logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Complémentaires : des négociations sous tension

Dossier | publié le : 03.12.2014 | Valérie Devillechabrolle

Image

Complémentaires : des négociations sous tension

Crédit photo Valérie Devillechabrolle

Les partenaires sociaux ont six mois pour s’accorder sur des voies de retour à l’équilibre des régimes de retraite. Et pour répondre aux exigences européennes de réduction des déficits. Mais leurs marges de manœuvre sont réduites.

Moins de deux ans après leur dernier accord de mars 2013, le patronat et les syndicats qui gèrent les régimes de retraite complémentaire Agirc-Arrco s’apprêtent à revenir, début 2015, à la table de négociations. Leur défi ? Tenter, d’ici à juin 2015, de se mettre d’accord sur des mesures de rééquilibrage financier de ces régimes en déficit chronique depuis quatre ans. La tâche est, cette fois encore, très difficile : d’abord parce que pour « conserver durablement les clés du camion », selon l’expression de Philippe Pihet, le vice-président (FO) de l’Arrco, « les partenaires sociaux ne pourront pas s’en tenir à des bouts de chandelle en matière de réforme », reconnaît Jean-Paul Bouchet, président (CFDT) de l’Agirc. Ensuite parce que les pouvoirs publics ont fixé aux négociateurs une quasi-obligation de résultat en promettant d’ores et déjà à Bruxelles de réduire le déficit de ces régimes de 2 milliards d’euros d’ici à 2017.

Les finances de l’Agirc-Arrco sont, il est vrai, au plus mal. Avec un déficit évalué à 5,7 milliards d’euros en 2013, le besoin de financement de l’Agirc-Arrco a représenté le quart de celui de l’ensemble des administrations sociales, pointe déjà la Cour des comptes. Et cela ne devrait pas s’arranger cette année, avec un déficit technique attendu après transfert de 5,3 milliards d’euros, ni en 2015 où ce lui-ci serait de nouveau compris entre 4,2 et 4,6 milliards d’euros. À ce rythme, l’Arrco aura définitivement croqué ses réserves en 2027 et l’Agirc en 2018.

Peu de leviers de négociation

Comment, en est-on arrivé là ? D’abord et même s’il s’est conclu au forceps, l’accord de 2013 ne redressait pas suffisamment la barre, en laissant subsister, après mesures, une ardoise de plus de 5 milliards d’euros en 2017. « C’était un accord de transition en attendant la réforme gouvernementale », plaide-t-on aujourd’hui dans les rangs patronaux. Sauf que la loi du 20 janvier 2014 n’a pas constitué le ballon d’oxygène escompté. Pis, entre les mesures de justice, et notamment le surcoût lié aux départs anticipés, et l’absence de report immédiat de l’âge de départ, la réforme Hollande devrait plomber les comptes de l’Agirc-Arrcojusqu’à au moins 2025 et ne commencer à dégager des économies qu’en 2030. Enfin, la situation économique désastreuse, conjuguée à la faiblesse de l’inflation, n’a évidemment rien arrangé. La clause de sauvegarde interdisant de baisser les pensions annexée au dispositif de sous-indexation prévue par l’accord de 2013 a ainsi joué à plein et devrait, à elle seule, priver les régimes de 2,6 milliards d’euros d’économies cumulées d’ici à 2017.

Pour ce qui est des leviers de négociation, les marges de manœuvre des partenaires sociaux sont plus réduites que jamais. « En l’absence de rebond de la croissance, les possibilités d’accroître les recettes sont très limitées », reconnaît Serge Lavagna (CFE-CGC). De son côté, si Force ouvrière était parvenue à arracher au patronat une hausse de cotisation en 2013, elle aura bien du mal à réitérer cet exploit dans le contexte de 2015. D’autant plus qu’une hausse du taux contractuel n’aurait presque aucun impact sur l’horizon d’épuisement des réserves. « Les salariés et les retraités ayant supporté 60 % des efforts de rééquilibrage depuis vingt ans et les en treprises 40 %, il doit y avoir un rééquilibrage possible », plaide Philippe Pihet.

Un nouveau tour de vis sur les pensions est tout aussi difficilement imaginable, vu le coût politique qu’a déjà représenté pour les syndicats signataires de 2013 la sous-indexation des pensions. « Le gouvernement s’est empressé de s’engouffrer dans cette brèche pour geler les pensions du régime général en 2014 », rappelle Patrick Poizat (CFTC). D’autant que, là encore, l’impact sur les réserves serait limité : si le gel en euros courants des pensions dégageait une économie de près de 1,4 milliard d’euros dès 2016, l’horizon d’épuisement des réserves ne serait au mieux repoussé que d’un an.

Conséquence, « le report de l’âge de départ reste le principal levier pour assurer l’équilibre des régimes, sous quelque forme que ce soit », plaide le clan patronal. « Le Medef va revenir avec sa proposition de déconnecter l’âge de départ sans abattement dans les régimes complémentaires de l’âge légal de départ du régime général », anticipe Serge Lavagna.

