logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

À la une

Ces petits plus qui aident à faire passer la pilule

À la une | publié le : 29.12.2014 | Manuel Jardinaud, Emmanuelle Souffi

Image

Ces petits plus qui aident à faire passer la pilule

Crédit photo Manuel Jardinaud, Emmanuelle Souffi

Motiver ses salariés sans augmenter les salaires Même les petites entreprises offrent des compensations comme la prise en charge d’une mutuelle ou des chèques-cadeaux. Une politique payante si elle est lisible.

La douche fut froide cette année-là. « En 2008, nous étions proches du dépôt de bilan. Nous avons dû demander une baisse de salaire de 15 % à l’ensemble des équipes », explique Julien Leclercq, patron de Com’Presse, une agence de communication de 48 personnes située à Astaffort (Lot-et-Garonne). À l’époque, la direction ne s’engage pas sur un calendrier de retour à meilleure fortune et procède également à des licenciements. Résultat, malgré une hausse de 8 % des rémunérations en 2013, une partie des collaborateurs gagne toujours moins qu’avant. D’où une « impatience régulière », que le dirigeant tente de combler par petites touches, en améliorant le niveau de vie des troupes sans faire varier leurs rémunérations. Sa dernière trouvaille ? Embaucher deux stagiaires en école de commerce pour négocier des prix avec une trentaine de commerces fréquentés par ses salariés, comme Intermarché ou le coiffeur du coin !

Le cas n’est pas isolé. Carnet de commandes en berne, beaucoup d’employeurs doivent gérer la frustration de leurs équipes. Et tentent d’innover, pour compenser la perte de pouvoir d’achat réelle ou ressentie, sans trop alourdir les charges. Une discipline presque à part entière dans l’Hexagone aujourd’hui. « Je vois beaucoup de petites entreprises qui augmentent la valeur des titres-restaurants, distribuent des chèques-cadeaux ou étendent les garanties de la mutuelle », affirme Sofia Sefrioui, fondatrice du cabinet Harold Consulting, spécialisé dans la stratégie de rémunération. Une politique qui répond à des attentes fortes : 44 % des salariés souhaiteraient bénéficier de chèques-cadeaux, chèques emploi service et titres-restaurants pour compenser l’absence d’augmentation ou de prime, selon l’observatoire Sociovision qui interroge tous les ans 2 000 personnes. Loin devant le financement d’un projet professionnel, plébiscité seulement par 30 % des personnes interrogées.

Surprenant ? Pas tant que ça… « Les Français sont dans une quête de pouvoir d’achat ; ces avantages en nature incarnent ce qui ressemble le plus à une rémunération », observe Anne Madelin, consultante chargée du programme Sociovision du travail et de l’entreprise. Achat d’une nouvelle tenue de sport pour le petit dernier ou tout simplement de fournitures scolaires à la rentrée, ces modes de rétribution sont très encadrés par l’Urssaf. Traditionnellement distribués par les comités d’entreprise dans les grandes sociétés, ils sont aussi de plus en plus pris en charge par les patrons de petites structures.

LES PME S’Y METTENT.

Chez Sodexo Services Avantages et Récompenses, la création d’un nouvel outil de commande en ligne souple et réactif, principalement à destination des TPE, rencontre un franc succès depuis trois ans. « Cette progression confirme que les petites entreprises sont intéressées par ces éléments de motivation », note Anna Notarianni, la directrice générale pour la France. Selon une étude interne toute récente, 56 % des sociétés de moins de 50 salariés ont déjà utilisé des chèques-cadeaux. Et 76 % ont l’intention de récompenser leurs collaborateurs par ce biais dans les deux années à venir. Sébastien Chadourne, créateur du cabinet Celencia spécialisé dans le conseil en organisation, a anticipé cette demande. « Dès la création de l’entreprise, en 2008, nous avons mis à disposition des titres-restaurants de 7 euros, dont 4 à la charge de l’entreprise. » Un geste certes symbolique, mais qui contribue à la motivation de ses 39 collaborateurs. Dans sa politique des petits – mais indispensables – pas en matière de rémunération, il vient d’instaurer une subvention de 200 euros pour ceux qui désirent exercer un sport. Inscription dans un club de tennis ou un centre de fitness…, peu importe, le reçu fait foi.

Lorsqu’ils se transforment en gestionnaires d’œuvres sociales, les dirigeants ne manquent pas d’idées. À l’image des distributeurs Carrefour ou Auchan qui offrent des réductions à leurs salariés sur les produits qu’ils vendent en rayons, Électro Dépôt fait des ristournes à son personnel. Les 1 400 salariés du leader de l’électroménager low cost peuvent ainsi acheter les marques de la maison 10 % moins cher que le public, contre 5 % il y a encore peu de temps. Un geste plutôt bienvenu. « L’entreprise va bien mais les Français préfèrent aujourd’hui épargner plutôt que de consommer. Il faut donc être prudent, y compris sur les salaires, et ne pas trop charger les frais de personnel. Ce type de mesure a l’avantage de la souplesse », souligne Stéphane Wilmotte, le DRH. Et il permet, aussi, d’écouler les stocks…

