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L’improbable percée du contrat unique

Idées | Chronique juridique | publié le : 03.12.2014 | Pascal Lokiec

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L’improbable percée du contrat unique

Crédit photo Pascal Lokiec

Après les propositions de relèvement des seuils sociaux, d’abandon des 35 heures ou d’abaissement du smic pour certaines catégories de salariés, c’est le droit du licenciement qui est sur la sellette avec le retour du débat sur le contrat de travail unique. Quels sont les contours et les enjeux juridiques de ce CDI d’un genre particulier ?

On croyait l’idée de contrat unique enterrée depuis que Nicolas Sarkozy y avait renoncé après en avoir fait l’un de ses thèmes de campagne pour 2007. Elle revient sur le devant de la scène, portée notamment par le nouveau Prix Nobel d’économie, Jean Tirole.

UN CDI D’UN NOUVEAU GENRE

L’idée a été lancée il y a un peu plus de dix ans par plusieurs économistes, avec pour ambition de casser l’opposition entre des CDI « surprotégés » et des CDD précaires (Olivier Blanchard et Jean Tirole, « Protection de l’emploi et procédures de licenciement », CAE, 2003 ; Pierre Cahuc et Francis Kramarz, De la précarité à la mobilité : vers une sécurité sociale professionnelle, La Documentation française, 2005). Des CDD qui représentent aujourd’hui 4/5 des embauches. Pour remédier à cette situation, il est proposé de mettre un terme au couple CDD-CDI pour ne maintenir que le CDI. Mais un CDI d’un nouveau genre puisque librement révocable ! La rupture pourrait intervenir sans motif (sauf discrimination et sans doute harcèlement) ni reclassement. À la place serait introduit un système de taxation des licenciements destiné à indemniser les personnes ayant perdu leur emploi et à alimenter la caisse d’assurance chômage.

Pierre Cahuc et Francis Kramarz présentent leurs propositions comme une fiscalisation de la protection de l’emploi avec, pour perspective, sur le modèle de l’experience rating américain, de taxer plus sévèrement les entreprises qui licencient. Derrière cette logique, il y a aussi la volonté affichée de soustraire les licenciements à l’œil des juges, que ce soit l’appréciation du motif ou celle de l’indemnisation. Pierre Cahuc est aussi le coauteur d’une étude controversée qui soutient qu’une majorité de magistrats français sont défiants à l’égard de l’économie de marché, ce qui conduirait à une jurisprudence très restrictive, en particulier sur le licenciement économique (Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo, « Les Juges et l’économie : une défiance française », Institut Montaigne, 2012).

VERS UN AUTRE MODÈLE SOCIAL ?

L’adoption d’un contrat unique, ce n’est pas simplement la suppression de centaines de pages du Code consacrées au CDD et au licenciement. C’est aussi et surtout l’orientation de la France vers un tout autre modèle social. Cherche-t-on à imiter les États-Unis où la plupart des travailleurs sont en CDI Car vu la facilité à rompre le CDI outre-Atlantique, les employeurs n’ont guère d’intérêt à conclure des CDD ! S’oriente-t-on plutôt vers un modèle à la scandinave, auquel cas il faudrait compenser la facilité de rupture par un système de sécurisation des parcours professionnels, dont on est, malgré des progrès (voir la récente mise en place des droits rechargeables), très loin en France. Quel que soit le modèle auquel on aspire, n’idéalisons pas, en tout cas, le CDI ! Un CDD de quatre ans, comme cela est possible dans certains pays (Royaume-Uni, Allemagne…), est plus protecteur qu’un CDI qui peut être rompu du jour au lendemain !

L’objectif du CDI unique est aussi de lutter contre le chômage. On est ici au cœur d’une redoutable problématique, qui alimente depuis plusieurs mois le débat social (suppression des 35 heures, abaissement du smic, relèvement des seuils sociaux, etc.). Selon cette équation, qui n’a jamais été vérifiée, les protections offertes aux titulaires d’un emploi seraient autant de handicaps pour ceux qui n’en ont pas. Ce n’est pas la première fois que cette formule est appliquée au licenciement. Chacun a en tête les précédents du CNE et du CPE qui permettaient à l’employeur de congédier librement les titulaires de ces contrats pendant les deux premières années. Le projet de contrat unique est plus habile. On avait reproché au CNE et au CPE de placer leurs titulaires dans une situation discriminante à l’égard des bailleurs et des organismes de prêt. Si le risque de perdre son emploi du jour au lendemain vaut pour tout le monde, le problème ne se posera pas, comme l’illustre l’exemple américain.

DES OBSTACLES PRESQUE INSURMONTABLES

Sur le chemin du contrat de travail unique, les obstacles sont nombreux.