Vers un recul de l’âge légal

À la demande du patronat, les services Agirc-Arrco ont déjà chiffré l’impact d’un décalage de l’âge d’ouverture des droits de six mois par an jusqu’à 64 ans à partir de la génération née en 1956, complété par un report parallèle de l’âge d’atteinte du taux plein sans décote (de 67 à 69 ans) et de l’âge d’accès aux carrières longues. Résultat, à population active inchangée, la mesure rapporterait 810 millions d’euros dès 2017 et 3,4 milliards d’euros en 2020, tandis que l’horizon d’épuisement des réserves serait repoussé de cinq ans pour les deux régimes. « Cette mesure revient à abroger l’accord de 2011 prorogeant l’AGFF jusqu’en 2018 », s’étrangle Philippe Pihet, pour qui « il est hors de question que la mise en place d’abattements ne s’accompagne pas de contreparties ». En guise de mesure de repli, le Medef se contente pour l’heure de plancher sur l’impact d’un abattement non pas viager, mais temporaire jusqu’à l’âge d’atteinte du taux plein.

La négociation n’a pas officiellement débuté que ce pavé dans la mare fait déjà débat parmi les négociateurs. Pour la CFTC, la CGT mais aussi la CFDT, échaudées par le précédent de 2013, « l’Agirc-Arrco n’a pas à jouer les poissons pilotes du gouvernement en anticipant un nouveau recul de l’âge », tonne Patrick Poizat (CFTC). « Les régimes complémentaires doivent rester arrimés au régime de base », renchérit Jean-Louis Malys (CFDT). Un argument susceptible toutefois de se retourner contre ces syndicats dans le cas où l’opposition, qui ne fait pas mystère de son souhait de repousser l’âge légal, reviendrait au pouvoir en 2017. A contrario, le camp patronal ne se prive pas d’en appeler à la responsabilité des partenaires sociaux en tant que gestionnaires : « Il est difficile de revendiquer une autonomie de gestion vis-à-vis des pouvoirs publics sans en faire la preuve dans la négociation… même si ce n’est pas sans risque politique », résume un observateur. Le patronat et les syndicats ont maintenant six mois pour trancher ce nœud gordien. V. D.

La der des der pour l’Agirc

Avec l’épuisement de ses 7 milliards d’euros de réserves prévu en 2018, l’heure de vérité a sonné pour l’Agirc. « Si rien n’est fait, la retraite complémentaire des cadres, qui représente 57 % de leur pension totale, diminuera de 11 % dès 2018 et même de 14 % d’ici à 2021 », décrypte un responsable du régime. « Il n’y a plus 36 solutions et en tout cas l’Agirc n’a plus les moyens de s’en sortir seule, prévient Jean-Louis Malys (CFDT), qui poursuit : soit on prend des mesures drastiques à l’égard des cadres, soit on revoit l’architecture des régimes en les rapprochant. » Pas question de braquer les syndicats dans la négociation en agitant le chiffon rouge d’une fusion qui ne ferait économiser que 300 millions d’euros de frais de gestion, susurre-t-on côté patronal. « La mutualisation des réserves des deux régimes revient à faire financer par les non-cadres le trou du régime des cadres, ce qui s’apparente à une solidarité à l’envers », tonne Sylvie Durand, administratrice CGT de l’Agirc. « Cela n’aboutit qu’à reculer pour mieux sauter », abonde Serge Lavagna (CFE-CGC).

En attendant, l’idée d’un régime unique progresse. Les services de l’Agirc-Arrco en ont même esquissé, fin septembre, les contours lors d’une réunion du groupe de travail paritaire préparant la négociation. Vu les travaux préalables nécessaires, ce régime complémentaire unique en points, géré par les partenaires sociaux dans une logique contributive, ne pourrait pas voir le jour avant le 1er janvier 2019. Il reposerait sur deux tranches de salaires : la T1, jusqu’au plafond de la Sécu, et la T2 jusqu’à huit plafonds, ce qui implique déjà la fusion de l’ex-T2 de l’Arrco avec les tranches B et C de l’Agirc. Conséquence immédiate, plus d’un cadre sur quatre se retrouverait de facto rétrogradé en T1 du fait d’une rémunération inférieure au plafond. Autre conséquence : la mise en place de ces tranches supprimerait toute référence aux anciennes catégories d’affiliés à l’Agirc qui aujourd’hui incluent les agents de maîtrise et certains assimilés cadres comme les VRP. Avec pour incidence de « poser clairement la question de la disparition du statut cadre, ce qui supposera à tout le moins l’ouverture d’une négociation pour remettre à plat les marqueurs de ce statut », prévient Serge Lavagna. « Au risque d’un écrasement des grilles de classifications et de rémunérations des 650 conventions collectives », s’inquiète Sylvie Durand. V. D.

5,7 milliards d’euros, c’est le déficit de l’Agirc-Arrco en 2013.

2 milliards d’euros d’ici à 2017, c’est la promesse de réduction du déficit faite à Bruxelles.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle