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Olivier Aizac veille sur l’esprit start-up du Boncoin

Décodages | publié le : 29.12.2014 | Sabine Germain

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Olivier Aizac veille sur l’esprit start-up du Boncoin

Crédit photo Sabine Germain

En huit ans, Leboncoin.fr est devenu un phénomène de société. Parti de rien, le site d’annonces emploie déjà 250 salariés et prévoit d’en recruter 100 de plus cette année. Un défi pour son jeune patron qui veut structurer l’entreprise tout en préservant son âme de pionnière.

Tous les signes extérieurs de « coolitude » sont là : tutoiement, jean et chemise à tous les étages, baby-foot et jeux vidéo dans les espaces de détente… Mais chez Leboncoin, il y a du volontarisme dans la convivialité. À l’image du café, à prendre obligatoirement « chez Georgette », la cafétéria branchée située au sous-sol du magnifique immeuble haussmannien qui accueille les équipes. « Il y a deux ans, nous sommes passés d’un espace de travail unique à 11 plateaux répartis sur cinq étages », explique Alexandre Collinet, directeur général adjoint chargé des finances et des ressources humaines. Quand il a été recruté, début 2010, l’entreprise ne comptait qu’une quinzaine de salariés, contre 250 aujourd’hui. « Le site Web, lui, commençait déjà à être gros. Il fallait instaurer des règles et trouver des valeurs communes pour accompagner la croissance », raconte le DGA.

C’est tout l’enjeu de Leboncoin.fr, un site d’annonces lancé en 2006 par le groupe de médias norvégien Schibsted. Gérer une croissance hors norme en préservant un esprit start-up et franchouillard, innovant et ancré dans la réalité, exigeant et cool. La quadrature du cercle ? Pas pour Olivier Aizac, pur produit de l’économie numérique, qui a plongé dans le tourbillon start-up dès sa sortie de l’Essec, en 1998. Huit ans plus tard, il rejoint l’entreprise pour adapter le site d’annonces suédois Blocket.se au marché français. Et en faire l’un des fleurons du groupe Schibsted : avec 26 millions d’annonces, 6 millions de visiteurs uniques et 240 millions de pages vues par jour, Leboncoin.fr est le deuxième site le plus fréquenté par les Français, loin derrière Facebook mais devant Google. « On est à la croisée de deux courants. Le management scandinave, avec des hiérarchies plates, et la nouvelle économie, où les rapports humains sont très différents de ceux de l’économie traditionnelle », explique-t-il.

1 Faire du pragmatisme un moteur

Sous ses airs simples et son look « terroir », Leboncoin. fr a cassé tous les codes des sites d’annonces. Mais sans le faire exprès. Au départ, la gratuité des annonces se voulait temporaire, le temps de se faire connaître. Mais elle a forgé son succès. C’est ainsi, de façon très pragmatique, que l’entreprise a inventé le modèle freemium : free comme gratuit et premium car les annonces sont validées avant publication. « Il nous a fallu trouver d’autres sources de revenus », explique Antoine Jouteau, l’autre directeur général adjoint, chargé du marketing et des ventes. C’est-à-dire de la pub, des options payantes et des services proposés aux professionnels.

Des offres commercialisées par la centaine de salariés du site de Montceau-les-Mines, là encore de façon très pragmatique. Après avoir adossé son embryon de force de vente à la plate-forme Webhelp de Bourgogne, Leboncoin a cédé aux sirènes des élus locaux : la région et la communauté urbaine Creusot-Montceau ont investi plus de 1,1 million d’euros dans la construction d’une plate-forme de 740 mètres carrés louée à cette jeune entreprise. Un Messie pour cette vallée en pleine désindustrialisation, trop contente d’accueillir une centaine d’emplois tertiaires.

