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Le désengagement guette les cadres

À la une | publié le : 29.12.2014 | Manuel Jardinaud

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Le désengagement guette les cadres

Crédit photo Manuel Jardinaud

Entre stagnation des salaires et baisse des bonus, les cadres ont mangé leur pain blanc. Ils vivent de plus en plus mal ce manque de reconnaissance. Sans oser se plaindre, mais en s’impliquant moins.

Une résignation qui se transforme parfois en frustration. » Quand il évoque la question salariale chez Alcatel-Lucent, Fabrice Lattard fait montre d’une lucidité qui confine au pessimisme. Ce manager historique du groupe de technologie des communications résume l’état d’esprit de ses collègues face à une politique devenue, selon lui, « une logique de management ». De fait, selon une étude de la CFE-CGC rendue publique en mars dernier, 2008 est la dernière année « où les salariés d’Alcatel-Lucent ont pu bénéficier d’une augmentation normale et d’un bonus normal ». Au total, le syndicat juge que les cadres, selon leur échelon, ont perdu entre 11 et 15 % de pouvoir d’achat depuis l’année 2009. Revenu sur le devant de la scène politique, le sujet de la modération des rémunérations – voire de leur gel pur et simple – fait déjà partie du quotidien de nombre de cadres. « On a mangé notre pain blanc », dit simplement Anna*, cadre chez Sanofi depuis vingt ans, dont la dernière augmentation, en 2013, atteignait un modeste 50 euros brut par mois. Cette population, diplômée, initialement promise à une progression régulière de carrière et de revenus, doit aujourd’hui se satisfaire de saupoudrages, parfois très légers. Ce dont témoignent les chiffres d’Expectra (groupe Randstad). Le spécialiste de l’intérim des cadres évalue ainsi la hausse globale de leur salaire à seulement 0,9 % en 2014.

GEL OU CONTENTION.

Des groupes de tous secteurs appliquent des politiques de contention de la masse salariale. À la suite de la signature d’un accord compétitivité-emploi, Renault et PSA ont ainsi gelé les salaires, en 2013 pour le premier, en 2014 pour le second. D’autres, sans s’inscrire dans de tels dispositifs, mènent une stratégie identique. À l’image de Sanofi. Après avoir gelé les augmentations pour les cadres autonomes, puis l’ensemble des cadres, la direction du groupe pharmaceutique a décidé, en 2013, le gel pur et simple de tous les salaires. Une mesure qui s’ajoute à des réductions d’effectifs sévères qui vont toucher près de 300 emplois sur le site de Toulouse.

Le secteur bancaire n’échappe pas davantage à la cure minceur. « Pour la troisième année, nous sommes persuadés que la direction ne proposera aucune hausse de salaires au niveau collectif, prédit Daniel Petrucci, secrétaire général du SNB CFE-CGC à la Société générale. Alors que certains cadres n’ont pas été augmentés depuis plus de cinq ans. » Cette tendance est visible à l’échelon de la branche. Via le fonds de garantie salariale individuelle, qui est activé pour les collaborateurs qui n’ont pas eu plus de 3 % d’augmentation dans les cinq derniers exercices. En 2012, 111 273 salariés ont déposé un dossier pour en bénéficier mais seuls 43 ont été entendus, dont 29 cadres. Rebelote en 2013, avec 120 865 prétendants. Mais un peu plus d’élus, soit 335 personnes, dont – fait exceptionnel – 303 cadres. « Une véritable explosion, qui est le résultat des politiques d’entreprise », se désole Régis dos Santos, président du SNB CFE-CGC. Illustration chez Natixis où, pour les NAO portant sur 2015, l’augmentation proposée de 180 euros brut annuels est réservée aux salaires inférieurs à 40 000 euros. « De fait, les cadres sont exclus de la hausse », en conclut Francis Vergnaud, délégué syndical national pour le SNB CFE-CGC.

FINI, LE TRAVAIL DU WEEK-END.

Désormais habitués à voir les augmentations générales leur passer sous le nez, les cadres doivent miser sur les augmentations individuelles pour gonfler leur paie. Sauf que les enveloppes servent souvent à récompenser les seuls managers dont le poste évolue. Quant aux bonus, ils fondent, avec la crise, comme neige au soleil. Avec une évolution de leur mode de calcul en 2007, « ceux d’Alcatel-Lucent ont chuté en moyenne de plus de 4 000 euros à environ 300 euros », affirme Stéphane Louisa, délégué syndical CGT sur le site de Villarceaux. Une dépréciation que confirme Claudine*, deux décennies de maison, qui n’a reçu qu’une poignée d’euros sous forme de primes depuis cinq ans. « Auparavant, on avait un bonus significatif en avril qui correspondait à un treizième mois », se souvient-elle. Pourtant, avec une paie de 4 100 euros net par mois, elle refuse tout misérabilisme, se sachant encore privilégiée par rapport à d’autres catégories. Un silence adopté par d’autres. « Cela peut sembler indécent de se plaindre, reconnaît Anna, de Sanofi. Mais nous avons un sentiment d’injustice par rapport au travail que nous fournissons. »

Chacun s’arrange comme il peut avec cette situation qui perdure. Chez Alcatel-Lucent, Fabrice Lattard côtoie des ingénieurs moins motivés, moins réactifs. Anna avoue, elle, ne plus travailler qu’exceptionnellement tard le soir et le week-end. Claudine remarque « moins d’implication des cadres car chacun doute que les efforts consentis servent à quelque chose ». Elle aussi se dit résignée et observe « une forme d’épuisement » parmi ses collègues.

Côté syndical, la lutte pour la rémunération des cadres n’est pas une priorité. « Durant les négociations annuelles obligatoires, les syndicats n’ont pas trop envie de défendre leurs intérêts car ils estiment qu’ils sont déjà suffisamment bien payés. Or, avec l’augmentation du smic, on assiste à un phénomène de tassement des salaires. Des salariés qui vont prendre des responsabilités de management, il y en aura de moins en moins car les contre parties sont un peu chiches », analyse Jean-Paul Bouchet, de la CFDT Cadres. Sporadiquement, certains mouvements se font jour quand même. Comme ce rassemblement au pied de la tour de la Société générale à la Défense, le 5 décembre dernier. Mais rien de bien visible pour défendre cette catégorie encore considérée comme privilégiée. « Les gens râlent mais ne se mobilisent pas », regrette Mathieu Josien, délégué central CFDT chez IBM. En avril dernier, les organisations syndicales du groupe informatique ont péniblement arraché 1,3 % d’augmentation de la masse salariale.

Et pourtant, le personnel d’encadrement aurait de bonnes raisons de faire savoir son ras-le-bol. Car, à la modération salariale s’ajoute, aussi, la pression fiscale. Selon la CFE-CGC, qui a interrogé cet automne 6 000 adhérents, 83 % des cadres ont constaté une hausse de leurs impôts en 2014. De quoi poser, à certains, de vrais problèmes de pouvoir d’achat. Ainsi, 20 % des répondants envisagent de compenser cette augmentation par une baisse de leur budget consacré à la nourriture, au chauffage ou à l’habillement. Un renoncement à consommer qui, couplé à un moindre engagement au travail impactant leur productivité, pourrait contribuer à alimenter encore la sinistrose économique.

– 0,8 %

C’est la baisse du salaire net moyen des cadres en 2012.

– 4,9 %

C’est la baisse du salaire net moyen des cadres de la finance en 2012.

Source : Insee, décembre 2014.

* Les prénoms ont été changés.

Auteur

  • Manuel Jardinaud