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À saisir : des chômeurs prêts à l’emploi

Décodages | publié le : 29.12.2014 | Anne Fairise

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À saisir : des chômeurs prêts à l’emploi

Crédit photo Anne Fairise

Former les demandeurs d’emploi aux besoins identifiés des entreprises pour leur assurer une insertion durable…En cinq ans, la « préparation opérationnelle à l’emploi » a fait son nid. Non sans abus.

C’est un happy end comme le cinéma les aime, inattendu et durable. Quand Aurélie Picletty, 34 ans, le raconte, on voit presque les images défiler sur grand écran. Son choix de se reconvertir annoncé à la conseillère Pôle emploi, qui pianote sur son ordinateur pour changer le code Rome (renseignant le secteur d’activité où elle recherche un emploi), de presse-communication à vente. Le coup de fil, dans les dix jours, proposant une préparation opérationnelle à l’emploi (POE) assortie d’un stage et d’une promesse d’embauche chez Muji. La signature du CDI, à l’été 2012, dans l’enseigne bobo et, sept mois après, cette promotion de directrice adjointe d’un magasin. « J’étais dans une spirale négative après dix-huit mois au chômage. La POE m’a donné confiance, en m’apportant un bagage dans la vente. Je me suis découvert de l’ambition », résume-t-elle. Même dénouement express pour Souad Idjouadienne, 24 ans, sans diplôme ni expérience hors deux stages décrochés via l’École de la deuxième chance. « La POE a été un tremplin, pour me former et faire mes preuves », souffle la nouvelle vendeuse Muji, qui a participé en septembre à l’ouverture du magasin parisien des Halles.

Pas de formations parkings.

Elles ne sont pas les seules à se féliciter de l’idée de la CGPME, adoptée par les partenaires sociaux (ANI de janvier 2009) et transposée dans la loi de novembre 2009 réformant la formation professionnelle. Une idée simple. « Quand une entreprise dépose une offre, un demandeur d’emploi est formé à ses besoins », expliquait la voix off de la vidéo réalisée par l’organisation patronale après s’être moquée des formations trop déconnectées des besoins des entreprises. On y voyait un chômeur apprendre la soudure puis débarquer, sous son casque, dans une boutique de prêt-à-porter en mal de vendeurs. L’étonnement atterré de la patronne résumait le gap entre offres et demandes d’emploi.

Évidemment, cette formation de quatre cents heures maximum d’un demandeur d’emploi à un poste identifié en entreprise, que l’employeur « peut » conclure par un CDI, un CDD, un contrat de professionnalisation ou d’apprentissage de plus d’un an, est plus contraignante dans sa définition et dans sa mise en œuvre. Inévitable pour Jean-Michel Pottier, président de la commission formation à la CGPME, à l’origine du dis positif : « La POE nécessite un partenariat complexe. C’est le prix à payer pour une formation individualisée, de qualité, visant une insertion professionnelle durable. » Il y a du monde sur scène, entre Pôle emploi qui présélectionne le candidat, l’entreprise s’engageant à recruter, le demandeur d’emploi, le centre de formation, externe ou interne à l’entreprise, et l’Opca qui peut cofinancer aux côtés de Pôle emploi.

Mais ça paie. Six mois après leur sortie de POE, 78,4 % des chômeurs formés étaient en poste en 2013 selon Pôle emploi. « On pourrait attendre un reclassement de 100 %, l’entreprise s’étant engagée à recruter. Mais le candidat peut ne pas avoir le niveau requis au final, ou décider de ne pas poursuivre après avoir éprouvé les conditions de travail lors de la période d’immersion en entreprise », précise Fabien Beltrame, directeur de l’orientation et de la formation à Pôle emploi. N’empêche ! En cinq ans, la mesure est devenue l’une des Rolls des formations préalables au recrutement, encensée parce qu’elle permet de remobiliser, d’éprouver le projet, d’acquérir des savoirs de base, un socle de compétences techniques, voire une certification. Le gouvernement lance, à l’été 2013, un plan d’urgence pour former 30 000 chômeurs ? Il mise sur la POE. « Les bons outils existent, pas besoin d’en inventer de nouveaux », note Michel Sapin, alors ministre du Travail. La campagne est prolongée début 2014 pour 100 000 chômeurs ? Toujours la POE. Dans la mise en œuvre des emplois d’avenir, dans les accords de branche ou d’entreprise sur les contrats de génération, la POE est, chaque fois, mise en avant pour sécuriser la prise de poste…

Elle a fait son nid dans le catalogue Pôle emploi. En 2013, elle y représentait 19 % des formations financées, si l’on inclut la POE collective, autorisée en 2011, lorsque les branches et les Opca identifient un besoin, une qualification manquante ou des perspectives de recrutement importantes. Pour construire, par exemple, la ligne TGV Tours-Bordeaux. Les secteurs en tension s’en sont saisis, de la grande distribution au transport en cars scolaires, des services à la personne au nettoyage. Au point qu’en 2012 il y avait presque deux fois plus de chômeurs formés en POE collective qu’en POE individuelle (24 700 contre 14 000)! Au total, plus de 80 000 personnes ont connu l’une ou l’autre version, entre 2010 et 2013…

Vivier de main-d’œuvre.

