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Les facteurs doivent prendre le pli des services à domicile

Décodages | publié le : 03.12.2014 | Éric Béal

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Les facteurs doivent prendre le pli des services à domicile

Crédit photo Éric Béal

Face à la baisse de volume du courrier, La Poste entend s’appuyer sur les tournées des facteurs pour proposer de nouveaux services aux usagers. Un énorme défi à relever pour l’établissement.

Bonjour, c’est le facteur. J’apporte vos courses. » En Haute-Savoie, dans le Jura et quelques autres départements pilotes, des employés de La Poste jouent les livreurs au cours de leur tournée. Commandés sur Internet, les achats sont préparés par le drive du supermarché local et récupérés par le postier au début de sa journée. Plusieurs centaines de contrats avec des pharmacies dans toute la France sont également honorées. Le facteur se rend alors à l’officine pour récupérer les sachets de médicaments destinés à des particuliers qui ne peuvent se déplacer.

À Saint-Médard-en-Jalles, dans la périphérie de Bordeaux, à Beauvais ou encore Chantilly, d’autres agents rendent visite à des personnes âgées isolées pour le compte d’un centre communal d’action sociale (CCAS) ou d’une mutuelle. « On discute un peu pour voir si la personne va bien, raconte Nicolas Adam, facteur girondin. On a une check-list sur l’interface du smartphone. En cas de problème, on a le numéro de téléphone d’un tiers pour l’avertir »… La direction nationale a même répondu à un appel à projet de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. En Seine-et-Marne et dans la Manche, quelque 4 000 personnes âgées fragilisées ont accepté de répondre aux questions posées par leur facteur. Les résultats ont été utilisés pour identifier plus finement leurs besoins.

Qu’ils le veuillent ou non, le métier des 80 000 facteurs de France est en train d’évoluer. Confrontée à la baisse du courrier enregistrée depuis la montée en puissance d’Internet, la direction nationale de l’opérateur encourage en effet ses troupes à se lancer dans toutes sortes d’expériences commerciales. En utilisant au besoin des affiches publicitaires pour avertir le grand public. « Nous n’avons pas le choix. Nous perdons 6 % de volume de courrier par an depuis 2012 », indique Yann Pouliquen, responsable du développement des nouveaux services facteurs à la direction du courrier. Cette dernière, qui perdait un volume raisonnable de courrier jusqu’en 2007, a vu, depuis, son activité se détériorer. Entre 400 et 900 millions de plis s’évaporent chaque année. Et ce ne sont pas les concurrents qui s’accaparent les volumes disparus. Bien que le monopole de la distribution du courrier soit tombé le 1er janvier 2011, aucun acteur n’est venu défier La Poste sur le marché fragilisé des plis de moins de 50 grammes, qui constituait encore 80 % des envois en 2011.

Expérimentations.

Face à cette évolution mortelle à terme pour l’entreprise, Philippe Wahl, le P-DG, propose de « conquérir de nouveaux territoires » en s’appuyant sur le réseau exceptionnel de bureaux postaux et l’engagement des collaborateurs. Une stratégie qu’il a développée devant son conseil d’administration, en début d’année, lors de la présentation de son plan 2015-2020. Objectif : profiter du passage quotidien des facteurs, qui jouissent de surcroît d’une bonne image, afin d’offrir des services à domicile.

Pour soutenir le développement de cette diversité d’activités, la direction met le paquet. Sylvie François, la DRH groupe, assure disposer de 450 millions d’euros sur les cinq prochaines années pour mettre en place des mesures exceptionnelles de formation aux nouveaux métiers, qui s’ajoutent aux 253 millions de budget annuel. « 80 % des postiers en bénéficieront. Nous allons également proposer un parcours qualifiant à 50 000 d’entre eux pour leur permettre de se positionner sur les nouvelles activités que nous allons déployer », détaille-t-elle.

À l’heure actuelle, les facteurs sont loin de se transformer en professionnels multicartes du service à domicile. « Nous en sommes au stade de l’expérimentation, précise Yann Pouliquen. Le chiffre d’affaires réalisé par les nouveaux services n’est pas significatif pour le moment. » Le défi s’avère d’autant plus difficile à relever que les premiers essais ne sont pas tous concluants. À l’image de celui mené avec le CCAS de Beauvais. « Il ne s’agit pas d’un problème de qualité de service. Mais nous n’avons pas reconduit les visites de personnes âgées cet été car nous nous sommes aperçus que nous pouvions organiser en interne des passages plus nombreux pour moins cher », explique Virginie Boursier, directrice adjointe du CCAS.

Un problème de prix que La Poste se doit de résoudre pour prospérer sur ces nouveaux marchés. Pas simple. « La livraison des courses coûte 15,85 euros, note Alain Romanet, secrétaire général de la Fédération des activités postales et de télécommunications (Fapt) CGT dans le Jura. Or les clients potentiels sont surtout des personnes âgées dont les retraites sont faibles. Pas étonnant que ce service ne décolle pas. » Du côté des pharmaciens, les retours sont divers. Si le président du conseil régional de l’ordre des pharmaciens de picardie « ne voit pas l’intérêt », expliquant que lui et ses confrères assurent déjà ce service eux-mêmes, son homologue de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine en Lozère se dit intéressé. Mais pas question de signer de contrat tant que l’avenir de la poste de sa ville, Nasbinals, à 30 kilomètres de Marvejols, ne sera pas assuré. « La direction départementale de La Poste veut la fermer un ou deux jours par semaine. Si cette option se concrétisait, je prendrais un prestataire privé. »

Scepticisme et critiques.