Pragmatisme, aussi, dans la gestion des équipes de modération. L’activité est entièrement sous-traitée à un opérateur suédois, Besedo, qui travaille notamment pour Meetic et eBay à partir de cinq plates-formes implantées à Bogota, Kuala Lumpur, Malte, Stockholm et l’île Maurice. « La modération est une activité spécifique, qui ne relève pas de notre cœur de métier », se justifie Olivier Aizac. Prédéterminées, les règles de validation des annonces sont mises en œuvre par les salariés de Besedo : des étudiants francophones qui passent quelques mois à Malte pour prendre des cours d’anglais et arrondissent leurs fins de mois en travaillant à temps partiel sur la base de 850 euros mensuels pour 40 heures hebdomadaires. « L’offshoring est très répandu dans cette activité, explique Antoine Jouteau. La modération nous coûterait beaucoup moins cher au Maroc ou au Cameroun. Malte nous a semblé le meilleur compromis qualité/coût. » Une partie des équipes de modération devrait toutefois être prochainement rapatriée au siège parisien : « Parce que nous sommes toujours contents de créer de l’emploi en France, poursuit Antoine Jouteau. Et parce que les observations faites par les modérateurs enrichissent notre réflexion. »

2 Gérer la croissance

Le directeur général et ses deux adjoints, Alexandre Collinet et Antoine Jouteau, ont beau surjouer la cool attitude devant les journalistes, leur proximité avec l’ensemble des équipes est palpable. Mais ils ont conscience d’aborder un virage dangereux : quand une société compte 10 salariés, la proximité est naturelle ; à 250 ou 300, elle se travaille. « Si je vous disais que je connais les 250 personnes de la société par leur prénom, je vous mentirais, avoue Olivier Aizac. Mais je suis convaincu que la proximité est d’abord une question d’état d’esprit. » Comment ne pas diluer la culture de la proximité et de l’innovation dans la croissance ? C’est le principal défi du Boncoin, qui reconnaît toutefois une vertu à cette situation : elle favorise la mobilité. Ici, 90 % des postes d’encadrement sont pourvus en interne. Les recrutements externes ne sont envisagés que pour des expertises pointues. En business intelligence ou en services mobiles, par exemple.

Après avoir confié la quasi-totalité des recrutements à des cabinets spécialisés, Leboncoin diversifie ses sources d’embauche : un tiers pour les cabinets, un tiers de cooptation – encouragée de façon symbolique à hauteur de 200 euros en bons d’achat – et, puisqu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, un tiers d’annonces sur Leboncoin.fr. L’entreprise s’apprête d’ailleurs à lancer un site corporate et entend travailler sa marque employeur. « Pour attirer des profils issus des grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce, ceux-là même qui ne nous ont pas calculés pendant des années », plaisante le patron.

Pas question, pour autant, de se laisser aller à la surenchère salariale : la grille de rémunérations est strictement calée sur la médiane du benchmark réalisé chaque année dans la branche. « Nos collaborateurs peuvent facilement trouver de meilleurs salaires ailleurs, estime Alexandre Collinet. Nous voulons les retenir par un package global : le salaire, mais aussi l’ambiance de travail, l’intérêt des missions, les perspectives d’évolution.  » Auxquels s’ajoute, quand même, l’équivalent de deux mois et demi de salaire versés chaque année au titre de la participation.

3 « processer » l’innovation

Le recrutement des « techos » (ingénieurs et développeurs informatiques) est aujourd’hui érigé en priorité. Le site a en effet besoin de revoir sa plate-forme de fond en comble : l’équipe technique, composée actuellement de 70 personnes, 42 devrait pratiquement doubler. « Quand j’ai été recruté par Leboncoin, en mars 2013, je trouvais son site performant et rapide, explique Jean-Louis Bergamo, responsable infrastructure. Mais après huit ans de croissance ultrarapide, il accumule une dette technique. Il faut donc le repenser. » Et développer les fonctionnalités pour mobiles : une mission confiée à Pawou Abalo, 32 ans, l’un des « anciens » de l’équipe technique avec ses cinq ans de maison. « J’ai vraiment grandi avec Leboncoin. On m’a confié les développements mobiles alors que cela n’existait même pas quand j’ai fait mes études d’ingénieur », apprécie le trentenaire, qui anime désormais une équipe de huit personnes.

Le directeur général adjoint chargé des finances et des ressources humaines a fait de l’innovation sa priorité. « Internet est un immense cimetière des éléphants. On doit être capable de se réinventer constamment si l’on ne veut pas mourir », justifie-t-il. Alexandre Collinet s’est mis en tête de la « processer » et de lutter contre « le ma nagement killer d’idées, qui consiste à rejeter le risque, les erreurs et le travail collaboratif ». La démarche, qu’il présente avec conviction, PowerPoint à l’appui, reste encore floue aux yeux des salariés : « Processer l’innovation, c’est plus facile à dire qu’à faire, observe Jean-Louis Bergamo. Nous ne sommes qu’au début de la démarche. Mais il y a une vraie prise de conscience. » Cette culture de l’innovation s’instille doucement, via notamment l’organisation d’un challenge Innovation et d’un… « hackathon ». Un marathon du hack, qui peut durer une journée, une nuit ou un week-end, au cours duquel des développeurs informatiques s’affrontent par équipes autour d’un projet. « Il faut aussi que l’on apprenne à se poser, à se couper du quotidien et à aller voir ce qui se passe ailleurs », commente Pawou Abalo. Comme sont invités à le faire régulièrement les salariés de Google et de Facebook…