L’essor de la POE collective s’explique par la facilité de mise en œuvre, les Opca la finançant à 100 %. Surtout, les employeurs ne sont pas obligés de déposer une offre d’emploi. « S’engager sur un recrutement fait reculer beaucoup d’entreprises, notamment les PME. Elles craignent de ne pas être capables d’embaucher au moment T », note Florence Heitz, responsable de l’antenne Est du Fafiec, l’Opca du secteur numérique. De quoi expliquer le moindre reclassement ? Six mois après une POE collective, seuls 31 % des chômeurs formés étaient en emploi en 2012, selon Pôle emploi. Les plâtres du démarrage ? Peut-être. Car l’année suivante, 50,1 % se maintenaient en poste. Mais attention, met en garde la CGT, à ce que la POE collective ne soit pas utilisée pour constituer des viviers de personnes employables dans lesquels les métiers à fort turnover piocheraient.

Une des explications réside pour ce conseiller Pôle emploi dans le peu de temps laissé à la présélection des chômeurs : « Trois semaines pour trouver, dans un bassin d’emploi, 12 candidats motivés pour des métiers souvent difficiles, c’est peu. » Une autre explication tient à l’implication des entreprises. Voyez la première POE collective montée cet été en Alsace dans le secteur numérique, à la demande de sociétés désespérées de voir partir à la retraite leurs « développeurs grands systèmes ». Sur les douze chômeurs formés, neuf ont décroché un CDI. Il faut dire que les employeurs avaient été associés à la présélection des candidats et au choix de la formation, construite sur mesure par le Fafiec. Et, précise Thierry Vonfelt, délégué régional de Syntec Numérique, « nous n’ouvrons une POE collective qu’une fois assurés qu’une majorité d’entreprises ont des postes disponibles. Elles s’engagent moralement à les pourvoir via la POE collective ».

Toutefois, même les POE individuelles ne sont pas à l’abri de dérives, comme le montrent plusieurs affaires concernant des magasins Leclerc (voir encadré). Des abus qui n’étonnent qu’à moitié Jean-Michel Pottier. « Il faut en revenir à l’esprit originel de la POE », souligne-t-il, en dénonçant la mise en œuvre, par les grandes entreprises, des POEI dans un cadre collectif « pour faire des économies d’échelle » et, globalement, le dévoiement d’une mesure pensée pour les PME. « Ce type d’affaires ternit l’image de toute une profession », tempête Yves Georgelin, délégué général du Forco, l’Opca du commerce et de la distribution qui a financé en 2014 (à fin novembre) 5 265 POE, à 71 % collectives. Le Forco les mobilise pour accompagner le développement de grandes enseignes (Auchan Drive, Castorama, Brico Dépôt). Mais exige un accès à l’emploi durable à hauteur d’au moins 60 %, sous peine, pour le centre de formation retenu, de ne pas être payé en totalité.

Ça marche : fin 2013, le Forco affichait un reclassement de 58 % après une POE collective. « La mise en œuvre de POE via l’Opca, c’est la garantie d’une utilisation des financements dans les règles de la formation professionnelle et d’un accompagnement renforcé », martèle le patron du Forco, qui lance en 2015 une application Web permettant un suivi individualisé des stagiaires et des retours instantanés en cas d’abus.

« La motivation des candidats est aussi un facteur essentiel de réussite. Elle n’est pas toujours au rendez-vous », euphémise Françoise Kervabon, DRH de Muji. Il lui a fallu trois POE (à chaque fois 20 personnes)… pour pourvoir 25 CDI en prévision de l’ouverture du magasin des Halles. « Certains sont venus juste pour avoir un contrat en CDI, et on ne les a plus revus », déplore-t-elle, jugeant « insuffisantes » les obligations des demandeurs d’emploi en POE. Reste que le propre du dispositif est de permettre aux candidats de se tester. « S’ils ne sont pas assidus en POE, ils risquent la radiation », précise le directeur d’une agence Pôle emploi. De quoi expliquer la fuite de certains après. Dans les Côtes-d’Armor, les producteurs porcins en mal de main-d’œuvre ont trouvé la parade : ils incluent une évaluation en milieu de travail de dix jours avant l’intégration dans la POE collective, qui commencera début 2015 ! Chose certaine, une analyse du dispositif ne serait pas de trop, au vu de son développement. La CGPME l’exige aujourd’hui.

Repères

88 %

des bénéficiaires de POE sont sans qualification.

400 heures

C’est la durée autorisée de la formation. En moyenne, les stagiaires se forment environ 200 heures.

33 %

de la formation en POE collective peut être consacrée à l’immersion dans l’entreprise.

Source : Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (données 2012).

Pratiques abusives

Trop de mises en situation de travail pendant la formation ou de licenciements à son issue : les abus n’épargnent pas le dispositif. À Nîmes, 27 des 30 personnes embauchées après une préparation opérationnelle à l’emploi en CDI par un centre Leclerc ont été licenciées pendant leur période d’essai, en janvier 2014. Pourquoi autant ? interroge l’avocate Ève Soulier qui affrontera l’enseigne devant les prud’hommes le 5 mars. Le cas n’est pas isolé, selon des révélations du Monde.

Dans l’Essonne, 11 chômeuses ayant suivi une POE individuelle pour l’ouverture d’un Leclerc à Fleury-Mérogis ont déposé plainte contre X pour « escroquerie, offre d’emploi fausse, travail dissimulé ».

Pointée, une formation via le centre interne du réseau Leclerc qui s’est quasiment résumée à une mise en situation de travail.

Autre bizarrerie : une semaine après l’ouverture du magasin, près de la moitié des 91 chômeurs pris en stage, du 17 décembre au 4 février, ont vu leur POE individuelle interrompue la même semaine, selon Sofiane Hakiki, l’avocat des ex-stagiaires. « L’objectif était d’avoir une main-d’œuvre gratuite », dit-il. C’est un écueil des POE individuelles : les périodes d’immersion n’y sont pas limitées.

Auteur

  • Anne Fairise