d’activation montre vite ses limites. Lesquelles ont des visages : les 2 500 licenciés de Mory Ducros (voir également page 32), les 225 de Gad, les 700 de La Redoute… Sans parler des ruptures conventionnelles, qui atteignent des records. Tous les économistes s’accordent pour dire que la « vraie » lutte contre le chômage ne se joue pas sur ces politiques d’emploi. Mais plutôt sur le soutien à l’activité. D’où le second étage de la fusée gouvernementale, tardivement mis sur le pas de tir l’an dernier. Premier dispositif, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Opérationnel depuis janvier 2013, il permet aux employeurs de bénéficier d’une économie d’impôt équivalente, depuis 2014, à 6 % de leur masse salariale sur les revenus de leurs salariés inférieurs ou égaux à 2,5 fois le smic. Depuis le début de l’année s’y greffe le pacte de responsabilité et de solidarité. Il assure aux entreprises un allégement de cotisations sociales jusqu’à 1,6 smic ainsi que la suppression progressive d’un impôt sur la production (la C3S). En vitesse de croisière, ces deux nouveautés pèseront 26,5 milliards d’euros d’allégements sociaux et fiscaux.

MAUVAIS CIBLAGE.

Navires amiraux de la relance de l’emploi, les deux outils divisent eux aussi les experts. « Le pacte rate sa cible, affirme Mireille Bruyère, maître de conférences en économie à Toulouse 2 et membre des Économistes atterrés. Il concentre la baisse des cotisations sur les bas salaires, qu’on trouve essentiellement dans des secteurs peu exposés à la compétitivité internationale. » Pour elle, l’effet macroéconomique sera donc faible, tout comme celui sur l’emploi.

Francis Kramarz dénonce également le mauvais ciblage des deux mesures : « Les allégements fonctionnent seulement autour du smic pour les salariés les moins qualifiés. » Leur portée est moindre pour les autres. Quant à Clément Carbonnier, maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise, il doute de l’efficacité globale d’une telle stratégie. Il livre dans une note* une analyse des exonérations sociales (principalement « Fillon ») et fiscales (services à la personne) : sur 25 milliards d’euros, 6 milliards ont un effet nul sur l’emploi. Sa conclusion ? Il faut concentrer les allégements sur le smic et investir le surplus ailleurs, notamment dans l’éducation des jeunes enfants.

Comme pour répondre aux sceptiques, l’OCDE a chiffré, en octobre 2014, l’effet du CICE et du pacte : « Au bout de cinq ans, les deux dispositifs auront un effet positif de 0,5 % sur le PIB français via la stimulation de la demande de travail malgré une baisse de productivité due à l’embauche de personnes peu qualifiées », résume l’économiste Antoine Goujard, qui a participé à l’étude. L’Insee évalue les effets du CICE à 10 000 postes créés en plus chaque trimestre en 2015. Le pacte aurait un effet similaire. Des perspectives somme toute assez modestes, qui ne feront pas baisser le taux de chômage de manière significative alors que la population active continue d’augmenter dans l’Hexagone.

Reste à François Hollande une dernière carte pour stimuler l’économie. Même si, début janvier, il confessait déjà qu’il ne fallait pas la considérer comme « la loi du siècle »… Officiellement baptisé « pour la croissance et l’activité », le projet de loi Macron se veut une tentative plus libérale visant à desserrer les contraintes qui freineraient l’emploi. Par exemple sur le travail dominical. Sans convaincre les économistes, quel que soit leur bord. « Il n’y a pas eu d’étude d’impact sérieuse. Ces multiples petites mesures auront un effet marginal. Ce sont plus des réformes sociétales qu’économiques », résume Mathieu Plane.

DIALOGUE SOCIAL BLOQUÉ.

