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Idées

Chômage de longue durée : a-t-on tout essayé ?

Idées | Débat | publié le : 03.10.2014 |

Décrété « cause nationale » par le président de la République lors de la conférence sociale de juillet, le chômage de longue durée n’a pourtant pas été traité comme un thème prioritaire par le patronat et les syndicats dans leur agenda social. Un aveu d’impuissance ?

Bertrand Martinot Économiste, ancien directeur de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle

Le chômage de longue durée est évidemment inséparable de la persistance dans notre pays d’un chômage de masse qui renvoie lui-même à des blocages profonds touchant, entre autres, le fonctionnement de notre marché du travail. Il met aussi en lumière trois caractéristiques nocives de nos politiques de l’emploi et de la formation. L’inadaptation de notre système de formation professionnelle, tout d’abord. La grande majorité des chômeurs de longue durée souffre d’un déficit de formation, dont essentiellement de formation initiale. Lequel n’est pas corrigé par un système de formation continue dont l’une des grandes caractéristiques est d’être globalement antiredistributif. À cet égard, on peut regretter que la nouvelle réforme n’aboutisse pas véritablement à réduire ces inégalités. Le nouveau compte personnel de formation repose sur un financement mal assuré, ne met pas l’accent sur ceux qui ont le plus besoin de formation et, en particulier, ne flèche pas davantage de fonds vers les chômeurs et vers les salariés en reconversion.

La mauvaise allocation des ressources de notre politique de l’emploi, ensuite. Ce que démontrent amplement les comparaisons européennes. Trop de crédits sont dépensés en faveur de contrats aidés non marchands, à la fois coûteux et ineffi­caces, alors que des aides massives à l’embauche dans le secteur privé et ciblées vers les chômeurs de longue et de très longue durée seraient bien plus pertinentes.

De même, plus de crédits devraient être consacrés à l’accompagnement renforcé vers l’emploi, à des prestations confiées à un service public de l’emploi davantage soucieux de performance et davantage ouvert à des opérateurs privés pour les chômeurs les plus en difficulté. Enfin, on doit aborder la question taboue des effets pervers de l’assurance chômage et du RSA. Le débat lancé par le ministre du Travail sur le contrôle de la recherche d’emploi, qui n’est pas qu’une question de coercition mais qui peut être abordé également du point de vue du soutien à la recherche d’emploi et de la lutte contre le découragement, méritait mieux qu’une polémique stérile. De même devrait être posée la question de la gestion très passive du RSA par de nombreux conseils généraux. Pourquoi ces questions essentielles ne sont-elles pas davantage présentes dans le débat public ?

Frédéric Lerais Directeur de l’Ires.

La crise enclenchée en 2008 a entraîné une augmentation du chômage de longue durée dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE. Cette situation est inquiétante. Cependant, les chômeurs de longue durée constituent une population très hétérogène. Par exemple, la majeure partie des demandeurs d’emploi inscrits dans les catégories A, B et C depuis douze mois et plus a alterné des périodes d’emploi et de chômage. Ces demandeurs d’emploi sont donc dans une situation plus favorable pour le retour à l’emploi que ceux qui n’ont pas travaillé du tout. Et l’on pourrait même penser que ces dispositifs qui visent à favoriser l’insertion se traduisent par un effet mécanique sur la mesure du chômage de longue durée. Celui-ci constitue donc un indicateur très imparfait de l’éloignement du marché du travail et des obstacles que rencontrent certaines populations.

Quels sont les leviers pour améliorer la situation ? L’évolution du chômage de longue durée est sensible aux variations de l’emploi. Au niveau macroéconomique, cet indicateur suit la croissance de l’emploi avec retard. En d’autres termes, une partie des personnes éloignées du marché du travail seront en mesure de retrouver un emploi lorsque l’emploi redémarrera, ce qui relativise grandement le concept d’employabilité. Pour d’autres, la reprise d’emploi s’effectuera plus lentement, en fonction du contexte local du marché du travail. Mais il demeurera un noyau dur de personnes en difficulté qui appelle des politiques spécifiques d’insertion.