4 Maintenir la cohésion des troupes

Les 250 salariés de Leboncoin.fr sont à 59 % des cadres et à 41 % des employés. « Mais 90 % du collège cadres est à Paris et 90 % du collège employés à Montceau-les-Mines », observe Frédéric Rousseau, directeur du site de Bourgogne. Sur les 100 salariés de cette plate-forme commerciale, 70 % sont des vendeurs sédentaires qui passent leur journée au téléphone pour proposer des services ou des bandeaux publicitaires à des PME. Les grands annonceurs nationaux, eux, sont gérés au siège parisien. Les troupes de province sont encadrées par neuf managers et neuf assistants des ventes. « Ils exercent un métier difficile, reconnaît Antoine Jouteau. Il faut savoir les écouter et relancer régulièrement leur énergie et leur motivation. » La recette ? Valoriser leurs points forts et les amener à se projeter dans l’avenir : le prochain contrat ou le prochain poste…

Conscients de la dureté du métier, les dirigeants de l’entreprise veillent à la fois au bien-être des équipes – elles disposent de salles de repos tout confort et de séances de massage – et à la diversité de leurs missions. « Entre les formations, les briefings ou les challenges, nous faisons tout pour que deux journées ne se ressemblent pas », poursuit Antoine Jouteau. Il faut croire que la formule fonctionne. Débauchée de chez Webhelp, Férouze Meddah n’entend pas faire machine arrière. À 27 ans, elle dit exercer « le même métier de télévendeuse, mais dans des conditions très différentes, avec un vrai sentiment d’appartenance a u groupe Leboncoin. » « Oui, le métier peut être monotone, abonde son collègue Julien Belloeil. Mais il est aussi stimulant pour qui a le goût du défi. D’autant que le siège fait tout pour que nous nous sentions partie prenante de la même aventure. »

Responsable monétisation on line au siège parisien, Dorothée Honegger s’appuie beaucoup sur les remontées de ces commerciaux pour trouver de nouvelles sources de financement et améliorer l’expérience des utilisateurs. « J’échange régulièrement avec les équipes de Montceau-les-Mines, on se croise en séminaire, on suit la même formation en management… » De quoi renforcer la cohésion d’équipes qui restent toutefois très différentes culturellement. « Organiser un pot le vendredi soir à Paris, ça marche à tous les coups, observe Frédéric Rousseau. Les salariés viennent sans se forcer, parce qu’ils ont vraiment plaisir à se retrouver. En Bourgogne, c’est plus compliqué : ils ont moins l’habitude et ont davantage de contraintes familiales et de transport. »

Le séminaire annuel, lui, regroupe l’ensemble des 250 salariés de l’entreprise dans une région d’Europe (la Sicile l’an passé). Il est perçu comme un facteur de cohésion essentiel entre des ingénieurs et marketeurs parisiens, qui peuvent trouver un autre job en claquant des doigts, et les commerciaux montcelliens implantés dans une région économiquement plus difficile. Du reste, la deuxième plate-forme commerciale qui devrait être créée prochainement ne s’implantera pas en Bourgogne, « parce que nous ne voulons pas assécher le marché de l’emploi », avance Frédéric Rousseau, en guise d’explication. Alors où ? Réponse à venir sur Leboncoin.fr

REPÈRES

124 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013.

250 salariés.

31 ans de moyenne d’âge.

59 % de cadres.

3 % de la masse salariale investie dans la formation.

DATES CLÉS

1996

Un informaticien suédois lance le site Blocket.se (carnet de notes).

2003

Blocket.se est racheté par le groupe norvégien de médias Schibsted, qui décide d’ouvrir des sites d’annonces dans le monde entier.

2006

Lancement de Leboncoin.fr en France.

2013

Une structure d’investissement est chargée de créer un « écosystème de start-up » autour de Leboncoin.

Auteur

  • Sabine Germain