Dans leur ensemble, les observateurs demeurent circonspects sur la stratégie gouvernementale. Ils rappellent l’importance de facteurs extérieurs sur l’activité économique, tels le prix du baril de brut, la force de l’euro sur le marché des changes et le cadre budgétaire européen. Nombreux jugent quand même que tout n’a pas été fait sur le plan national. En particulier pour refondre les relations contractuelles de travail. L’OCDE, dans sa dernière note sur la France d’octobre 2014, réitère ses propositions pour un assouplissement des règles de licenciement. Le Medef plaide de longue date pour une refonte du Code du travail quand les syndicats s’y opposent. Sur ces sujets, le dialogue social « à la française » est bloqué.

Aucune initiative ne parvient à réduire la dualité sur le marché du travail. Le nombre de recrutements en CDD explose. En 2013, dans le secteur marchand, la part des contrats courts dans les embauches s’est élevée à 83 %. Un record historique qui met en lumière l’opposition grandissante entre insiders en CDI et outsiders en précarité récurrente. Selon une étude de Pôle emploi datant de décembre 2014, ils sont 3 millions à faire des allers-retours réguliers, parfois pour des durées très courtes, entre chômage et emploi.

Le phénomène n’est pas franco-français. Nos plus proches voisins, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni ont également un marché du travail à plusieurs vitesses, marqué par la précarisation d’une partie de leur population active. Seule différence avec l’Hexagone, ces pays ont, eux, tous entrepris des réformes de fond pour tenter de desserrer les freins à l’embauche. Des expériences, pas toutes réussies, qui mériteraient au moins l’attention de François Hollande et de Manuel Valls. Et des partenaires sociaux.

* « Exonérations ou investissement social ? Une évaluation du coût d’opportunité de la stratégie française pour l’emploi », avec Bruno Palier et Michaël Zemmour. Sciences po, Liepp Working Paper n° 34, novembre 2014.

La “vieille Europe” inégale face au chômage

En France, la progression permanente du chômage touche particulièrement les jeunes. Selon l’Insee, fin 2014, 23,7 % des actifs de 15 à 24 ans sont sans travail. Les emplois d’avenir n’ont rien réglé.

L’Allemagne affiche un chômage historiquement bas, notamment avec la mise en place des minijobs. Un nouveau défi s’annonce pourtant pour le pays : stopper la hausse des inégalités.

L’explosion du chômage en Espagne a été stoppée fin 2013. Au prix d’une réforme radicale du marché du travail facilitant les licenciements et ramenant la négociation sociale au niveau de l’entreprise.

L’Italie ne réussit pas à endiguer l’envolée du chômage. D’où le lancement du Jobs Act, loi de dérégulation d’un marché du travail resté très protecteur pour les salariés. L’enjeu est immense.

Le Royaume-Uni affiche une courbe des plus séduisantes. Derrière ces résultats se cache une politique stricte avec le plafonnement des aides sociales et les contrats « zéro heure ».

Décevant dialogue social

Depuis son élection, François Hollande a fourni du travail… aux partenaires sociaux. Indéniablement. Résultat : deux accords nationaux interprofessionnels (ANI) conclus dans la douleur. Le premier, en janvier 2013, a donné naissance à la loi de sécurisation de l’emploi, en juin 2013. Le second, signé en décembre de la même année, s’est mué en réforme de la formation professionnelle, votée en mars 2014. Si le second ANI ne peut aujourd’hui être évalué, sa mise en œuvre réelle datant du mois dernier, le premier n’a pas donné les effets escomptés. La taxation des CDD ?

Elle n’a en rien fait reculer le recours à ce type de contrats. La réforme du temps partiel, avec ses multiples exceptions ? Elle ne joue pas davantage son rôle de régulateur du travail précaire. Les accords de maintien dans l’emploi, très complexes à mettre en œuvre ?

Ils sont boudés par les employeurs. À tel point que Manuel Valls lui-même souhaite amender ce dispositif pour le rendre plus souple. Au risque de mécontenter les centra les syndicales, de plus en plus critiques vis-à-vis du penchant patronal du gouvernement. En bref, 2015 s’annonce encore riche en négociations ardues.

Auteur

  • Manuel Jardinaud