Les difficultés ne sont pas moins nombreuses en interne. Quand bien même il n’y a pas d’opposition systématique de la part des partenaires sociaux, qui adoptent une position pragmatique. « Nous sommes conscients de la nécessité de renouveler le métier de facteur, avertit Jacques Dumans, secrétaire général de FO Com. Nous souhaitons juste que les nouveaux services entrent dans le cadre des missions de service public. » Le syndicaliste se montre néanmoins sceptique quant à la possibilité de réaliser les 200 millions d’euros de chiffre d’affaires prévus pour 2015-2016. Sur Releveo (voir ci-contre), par exemple, « les besoins sont minimes et n’apportent pas un volume d’activité significatif. Quant à Recy’go, les marges sont trop faibles, ce qui pose la question de sa rentabilité », estime-t-il. Des critiques que Yann Pouliquen balaie d’un revers de main : « Recy’go réalisera un chiffre d’affaires de 5 millions d’euros en 2014. Pas si mal pour un service qui n’existait pas il y a deux ans. Les autres services totaliseront un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros. Mais nous n’avons pas encore assez de recul pour savoir ce qui marche vraiment ou pas. »

Sébastien Delabarre, secrétaire fédéral à SUD PTT, affiche, lui, une position critique sur ces nouveaux métiers. « L’outil de travail n’est pas adapté à tous les services proposés, relève-t-il. Et la transformation du rôle social traditionnel du facteur en prestation de services payante n’est pas acceptable. Assurer du lien social avec les personnes âgées a toujours fait partie du service public. » Une position partagée par Luc Grolé, membre du bureau de la Fapt CGT, qui souligne les conséquences des transformations en cours sur les conditions de travail. « On ajoute des tâches aux facteurs tout en supprimant des postes grâce aux départs en retraite. Nous en sommes à 90 000 postes en moins dans les dix dernières années. Et 5 000 postes ont de nouveau été supprimés au premier semestre 2014. À force, la qualité du service rendu en pâtit. »

Journées à rallonge.

Sur le terrain, certains se montrent pourtant enthousiastes. Comme Damien, travaillant à Jussac, dans le Cantal, qui a testé Recy’go et Releveo. Et en redemande. » Plus nous aurons de travail sur les nouveaux services, moins nous subirons de suppressions de tournées », estime-t-il. Autre convaincue, Martine, qui s’occupe des entreprises de Coulommiers, en Seine-et-Marne. Une fois par semaine, elle récupère cinq à six bacs remplis de papier à recycler dans une entreprise d’électricité. « Ça ne me prend pas beaucoup de temps et c’est bon pour l’environnement », souligne-t-elle. Tout en s’inquiétant des conséquences sur la durée de sa tournée si les clients se multiplient.

Cette problématique se pose déjà pour Sébastien Bardou, membre du bureau de SUD PTT Haute-Savoie, qui dénonce « les heures de travail bénévole » imposées à certains de ses confrères. « À force de réorganisations et de suppressions de postes, les tournées ont été tellement allongées que les facteurs sont obligés de travailler plus longtemps pour parvenir à livrer tout leur courrier. Sans compensation ni reconnaissance. Alors imaginer que l’on peut leur imposer des services supplémentaires est tout simplement délirant », affirme-t-il. Une opinion partagée par sa collègue Catherine Stolarz, secrétaire générale de la Fapt CGT du Doubs. » Nous avons des tournées de quarante-deux heures par semaine et d’autres de cinquante-deux heures trente, avec un ou deux jours de repos glissants accordés en compensation. Faute de collègues pour les remplacer, les rouleurs [remplaçants] accumulent leurs jours de repos. À la fin de l’année, certains en ont jus qu’à 20 au compteur. »

La direction pourrait tirer un bilan des expériences menées ces dernières années sur les nouveaux services lors de la présentation des résultats du groupe en février 2015. Mais si elle veut transformer ses facteurs en prestataires multicartes de services quotidiens, elle devra revoir leurs conditions de travail. Une gageure, alors qu’elle vise à réduire ses coûts de production depuis dix ans.

VOLUME DU COURRIER

En milliards de plis adressés en France.

Les “eo” et “go” des nouveaux facteurs

Cohesio, Facteo, Porteo, Releveo, Facileo ou Recy’go. Derrière ces petits noms se cache une palette de propositions de s ervices parallèles à la distribution de courrier.

– Cohesio rassemble les services à caractère social. Dès juillet 2013, des facteurs franciliens et normands ont fait remplir des questionnaires à des personnes en situation de fragilité, sur la demande des caisses régionales de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. À Rennes, des offres d’emploi auprès d’entreprises ont été collectées pour la mission locale.

– Facteo est le nom du smartphone qui équipe de plus en plus de postiers. Il est utilisé pour faire signer des recommandés aux usagers ou vérifier une procuration. Il peut également prendre des photos « horodatées, géolocalisées et certifiées, en cas de menu sinistre chez un particulier », explique Yann Pouliquen. Ce service permet aux assureurs d’éviter le déplacement trop onéreux d’un expert.

– Porteo transforme le facteur en livreur. Courses, médicaments, produits culturels d’une médiathèque, la liste peut s’allonger suivant les initiatives locales.

– Releveo offre de relever les compteurs des entreprises du secteur de l’énergie : 20 000 relevés sont d’ores et déjà effectués chaque année dans 80 départements, surtout en campagne ou en zone montagneuse.

– Facileo consiste à récupérer des informations. Un opérateur téléphonique a ainsi confié aux facteurs le soin de relever les adresses des syndics dans les halls d’immeubles en Normandie.

– Recy’go s’adresse aux patrons de PME. Une fois par semaine, le facteur récupère les papiers de bureaux dans un bac à courrier pour les confier à un professionnel du recyclage en France.

Pour leurs multiples activités, les facteurs disposent de smartphones.

Auteur

  • Éric Béal