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Les bizarreries de l’activité des seniors

Dossier | publié le : 03.12.2014 | V. D.

Malgré le recul de l’âge de départ à la retraite et un chômage élevé, le taux d’emploi des seniors français s’améliore. Le tarissement des préretraites n’y est pas étranger. Mais le retour à l’emploi des chômeurs âgés stagne.

C’est un sacré paradoxe, relevé par l’économiste de l’OFCE Xavier Timbeau lors du Forum des retraites organisé mi-octobre par la Caisse des dépôts. Déjouant tous les pro nostics, la France, championne d’Europe des départs à la retraite anticipés depuis trente ans, semble en passe de réussir, en pleine crise économique, l’inclusion de ses seniors sur le marché du travail. Ainsi, le nombre de personnes âgées de 55 à 64 ans a eu beau augmenter de 800 000 entre 2008 et 2013 sous l’effet du papy-boom, le nombre d’emplois occupés par ces derniers s’est, en parallèle, accru de près de 700 000 quand, dans le même temps, la crise détruisait plus de 525 000 emplois d’actifs âgés de 25 à 54 ans. Mieux, « la remontée de l’âge de départ en retraite s’est effectuée sans induire de forte hausse du chômage des seniors », a aussi souligné l’économiste. Ainsi, la part de seniors sans emploi n’a progressé que de 2 points en cinq ans quand celle des chômeurs âgés de 25 à 54 ans s’envolait de près de 10 points.

Certes, les réformes tendant à remonter l’âge légal de liquidation ou la durée de cotisation nécessaire à un départ à taux plein expliquent en partie ce miracle. Mais la suppression à partir de 2008 de presque tous les dispositifs publics de cessation anticipée d’activité y est aussi pour beaucoup, entre la quasi-disparition des préretraites publiques et la fin des mises à la retraite d’office à 70 ans et de la dispense de recherche d’emploi de l’assurance chômage. Résultat, le nombre de bénéficiaires d’un départ anticipé (231 800 en 2012 selon la Dares), en baisse de 20 % en un an, a été divisé par trois depuis 2006. Surtout, seuls 2 % de la tranche d’âge des 55-59 ans bénéficient encore d’une cessation anticipée d’activité, contre 12 % entre 2005 et 2008. Au point que le taux d’emploi de cette tranche d’âge (67,1 % en 2012) est, depuis trois ans, supérieur à la moyenne européenne (64 %).

Des conditions de départ moins généreuses

De leur côté, les grandes entreprises ont aussi modifié leurs pratiques. Depuis le doublement en 2008 de la taxe sur les préretraites privées, ces dernières ont ainsi été progressivement resserrées sur l’accompagnement d’une restructuration ou la compensation d’une exposition à un métier pénible, à l’instar de l’accord conclu par La Poste en 2013. D’autres ont commencé à faire le ménage dans leurs généreux congés de fin de carrière. Exemple, chez Schneider Electric où le capital correspondant à huit mois de congé rémunéré 100 % du salaire sera, à partir de 2017, versé à un régime d’épargne retraite à prestations définies à la suite de l’accord conclu au printemps. Idem chez Scor où le congé de fin de carrière vient d’être abandonné au profit d’un nouveau régime à cotisations définies.

Enfin, les salariés du privé comme du public font aussi leurs comptes. « De plus en plus d’agents, et notamment ceux issus de la catégorie C réunissant pourtant les conditions de départ en retraite nécessaires, préfèrent rester en poste plutôt que de perdre du pouvoir d’achat », soulignait, au Forum, Jack Bernon, directeur des relations sociales de la Ville de Lyon. Les résultats de l’étude que viennent de conduire deux économistes de la santé, Thomas Barnay et Nicolas Sirven, auprès de 4 000 Européens actifs âgés de 50 à 65 ans en 2006 le confirment : la probabilité de rester en emploi augmente en moyenne de 10 % parmi les quelque 18 % de sondés ayant subi une baisse non anticipée de leur niveau de vie entre 2006 et 2010.

