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Un outing toujours très délicat

Dossier | publié le : 04.11.2014 | S. G.

Une majorité de personnes concernées ne déclareraient pas leur handicap : par déni, peur d’être pénalisées ou ignorance. Le seul moyen de les convaincre est de leur faire comprendre qu’elles y trouveront leur compte. Et de le prouver.

J’ai été embauchée il y a un an dans une entreprise dont la DRH m’a dit, lors de mon intégration, qu’elle avait besoin de quelqu’un d’impliqué à 100 %. Je n’ai pas osé parler de mes problèmes de santé. » Les témoignages tels que celui de Nanou abondent sur les forums consacrés à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Notamment de la part de personnes atteintes de maladies invalidantes, invisibles à l’œil nu mais handicapantes au quotidien.

À ce jour, 1,9 million de personnes bénéficient d’une RQTH sur les 9 à 10 millions potentiellement concernées. Cette démarche ne les protège en rien contre le licenciement mais leur permet d’obtenir les aménagements de poste ou de temps de travail qui peuvent leur simplifier la vie. La diversité des réponses apportées par les internautes au dilemme exposé par Nanou montre à quel point déclarer son handicap n’a rien d’évident : « Je me suis retrouvée au placard depuis que j’ai parlé », témoigne Cathy. « J’ai été obligée de parler de ma maladie car je tombe souvent dans les pommes, répond Cécile. Les cadres n’arrêtent pas de me demander si je vais bien, si je ne suis pas trop fatiguée. C’est un peu saoulant. »

Quelques jours après son premier message, Nanou est de retour sur le forum : « Les bruits de couloir ont eu raison de moi. J’en ai parlé à un représentant du CHSCT, qui a transmis à la DHR. On m’a très vite parlé d’aménagement d’horaires. Mais je n’ai pas envie de bénéficier d’un traitement de faveur. » À ce jour, la situation professionnelle de Nanou n’a pas vraiment changé. En revanche, son employeur peut désormais intégrer cette salariée dans le calcul de son taux d’emploi de travailleurs handicapés, nettement inférieur au taux légal de 6 % de l’effectif, qui lui vaut de verser chaque année à l’Agefiph une contribution de 500 fois le smic horaire (soit 4 715 euros en 2014) par travailleur handicapé non employé.

À mi-parcours des objectifs

Et ce n’est pas rien. L’obligation d’employer au moins 6 % de travailleurs handicapés pose des problèmes considérables aux entreprises de 20 salariés et plus. Près de dix ans après l’adoption de la loi de 2005, elles n’ont encore effectué que la moitié du chemin : le taux d’emploi n’est en moyenne que de 3,1 % dans les 42 500 entreprises assujetties.

Ce n’est pas forcément de la mauvaise volonté : il est effectivement difficile de recruter et d’intégrer des collaborateurs handicapés, dont le niveau de qualification (80 % n’ont pas le bac) reste très inférieur aux besoins des entreprises. La solution semble donc toute trouvée : pourquoi ne pas amener ces personnes à déclarer leur handicap ? « Tous les spécialistes nous ont mis en garde contre cette tentation, répond Géraldine Plenier, directrice RSE de Capgemini. La déclaration est une initiative très personnelle qui ne peut se faire que quand le salarié se sent prêt et responsable de sa décision. En revanche, nous pouvons l’accompagner dans la démarche administrative de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, qui est longue et délicate. »

À mesure que les campagnes d’information font leur œuvre, on commence à savoir que 80 % des handicaps ne se voient pas. On ignore en revanche plus souvent que 80 % des handicaps sont acquis à l’âge adulte, après un accident ou une maladie. Une situation souvent difficile à digérer : « Le processus d’acceptation peut être long, observe Olivier Leclercq, délégué régional de la CFDT Ile-de-France, qui a créé un Groupe Ressources Handicap particulièrement actif. Il débute généralement par une phase de grande souffrance durant laquelle tout discours rationnel sur l’intérêt de déclarer son handicap est absolument inaudible. »

