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Idées

Le droit à la déconnexion est-il réaliste ?

Idées | Débat | publié le : 04.11.2014 |

Encore balbutiant dans les entreprises, le droit à la déconnexion fait petit à petit son chemin, notamment au titre de la prévention du stress. Mais, difficile à mettre en œuvre, il implique le plus souvent une autodiscipline délicate à encadrer.

Marie-José KotlickiSecrétaire générale de l’Ugict CGT.

De plus en plus d’adhérents et de salariés se plaignent de la qualité de leur vie au travail et donc de la qualité même du travail effectué. 75 % des cadres utilisent les nouvelles technologies de l’information (NTIC) mises à disposition par leur entreprise sur leur temps personnel et 27 % durant leurs vacances, selon une enquête Viavoice que nous avons réalisée. 60 % des techniciens constatent une intensification du travail par l’usage des NTIC, et 45 % un débordement du travail sur la vie privée. C’est la dictature de l’urgence. Comme nous sommes interrompus au bureau toutes les quatre minutes, beaucoup profitent d’être chez eux pour réaliser au calme des tâches nécessitant de la concentration. Agir sur le droit à la déconnexion, c’est agir sur la santé au travail, mais aussi sur un plan économique. Les salariés travaillent en moyenne 39,5 heures par semaine, les cadres 44,1 heures. Réduire le temps de travail est le meilleur moyen de lutter contre le chômage : le ramener réellement à 35 heures libérerait l’équivalent de 2,7 millions d’emplois.

Mais rares sont les entreprises à agir. Quelques chartes fleurissent, mais elles relèvent plus du slogan que de l’instauration d’un droit réel. À l’instar de ce qui a été fait en Allemagne, où le droit à la déconnexion est devenu un principe législatif, nous réclamons des négociations dans chaque entreprise sur l’utilisation des outils numériques prévoyant notamment des plages de trêve de mails et le renforcement de la réglementation du télétravail. Il faut également que les entreprises aient un véritable suivi des charges de travail. Il est illusoire de croire que chacun va s’autodiscipliner. Qui plus est, c’est reporter une responsabilité collective sur un individu. Alors que l’employeur a une obligation légale de santé et de sécurité au travail, qu’une loi sur la prévention du stress a été adoptée et que la qualité de vie au travail devient un champ de négociation. Conséquemment à la bataille de l’Ugict CGT, la France a été condamnée par le Comité européen des droits sociaux, et de nombreux accords de forfaits jours ont été annulés par les tribunaux. Nous avons déjà interpellé le Comité national de lutte contre la fraude pour agir contre le travail dissimulé des cadres. Si on continue à dévier encore sur l’usage intensif des NTIC, nous comptons bien saisir à nouveau les autorités européennes compétentes.

Arnaud TeissierAvocat associé au cabinet Capstan.

Non seulement réaliste, le droit à la dé connexion est déjà une réalité dans un certain nombre d’entreprises. De plus en plus d’entre elles envisagent la mise en place de politiques internes pour s’assurer que leurs collaborateurs puissent « décrocher » effectivement du travail. Pratiques spontanées dans un premier temps, les supports sont désormais de plus en plus sophistiqués : chartes d’entreprises, voire accords collectifs font aujourd’hui leur apparition. Les nouvelles modalités de l’accord de branche Syntec, adoptées début 2014, en sont une illustration.

Lorsque le choix technique consiste à couper les serveurs passé une certaine heure ou à effacer tous les mails entrants sur la messagerie le week-end ou en vacances, la déconnexion ne se discute pas ; elle s’impose. Lorsqu’elle repose sur un droit ouvert au collaborateur, sur la mise à disposition d’outils lui permettant de se déconnecter, la question de son effectivité peut se poser. Il est alors important de s’assurer, régulièrement, qu’il ne s’interdit pas d’exercer son droit. Les entretiens portant sur la charge de travail et l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle peuvent être l’occasion d’aborder concrètement la question. L’employeur devra par ailleurs s’assurer que son collaborateur maîtrise techniquement les outils lui permettant d’être effectivement déconnecté. À défaut, une formation spécifique devra être mise en place.