Pour autant, avant de pouvoir se targuer d’avoir définitivement réussi à inverser la culture de sortie précoce du marché du travail, les pouvoirs publics ont encore du pain sur la planche. D’abord parce que la question du retour au travail des seniors au chômage reste entière. La durée moyenne d’inscription à Pôle emploi des plus de 50 ans approche des 500 jours quand celle des 25-49 ans tourne autour de 280 jours. Pis, le taux de retour à l’emploi des chômeurs âgés de 55 ans plafonne à 8 %, sachant que plus de la moitié ont dû se contenter d’un emploi à temps partiel, s’alarme dans son Livre blanc sur l’emploi des seniors publié en octobre l’association de défense de l’épargne retraite Génération Eric. Cette dernière en profite pour promouvoir « des pistes alternatives de bénévolat et d’utilité sociale pour éviter un tel gaspillage de compétences ».

Quant à la capacité des entreprises à aller plus loin dans l’accompagnement au maintien dans l’emploi des seniors, le scepticisme demeure, comme en témoignent les réactions qui ont suivi l’annonce d’un nouveau plan seniors par le ministre du Travail, François Rebsamen. « Tant que la croissance ne sera pas revenue, ce nouveau plan ne changera pas la donne », a ainsi tranché, lors du Forum des retraites, Odile Menneteau au nom de la direction des relations sociales du Medef. Les plans seniors 2006-2010, dont aucun bilan exhaustif n’a été tiré, « sont restés formels pour l’essentiel, sans véritable réflexion sur l’organisation du travail ou la polyvalence », observe-t-elle, en rejetant la responsabilité sur la pénalité financière dont ils étaient assortis. Quant aux contrats de génération chers au candidat François Hollande, ils ne décollent pas : « Seuls 20 % des DRH estiment qu’ils vont favoriser l’emploi des seniors », reconnaît Sylvie Brunet, vice-présidente de l’Association nationale des DRH.

Possible conflit de générations

« Les seuils d’âge indicatifs introduits dans ces dispositifs freinent l’extension des actions de prévention de la désinsertion aux salariés d’âge intermédiaire, voire de tous les âges », observe pour sa part Annie Jolivet, la chercheuse du Creapt qui vient de conduire une monographie sur la transition emploi-retraite pour le compte du Centre d’études de l’emploi. « La question de l’employabilité tout au long de la carrière n’est intégrée qu’à hauteur de 45 % de l’ensemble des processus RH », confirme, de son côté, l’association Génération Eric en se fondant sur les résultats d’une récente étude européenne. Alors que 3 millions de salariés âgés seraient, selon elle, menacés par l’avancée des technologies.

Des marges de progrès existeraient, en revanche, s’agissant des modalités de départ des 60-64 ans, estime Yves Guégano, secrétaire général du Conseil d’orientation des retraites (COR), sachant que le taux d’emploi français (21,7 % en 2012) reste inférieur de 11 points à la moyenne européenne. Par exemple en ne liant plus la décote à la durée d’assurance mais à un âge pivot. Ou en évitant de pénaliser financièrement le maintien à un poste sédentaire de fonctionnaires issus d’une catégorie active éligibles à un départ en retraite anticipé. Voire en s’interrogeant sur la légitimité du dispositif carrières longues, aujourd’hui principal motif de départ anticipé : « Le présupposé tendant à justifier les départs au titre d’une carrière longue par une espérance de vie plus limitée que la moyenne reste à démontrer », juge le secrétaire général du COR. Mais le vieillissement de la main-d’œuvre qui résulte de ces politiques convergentes en faveur de l’emploi des seniors résistera-t-il à une panne prolongée de la croissance ? « Cela pourrait devenir une source de conflits forts de générations », met en garde Xavier Timbeau.

Auteur

  • V. D.