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Les régions prennent le pouvoir

Dossier | publié le : 29.12.2014 | Anne-Cécile Geoffroy, Valérie Grasset-Morel, Manuel Jardinaud

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Répartition de la taxe

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy, Valérie Grasset-Morel, Manuel Jardinaud

La réforme donne aux régions la haute main sur les fonds alloués à l’apprentissage. Un pari difficile avec des budgets resserrés. Surtout quand l’objectif affiché est de former un demi-million d’apprentis à l’horizon 2017.

C’est la SNCF qui doit se frotter les mains ! Avec la réforme du financement de l’apprentissage, les patrons des organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage, les Octa, vont tous devoir s’abonner au programme Grand Voyageur. « Nous cherchons à contractualiser avec chaque conseil régional, explique Jean-Jacques Dijoux, le directeur général d’Agefa PME, l’Octa de la CGPME. L’objectif est d’inscrire notre politique en faveur de l’enseignement professionnel et de l’apprentissage dans les territoires. » Et il n’est pas le seul ces derniers mois à avoir pris son bâton de pèlerin pour resserrer les liens avec les régions, consacrées pilotes du système d’apprentissage.

Pas moins de trois textes législatifs, dont la loi du 5 mars 2014, ont totalement chamboulé le système pour donner aux régions les moyens de financer leur politique d’apprentissage. Jusqu’à présent, elles partageaient cette compétence avec les branches professionnelles et les chambres consulaires (chambre de commerce, chambre des métiers, chambre d’agriculture), historiquement chargées du développement de l’apprentissage. Désormais, tous les ans, le 30 avril, 51 % du produit de la taxe tomberont dans l’escarcelle des régions, auxquels s’ajouteront 146 millions d’euros provenant de la… taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. Une manne de 1,5 milliard d’euros qui doit leur permettre de piloter la carte des formations, d’autoriser ou non les ouvertures de centres de formation en lien avec les besoins du territoire, d’en rénover d’autres… et d’atteindre l’objectif de 500 000 apprentis formés en 2017, voulu et répété par l’exécutif.

Pour le moment, tout le petit monde de l’apprentissage est dans l’expectative des effets de ce grand chambardement (lire également l’article page 52). D’abord parce que les finances publiques étant ce qu’elles sont, les dotations de l’État versées aux régions sont sérieusement rabotées. En 2015, elles vont diminuer de 451 millions d’euros. « Les régions avec lesquelles nous travaillons ne sont pas dans l’euphorie mais plutôt attentistes. Ce que l’État leur donne d’un côté, il leur reprend de l’autre, pointe Didier Guinaudie, délégué général d’ASP, un collecteur adossé à l’enseignement catholique sous contrat. Tout le monde est dans le flou. On a du mal à réaliser les simulations que nous demandent les entreprises afin de savoir comment leur argent va être utilisé pour former les jeunes. » Et Jean-Jacques Dijoux, à l’Agefa PME, d’ajouter : « Quand on explique à une région que l’on cherche à fédérer nos CFA existants, nous sommes plutôt bien accueillis. Dès que l’on parle de création de centre, on sent plus de retenue. »

Contractualiser

Ce que chacun cherche à savoir, c’est si les régions vont jouer le jeu et ne pas raboter à leur tour le budget consacré à l’apprentissage en utilisant cette fraction régionale pour financer des actions qu’elles finançaient déjà par ailleurs, telles des aides à la mobilité, au logement, à la formation, et dont bénéficiaient les jeunes apprentis. Car la loi ne contraint en rien les régions sur le sujet. Malgré les messages rassurants de l’Association des régions de France et la promesse du ministère du Travail de mettre en place un système de traçabilité via les comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles, les organismes collecteurs comme les centres de formation cherchent à « sécuriser » au mieux l’utilisation des fonds. La CCI Paris Ile-de-France vient ainsi de contractualiser avec la région capitale. Les deux partenaires s’engagent à augmenter le nombre d’apprentis formés par les écoles de la chambre de 12 à 14 % dans les trois prochaines années et à consacrer 500 millions d’euros à cette voie de formation.