Dans un contexte de déremboursement des frais de santé et de vieillissement de la population active, proposer une mutuelle généreuse et peu coûteuse est également un sacré plus. À défaut de hausse de salaire, 28 % des Français aimeraient ainsi obtenir une meilleure couverture santé ou prévoyance, selon Sociovision. Le cabinet de conseil en environnement Oréade-Brèche en a fait un argument de recrutement. L’entreprise toulousaine de 48 salariés finance 100 % de la complémentaire santé. Dans un secteur ultraconcurrentiel où, pour décrocher les appels d’offres, mieux vaut proposer les prix les plus bas, la société ne peut pas s’offrir le luxe de faire déraper sa masse salariale. « Les salaires cadres prévus par la convention Syntec sont trop élevés pour nous, reconnaît Karine Latorre, responsable administrative et financière. Du coup, on compense par des avantages sociaux qui permettent d’aboutir à une rémunération convenable. » La cotisation coûte 106 euros par mois et par salarié. Celencia a emprunté la même voie dès sa création en proposant une mutuelle famille pour l’ensemble des salariés.

DÉBLOCAGES EN HAUSSE.

Dernier étage de cette fusée des avantages hors salaire : l’intéressement aux résultats. Selon une étude de la Dares de juillet 2014, 17 % du personnel d’entreprises de moins de 50 salariés bénéficiaient d’un dispositif de type participation, intéressement ou plan d’épargne entreprise(PEE) en 2012. Ils sont 87 % dans celles employant plus de 50 salariés. La répartition des fruits de la croissance – pour peu qu’il y en ait ! – reste un outil privilégié pour récompenser les efforts fournis. Chez Électro Dépôt, 95 % du personnel est actionnaire de l’entreprise, non cotée en Bourse. Il y a quatre ans, la part valait 10 euros, contre 18 aujourd’hui. Chez Celencia, le dispositif s’avère plus classique, avec la création d’un PEE. Les salariés ont touché 1 000 euros d’intéressement sur l’exercice 2011, 1 500 sur celui de 2012 et 2 000 sur celui de 2013. Des sommes qu’ils peuvent bloquer ou récupérer, moyennant paiement de cotisations sociales. Signe que les temps sont durs, les demandes de versement en espèces sonnantes et trébuchantes augmentent. « Ils sont douze en 2013, soit presque un tiers, à avoir fait ce choix. Un nombre en hausse. La tendance est d’utiliser cette somme pour Noël, voire pour payer les impôts », observe le patron.

COM INTERNE.

Accumuler les compléments de salaire est une chose, les rendre compréhensibles en est une autre. L’art de la communication interne joue ici à plein. Dans les grandes entreprises où on raisonne plus en « package » qu’en salaire, un outil se développe : le bilan social individuel (BSI). Sur plusieurs pages, il récapitule tout ce que le salarié perçoit chaque année. Le chimiste Solvay vient de l’adopter. Ses 5 500 salariés français l’ont reçu en octobre, juste avant les NAO… Salaire, augmentations, frais de mutuelle, aides au logement…, tous les avantages y sont soigneusement notés, histoire de montrer la générosité de l’entreprise. Par ces temps de disette, s’apercevoir que sa rétribution globale atteint 20 % de plus que son salaire net peut donner un peu d’air frais. « Les BSI se développent depuis 2008, remarque Clémence Perrin, directrice projets et innovation chez Adding. C’est un bon outil de mise en perspective. Beaucoup de dispositifs sont mis en place dans les entreprises sans que les salariés en perçoivent réellement le bénéfice. »

Dans les TPE, la communication se révèle plus archaïque. Peu de chefs d’entreprise mettent en cohérence leurs actions pour qu’elles ne soient pas perçues comme du saupoudrage. Un simple « merci » ou un « bravo » peut parfois aussi faire passer la pilule. Ainsi, 28 % des salariés interrogés par Sociovision aimeraient voir leur travail valorisé par une communication interne ou externe. Une photo dans le magazine de l’entreprise à défaut d’un petit chèque… Pas cher et payant !

Mutuelle, la douloureuse

En découvrant leur dernier avis d’imposition, beaucoup ont fait grise mine. Car la fiscalisation de la cotisation employeur à la complémentaire santé peut coûter cher. Totalement invisible, cet effort financier consenti par les entreprises peut représenter plus d’une centaine d’euros par mois pour une couverture optimale. Personne ne le perçoit comme un gain. Sauf le fisc.

Et le gouvernement, en pleine quête de nouvelles recettes. « En moyenne, les salariés ont dû payer 100 à 120 euros d’impôts en plus », observe Stéphane Wilmotte, DRH d’Électro Dépôt, le leader de l’électroménager pas cher.

Les PME qui cherchaient à se distinguer en proposant des mutuelles familiales presque intégralement à leur charge en sont marries : leur avantage n’en est plus forcément un !

Et que dire de toutes celles qui vont devoir en proposer une avant le 1er janvier 2016, conformément aux contreparties négociées par les partenaires sociaux à l’assouplissement de la législation sur les licenciements économiques ? Certes, cette généralisation contribue à favoriser l’égalité dans l’accès aux soins. Mais elle fait râler les jeunes salariés, qui ont encore l’impression de payer pour les autres.

Auteur

  • Manuel Jardinaud, Emmanuelle Souffi