Dans la passionnante collection « Raconter la vie » que Pierre Rosanvallon dirige avec Pauline Peretz au Seuil, le projecteur est mis cette fois sur les agences d’intérim – ces « marchands de travail », comme les nomment les deux auteurs, Nicolas Jounin et Lucie Tourette. Car l’ouvrage voit un lien entre le « marchandage » interdit par le Code du travail depuis 1973 et l’intérim légalisé un an avant cette date. Il ne s’agit pas de la énième analyse du phénomène de la précarisation du travail car, en conformité avec la vocation de la collection, la lumière se porte plutôt sur les hommes et les femmes qui font métier de « vendre du travail ». Voici Samira, qui offre des compétences « typées » aux entreprises ; Samuel, spécialisé dans le bâtiment et le Portugal ; Philippe, le fournisseur d’Eiffage, très networker ; Daniel aux prises avec ses travailleurs sans papiers ; Étienne, qui a joué la carte de l’international.

Les auteurs en profitent pour rappeler quelques chiffres saisissants. Au moment où 500 000 à 600 000 personnes travaillent pour une agence d’intérim, 300 000 sont au chômage après une mission. « Les agences d’intérim fournissent un salarié sur treize de la construction mais un mort au travail sur huit », indiquent-ils aussi. Au-delà des cas rapportés dans leur livre, Jounin et Tourette voient dans ce secteur une même stratégie à l’œuvre : « La transformation (du point de vue des entreprises utilisatrices) de relations de travail en relations commerciales. »

Pour eux, c’est une manière de réintroduire du marché là où il avait dû reculer face aux conventions collectives et aux qualifications reconnues. Pour ceux qui acceptent de jouer les intermédiaires, c’est un métier qui permet l’indépendance et des revenus compris entre 4 000 et 10 000 euros par mois, avec un minimum de diplômes.

Marchands de travail, Nicolas Jounin et Lucie Tourette. Éditions Seuil. Collection « Raconter la vie ». 86 pages, 5,90 euros.