« La région s’est engagée à maintenir le même niveau de dotations. C’est la première fois que nous entrons dans une logique d’engagement pluriannuel », se félicite Étienne Guyot, directeur général de la CCI Paris Ile-de-France.

En retirant aux branches professionnelles et aux chambres consulaires la responsabilité du développement de l’apprentissage, la loi a surtout bridé leurs appareils de formation. « Aujourd’hui, une branche ou une entreprise qui a les moyens d’ouvrir un établissement professionnel ne peut le faire sans l’accord de la région ! Même si celle-ci ne verse pas un euro dans le projet », pointe Florence Poivey, présidente de la Fédération de la plasturgie, qui milite pour que les entreprises retrouvent leur liberté d’investissement en matière d’apprentissage.

Jusqu’à présent, cette liberté passait essentiellement par les Octa. Ces derniers pouvaient utiliser les fonds non fléchés par les entreprises pour financer les CFA qu’ils souhaitaient soutenir. Ils pourront encore utiliser cette part de la collecte (26 %) mais sous l’oeil des régions. À la mi-mai, ils devront informer chaque région du montant des sommes collectées sur leur territoire et de la façon dont ils ont affecté aux établissements cette fraction de la taxe. Les régions donneront ou pas leur aval sans que cela contraigne les Octa. Une drôle de fonction de régulation qui va certainement créer des situations de tension. Car pour les collecteurs, qu’ils soient consulaires ou de branche, c’est de la survie de leur appareil de formation dont il s’agira avant tout. « Chacun privilégiera son réseau. L’enseignement catholique financera ses établissements en priorité », reconnaît Didier Guinaudie, délégué général de l’ASP.

Budget hors quota en baisse

La réforme met surtout en péril les établissements d’enseignement technique et professionnel qui auparavant se partageaient le « hors-quota » de la taxe d’apprentissage. Avant la réforme, cela représentait 43 % de la taxe. Désormais, les établissements devront se partager 23 % du produit de la collecte. « Certains vont perdre 30 à 50 % des sommes habituel lement collectées, annonce Jacques Potdevin, administrateur de l’Union nationale de l’enseignement technique privé, une association qui rassemble 800 établissements et forme 200 000 élèves du CAP à la licence professionnelle. Ils n’auront plus les moyens d’investir dans des machines-outils, des logiciels professionnels pour former leurs jeunes aux besoins des entreprises. C’est la qualité des formations qui est mise en péril. » Et par ricochet l’insertion professionnelle de ces jeunes.

A.-C.G.

Allemagne : les entreprises financent 50 % du système

« Il n’existe aucune revendication des entreprises à être aidées par l’État pour embaucher plus d’apprentis, même lorsqu’elles sont en difficulté », explique Mario Patuzzi, responsable de la formation professionnelle de la grande confédération syndicale DGB. Sur ce sujet, aucune différence de point de vue avec le patronat : tant elle est puissamment ancrée dans la culture, la formation professionnelle des jeunes est princi palement l’affaire des entreprises. Financièrement, cela s’illustre par un partage quasi égal de la dépense entre les employeurs et l’État fédéral. Un vrai système dual, même en matière budgétaire. Selon le rapport 2013-2014 de l’Office fédéral de la statistique, les 450 000 entreprises accueillant au moins un apprenti ont dépensé 5,6 milliards d’euros net, soit en moyenne 15000 euros par apprenti, dont 46 % pour leur rémunération. Selon les statistiques officielles, 76 % des investissements pour la formation professionnelle des jeunes sont amortis par leur contribution à la production. L’État fédéral ne verse aucune subvention pour aider les employeurs à payer les jeunes en apprentissage. En revanche, il est très impliqué budgétairement sur le volet théorique de la formation. En 2013, il a injecté 5,9 milliards d’euros dans le système dual, dont 3,2 milliards proviennent des Länder pour financer les 1600 écoles professionnelles qui accueillent les apprentis, en général pour un tiers de temps. M.J.

Répartition de la taxe

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy, Valérie Grasset-Morel, Manuel Jardinaud