Le premier est constitué par la convention 158 de l’OIT, celle-là même qui a fait tomber le CNE. Son article 4 exige un motif légitime de licenciement. D’où l’idée de Pierre Gattaz d’en demander la dénonciation ! D’applicabilité directe, cette convention peut être invoquée par un particulier et priverait de toute effectivité le mécanisme de rupture mis en place par le contrat unique. Même s’il est vrai que cette convention a été peu ratifiée – ni par l’Allemagne ni par les États-Unis –, peut-on sérieusement envisager une telle dénonciation, qui serait aussi en parfaite contradiction avec l’article 24 de la Charte sociale européenne et l’article 30 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, qui contiennent une règle similaire La convention 158 n’a sans doute pas fini de faire parler d’elle puisque c’est notamment sur son fondement que la cour d’appel de Paris a rendu un arrêt remarqué exigeant une motivation de la lettre de convocation à l’entretien préalable de licenciement (Paris, 7 mai 2014, 12/02642).

Autre obstacle, comment les entreprises géreront-elles les remplacements et surcroîts d’activité de courte durée ? Par des CDI qu’elles rompront après quelques jours de travail, comme de simples périodes d’essai ! Ne vaut-il pas mieux un CDD que l’on est à peu près sûr de conserver jusqu’au retour du salarié remplacé ou jusqu’à la date inscrite sur le contrat de travail qu’un CDI qui peut être rompu du jour au lendemain ?

Le troisième obstacle concerne l’application dans le temps d’une législation qui instituerait le contrat unique. L’appliquer uniquement aux contrats conclus postérieurement à son entrée en vigueur créerait un nouveau dualisme, entre des salariés qui, à un même poste, seraient titulaires de CDI aux contours radicalement différents. Si, inversement, l’on souhaite rendre immédiatement applicable la nouvelle législation, ce ne sont pas ici les normes de l’OIT mais les principes constitutionnels qui pourraient se trouver sur le chemin du nouveau contrat. Le Conseil constitutionnel protège « l’économie des conventions et contrats légalement conclus », avec cette idée que la loi ne doit pas fondamentalement remettre en cause les attentes qui ont pu être celles des contractants lors de la formation du contrat (Cons. const., 7 décembre 2000, n° 2000-436 DC) ! L’objectif d’intérêt général de lutte contre le chômage suffirait-il à justifier pareille restriction ? Pour les titulaires de CDD, le passage au contrat unique serait lui aussi source d’interrogations : s’appliquerait-il immédiatement ou faudrait-il attendre l’éventuel renouvellement du CDD ? La question est au cœur du projet de « contrat à protection croissante » en Italie, seul pays européen à s’orienter vers le contrat unique. La plupart des autres ont opté pour un allongement de la durée des CDD (Grèce, Portugal, Roumanie, Espagne…). En France, l’obstacle politique devrait être majeur. D’abord, on voit mal comment un tel contrat pourrait, dans le contexte actuel de promotion du dialogue social, être institué sans l’onction des partenaires sociaux ; or ni le patronat ni les syndicats n’ont jusqu’ici manifesté d’enthousiasme à son égard ! Et si l’on prend François Hollande au mot, la taxation du licenciement, au centre des propositions, est inenvisageable jusqu’en 2017, le président s’étant engagé à ne pas introduire de nouvelles taxes d’ici à la fin de son mandat !

Même si le contrat unique a peu de chan ces de voir le jour pour les raisons qui précèdent, d’autres prototypes attendent leur tour, à commencer par le contrat de projet, depuis longtemps promu par le Medef, et le contrat de croissance, récemment proposé par la CGPME. Comme le contrat unique, ils facilitent la rupture. Autant dire que le débat est loin d’être clos !

Pascal Lokiec

Professeur à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, où il codirige le master 2 Droit social et relations professionnelles. Il est l’auteur de l’ouvrage Droit du travail, dans la collection « Thémis Droit », aux Presses universitaires de France.

La gratuité des clauses de discrétion

D’ores et déjà fréquentes en pratique, les clauses de discrétion ou de confidentialité devraient l’être encore plus depuis un arrêt du 15 octobre 2014 qui, par contraste avec la solution adoptée pour la clause de non-concurrence, n’exige pas qu’elles comportent de contrepartie financière. La différence entre ces deux types de clauses est claire, tout au moins en apparence.

La clause de non-concurrence interdit à un salarié de travailler auprès d’une entreprise concurrente après la rupture du contrat de travail, là où la clause de discrétion interdit de divulguer des informations confidentielles, sans interdire de travailler pour la concurrence. C’est parce qu’elle ne portait pas atteinte à la liberté du salarié d’exercer une activité professionnelle que, dans l’affaire portée devant la Cour de cassation, la clause n’avait pas à comporter une telle contrepartie. Mais attention, la gratuité de la clause de discrétion ne devrait pas être systématique ! Dans certains cas, notamment lorsque le secteur d’activité est très étroit et, comme souvent, qu’elle n’est limitée ni dans le temps ni dans l’espace, il ne peut être exclu que l’interdiction d’utilisation des connaissances acquises restreigne la faculté du salarié de trouver un autre emploi dans son domaine de compétence, auquel cas une contre partie financière sera due (chambre sociale, 15 octobre 2014, n° 13-11524).

Auteur

  • Pascal Lokiec