Les nouvelles technologies ont bouleversé le rapport au travail. Il est désormais techniquement possible de travailler partout et tout le temps. La prévention des risques psychosociaux impose à l’entreprise de prendre en compte ces enjeux. De nouvelles organisations du travail doivent être envisagées. Sinon, l’employeur pourrait voir sa responsabilité engagée, notamment en cas de surmenage d’un de ses collaborateurs. La consécration du forfait jours – et l’abandon d’un décompte horaire du temps de travail pour les cadres – n’exonère pas l’employeur de cette responsabilité à leur égard. On a glissé d’un contrôle de la durée du travail à un contrôle de l’effectivité du droit au repos. Le droit à la déconnexion doit s’articuler avec ces nouvelles façons d’exercer sa mission. Le collaborateur peut trouver, dans la souplesse qu’elles apportent, de nouveaux équilibres, de nouvelles libertés.

Max Balensi Délégué général de la Fédération Syntec.

Notre branche compte 700 000 salariés, dont 70 % de cadres. 67 % ont un bac + 3 et délivrent en général des prestations intellectuelles de haut niveau. Pour eux, le concept d’autonomie dans le travail est pertinent et revendiqué. Un quart dispose de forfaits jours. Ils n’évoluent pas toujours dans un système de management où il y a une unité de temps, de lieu et d’action. Les outils numériques permettent alors de s’affranchir des notions de temps et d’espace. Quand, en avril 2013, la Cour de cassation a annulé les forfaits jours dans la branche en l’absence de garanties sur l’amplitude horaire, il a fallu négocier des dispositifs permettant de sécuriser les conventions en cours.

La conception d’un droit à la déconnexion en fait partie. C’est le corollaire de l’autonomie. Nous assistons à l’émergence de relations numériques de travail : les salariés peuvent surfer sur Internet au bureau pour traiter d’affaires personnelles et, vice versa, sur le temps familial pour s’avancer par exemple dans leur travail. Une porosité se développe entre vie privée et vie professionnelle. La CFDT et la CFE-CGC avaient proposé une déconnexion entre 21 heures et 7 heures du matin. Ce n’est mal heureusement pas opératoire dans la mesure où on peut travailler dans un cadre international, avec des clients qui ont leurs propres contraintes. Nous devons trouver de la flexibilité tout en préservant la santé des salariés. Selon notre accord d’avril dernier, « l’effectivité du respect par le salarié des durées minimales de repos implique pour ce dernier une obligation de déconnexion des outils de communication à distance ». L’employeur devra veiller à mettre en place des outils de suivi pour contrôler le temps de repos et s’assurer que le salarié peut se déconnecter des outils de communication de l’entreprise.

Le concept de ce droit repose sur une trilogie : la coresponsabilité, le dialogue, le pragmatisme. À chacun de s’autodiscipliner, la limite étant la santé du salarié. Il faut amorcer un changement culturel. La relation de travail est protéiforme et évolue. Nous connaissons des pénuries dans certains métiers. Nous devons nous montrer attractifs pour recruter les meilleurs profils, et la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, le respect des temps de vie de chacun sont des critères importants aux yeux des jeunes générations.

CE QU’IL FAUT RETENIR

En Allemagne, le droit au off line a pris corps grâce au syndical IG Metall. Il y a trois ans, Volkswagen a décidé d’interrompre la réception de mails à des heures indues. Les serveurs ne les dirigent plus vers les smartphones entre 18 h 15 et 7 heures. Chez BMW, plus de 30 000 salariés peuvent travailler hors du bureau ou à des horaires atypiques. Moyennant rémunération.

En France, quelques accords (Accenture, Orange) et chartes ont vu le jour, mais sans être contraignants. Plutôt innovant, l’accord sur le nomadisme signé à BNP Paribas interdit les mails avant 8 heures et après 19 h 30, le week-end et durant les absences du salarié. En 2011, un rapport parlementaire sur la révolution numérique avait appelé les entreprises « à promouvoir le droit à la déconnexion ». Mais il n’a guère été entendu.

REPÈRES

14 600

C’est le nombre de mails reçus par an, par Français, soit 40 par jour, selon ComScore.

Au bureau, nous passons entre cinqet dix heures par mois à les éplucher.

82,9 %

C’est le taux d’usage à domicile des nouvelles technologies pour raisons professionnelles dans le secteur public. Dans le privé, il est de 70,3 %, selon un sondage Viavoice pour l’Ugict CGT. Les fonctionnaires se sentent donc plus envahis que les salariés.