Aujourd’hui, plusieurs dispositifs existent pour répondre à ces différentes situations de chômage de longue durée. Il n’est pas nécessaire d’en rajouter. On peut, en revanche, s’interroger sur l’orientation générale des politiques économiques et sur leur impact sur l’insertion. Les politiques de l’emploi mélangent souvent deux objectifs : celui de limiter l’évolution du chômage dit conjoncturel et celui de favoriser l’insertion des personnes les plus éloignées de l’emploi. Ces deux objectifs tendent à se cannibaliser. Il y a un arbitrage à effectuer entre volume et qualité. Les mesures d’insertion sont mises en difficulté lorsque la politique de l’emploi cherche à compenser une politique macroéconomique et budgétaire restrictive qui pèse sur la dynamique générale de l’emploi.

Jean-Pierre Revoil Ancien directeur général de l’Unedic. Membre de Solidarités nouvelles face au chômage

La crise économique attaque sa septième année d’existence. Au 31 juillet 2014, Pôle emploi a dénombré près de 2,2 millions de demandeurs d’emploi de plus d’un an d’ancienneté dont 655 000 de plus de trois ans. Il est impératif de se préoccuper de ces chômeurs de longue durée. Non, on n’a pas vraiment tout essayé. Il existe des dispositions à mettre en œuvre rapidement. Elles sont de deux types : accompagner le chercheur d’emploi en difficulté et stimuler une offre appropriée. Le retour à l’emploi de ces personnes longuement inactives nécessite un accompagnement personnalisé qu’elles ne trouvent pas dans les pratiques actuelles de Pôle emploi. Il faut absolument, au-delà du neuvième mois de chômage, ajuster tous les six mois le projet personnalisé d’accès à l’emploi établi dans les mois d’après-inscription. Il s’agit de mettre en place un suivi continu et renforcé de reprise de confiance, de réorganisation du mode de recherche, d’aide à la détection d’offres, d’incitation à l’entrée en stage de formation ou de conversion, d’une surveillance médicale et même d’un accompagnement de quelques mois supplémentaires au-delà de l’embauche.

Dans ce contexte, il convient de persuader l’intéressé d’accepter des conditions de reprise d’emploi inférieures aux prétentions antérieures en matière de salaire, de qualification ou de temps de trajet. Pôle emploi, opérateurs privés, collectivités territoriales locales et associations en contact avec les chercheurs d’emploi doivent se coordonner pour assurer le développement et la continuité de ces types de missions. L’autre pan de dispositions consiste à faciliter l’offre d’emploi par des mesures incitatives appropriées. Déjà, il faut porter à la connaissance de tous les chômeurs de longue durée l’ensemble des offres existantes à un niveau géographique très fin : la commune. Au-delà, l’offre d’emploi aux chômeurs de longue durée doit être stimulée par des mesures incitatives du type allégement temporaire et dégressif des charges sociales des employeurs. En outre, il faudrait ouvrir l’accès des inscrits de longue durée aux différents dispositifs actuellement réservés aux seuls primodemandeurs ou moins de 26 ans. Le coût de telles mesures serait largement compensé par l’interruption des aides financières aux chômeurs reclassés : dépenses actives plutôt que dépenses passives. Tout le monde est gagnant.

CE QU’IL FAUT RETENIR

Un chômeur de longue durée est un actif au chômage depuis plus d’un an. À partir de vingt-quatre mois d’inactivité, on parle de chômage de très longue durée.

L’ancienneté moyenne d’inscription sur les listes de Pôle emploi atteignait 529 jours en juillet 2014, soit 32 jours de plus qu’en juillet 2013.

Au premier trimestre 2014, 16,3 millions de personnes étaient au chômage depuis plus d’un an dans les 34 pays de l’OCDE, soit plus d’un tiers des 45 millions de chômeurs recensés.

Au sein des pays de l’OCDE, les chômeurs de longue durée sont près de deux fois plus nombreux qu’en 2007.

REPÈRES

2,17 MILLIONS

C’est le nombre de chômeurs de longue durée inscrits à Pôle emploi à la fin juillet. Cette catégorie de demandeurs d’emploi est celle qui progresse le plus (+ 1,4 % en juillet, et même + 2 % pour les chômeurs inscrits depuis plus de trois ans). En un an, le chômage de longue durée a augmenté de 9,4 %, ce qui représente 186 900 personnes en plus dans cette catégorie.