« La notion de temps est essentielle, confirme Laurent Ryckelynck, cofondateur de la plate-forme de partage d’expériences Handi-Partage. A fortiori quand la personne est atteinte d’une pathologie évolutive : elle doit non seulement accepter son état, mais se faire à l’idée qu’il va encore se dégrader. » Face à ce genre de situation, Sylvain Gachet, directeur grands comptes à l’Agefiph, a identifié trois types de réactions : « Environ 20 % des personnes atteintes par un handicap le déclarent spontanément, sans que cela leur pose de problème. À l’autre bout du spectre, 10 à 20 % refusent par principe de le déclarer, même si on leur prouve que cela leur simplifiera la vie : elles ne veulent pas être réduites à leur handicap et attendent qu’on les juge sur leurs compétences. La grande majorité de la population se situe entre ces deux extrêmes : parce qu’elles n’ont pas encore accepté leur handicap. Mais aussi parce qu’elles ignorent que leur situation leur permet de bénéficier d’une RQTH : c’est notamment le cas des personnes atteintes par une maladie chronique, une perte sensorielle (auditive ou visuelle), une pathologie cardiaque… Ou parce qu’elles ont peur du regard des autres et de la stigmatisation : c’est particulièrement flagrant dans le cas des maladies mentales ou du VIH. »

Libérer la parole

« Il est totalement contre-productif de faire du rabattage pour inciter les salariés à déclarer leur handicap, conseille Didier Golczyk, conseiller politique handicap d’OETH (obligation d’emploi des travailleurs handicapés, la structure mise en place dans le cadre de l’accord de la branche sanitaire et sociale). La seule solution est de les rassurer et de leur montrer qu’ils y trouveront leur compte. Si, a contrario, ils ont le sentiment qu’un de leurs collègues a été pénalisé après avoir dévoilé son handicap, ils renonceront. » Autrement dit, l’entreprise doit faire ses preuves si elle veut libérer la parole. Elle découvrira alors qu’elle peut, elle aussi, y trouver son compte… et pas seulement financièrement, en allégeant sa contribution Agefiph. Le groupe de BTP Colas, dont les métiers peuvent déboucher sur des invalidités ou des incapacités de travail, en est convaincu : « Pour réussir le maintien dans l’emploi, nous devons être capables d’anticiper, explique Antoine Cristau, responsable de la mission diversité. Aussi, dès que nous identifions les premiers signes d’inaptitude physique (une restriction temporaire d’activité, par exemple), nous organisons un entretien de prévention. Mais nous ne pouvons rien faire de concret tant que le salarié n’a pas entamé une démarche de RQTH. »

Colas a donc diffusé à 35 000 exemplaires l’an passé un fascicule pédagogique expliquant que « le handicap n’est pas une fatalité » et qu’il est « indispensable d’en parler ». Ce qui doit permettre d’aménager la charge de travail, de financer un équipement personnel adapté, de bénéficier d’une surveillance médicale particulière ou de dispositifs de formation spécifiques. Enfin, de clarifier la situation auprès de l’équipe et d’éviter ainsi les incompréhensions.

L’amélioration de l’ambiance de travail est incontestablement l’un des principaux bienfaits de la transparence : « Quand un handicap est pris en charge de façon collective, il finit par disparaître », observe Olivier Leclercq, de la CFDT. En revanche, s’il n’est pas réellement pris en charge, il pourrit l’ambiance : « Quand le salarié doit constamment demander de l’aide à ses collègues ou qu’il ne peut assumer certaines tâches, ses collègues font généralement preuve d’empathie. Mais quand celle-ci s’estompe, les tensions apparaissent de façon presque inéluctable », poursuit-il. Et pas seulement par manque de générosité des collègues : le salarié handicapé vit souvent très mal ce genre de situation. La faute à une culture managériale qui a encore du mal à intégrer la différence : « En Grande-Bretagne, 25 % de la population active a déclaré un problème de santé, observe Didier Golczyk. L’idée que cette déclaration débouchera réellement sur un aménagement de poste est intégrée par tous. » « Le problème, c’est que les politiques handicap sont trop souvent déconnectées de la gestion des carrières, ajoute Diego Melchior, secrétaire régional de la CFDT Ile-de-France. Elles n’ont de sens que si elles sont intégrées à la réflexion sur la sécurisation des parcours professionnels et à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. » Ce sera sans doute la prochaine étape des accords handicap.

Auteur

  • S. G.