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Décodages

Pacte de responsabilité : les emplois s’accrochent aux branches

Décodages | Dialogue social | publié le : 03.10.2014 | Nicolas Lagrange

Lancées avec retard, les négociations de branche sur le pacte de responsabilité se multiplient. Sous pression et avec de nombreuses interrogations sur les engagements des fédérations patronales n termes d’emplois.

Des allégements de charges contre des emplois plus nombreux et/ou de meilleure qualité ? Le pari fait par François Hollande avec le pacte de responsabilité semble, pour l’heure, hors de portée, et le gouvernement s’impatiente, lui qui a d’abord affirmé en attendre 200 000 créations nettes d’ici à 2017, avant de se montrer évasif. D’où la convocation des partenaires sociaux des 50 plus grosses branches professionnelles, dont un tiers n’ont pas encore engagé de discussions sur le pacte. « Il faut que les patrons aillent plus vite », a réagi le ministre du Travail, François Rebsamen. Le patronat traîne-t-il les pieds ? Dès le 18 février, avant même la signature du relevé de conclusions avec la CFDT et la CFTC (voir encadré page 34), le Medef a publié 25 engagements pour donner corps au pacte. Pourtant, Pierre Gattaz a beau vanter ce « New Deal » social, ses troupes ne se montrent guère enthousiastes. Il faut dire que son discours ambigu sur les contreparties a pu semer le trouble parmi les chefs d’entreprise… « Il faut se rappeler les doutes qui pesaient alors sur le vote des allégements de charges, acquis seulement le 23 juillet », souligne-t-on au Medef.

Minima écrasés. À ce jour, un seul accord a été ratifié : dans la chimie (près de 150 000 salariés). Un compromis signé mi-juillet par la CFDT et la CFTC côté syndical (37 % des suffrages), dont le gouvernement s’est aussitôt félicité. Que vaut-il exactement ? L’engagement de procéder à 47 000 embauches (en CDI ou en CDD) dans les trois prochaines années correspond au rythme naturel des recrutements, selon la CGT et la CFE-CGC de la branche. « La tendance naturelle des recrutements est de 14 000 par an, précise Jean Pelin, directeur général de l’Union des industries chimiques », soit 42 000 sur trois ans, ce qui impliquerait donc 5 000 créations nettes. « Des emplois qui devraient être à plus de 90 % en CDI, ajoute-t-il. Mais un second défi concerne l’alternance, puisque nous voulons passer de 3 500 jeunes par an à 5 000. » Autre contrepartie : l’accord prévoit d’ouvrir une négociation sur la structure salariale. Il pourrait notamment s’agir de relever certains minima de la grille au-dessus du smic, « écrasés » parce qu’ils ont évolué nettement moins vite que le salaire minimum. Encore faut-il que la négociation aboutisse, après trois échecs au cours des dernières années.

« Globalement, il devient urgent de toiletter les grilles de classifications, obsolètes depuis plus de trente ans pour certaines, d’y intégrer les nouvelles compétences et de revoir les minima, notamment ceux inférieurs au smic, insiste Mohammed Oussedik, responsable confédéral de la CGT. Or les fédérations patronales, qui vont bénéficier des aides, sont très frileuses. Pourquoi le gouvernement a-t-il accordé des allégements de charges indifféremment, sans les flécher, ni en utilisant mieux la Banque publique d’investissement, vers l’industrie et vers les entreprises qui en ont le plus besoin ? Pourquoi ne pas les avoir conditionnés à la conclusion d’un accord majoritaire, comme au moment de la mise en place des 35 heures ? » Un constat en partie partagé par Jean-Marie Pernot, chercheur à l’Ires : « Les 35 heures ont dynamisé la négociation ­sociale dans les entreprises et créé des emplois. Reste que la situation économique actuelle limite considérablement les marges de manœuvre dans certaines branches et qu’il est compliqué d’obtenir des engagements de recrutements des entreprises. » À tout le moins, la CGPME considère que « le pacte sauvegardera des milliers d’emplois dans des entreprises au bord du gouffre ».

Dans le secteur sinistré des travaux publics (près de 250 000 salariés), les fédérations patronales, mais aussi quatre syndicats sur cinq, ont interpellé le gouvernement en vue d’obtenir des garanties sur les commandes publiques. Difficile aussi d’envisager des créations nettes d’emplois dans les assurances (près de 150 000 salariés), où les partenaires sociaux se sont réunis trois fois depuis la fin mai. « La branche est confrontée au défi de la digitalisation, souligne José Milano, directeur des affaires sociales de la FFSA. Malgré plusieurs milliards d’euros de prélèvements supplémentaires récurrents depuis 2009, nous sommes prêts à jouer le jeu. Nous souhaitons développer l’employabilité des collaborateurs et leur maîtrise des nouvelles technologies, via notamment des certifications professionnelles, et favoriser la formation, l’apprentissage et les créations d’emplois à destination des jeunes et des seniors. »

Pour Luc Mathieu, secrétaire général de la Fédération CFDT banques et assurances, « il faut lutter en priorité contre la surqualification des nouveaux embauchés, qui pénalise les plus faibles, recruter davantage d’alternants, de salariés en situation de handicap et de seniors, ce qui passe par de gros efforts financiers de formation. La banque et l’assurance doivent accepter d’y consacrer une partie essentielle des 2 milliards d’euros d’économies que représentent le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), les réductions de charges et les allégements fiscaux d’ici à 2020 ».

Débattre stratégie. « L’enjeu majeur des négociations n’est pas de brandir un engagement chiffré sur les recrutements, estime Véronique Descacq, numéro deux de la CFDT, c’est bien de réfléchir aux défis du futur dans chaque secteur d’activité pour anticiper au mieux les investissements nécessaires et l’évolution des compétences, s’y préparer et promouvoir de nouveaux emplois de qualité. Ce qui suppose que les organisations patronales, envieuses du modèle allemand, acceptent de débattre de la stratégie, à l’instar de ce qui se passe dans la métallurgie. » L’UIMM et quatre syndicats sur cinq de la métallurgie ont en effet signé en mai un complément à l’agenda social, une approche « novatrice », selon Jean-François Pilliard, délégué général de l’union patronale. « Si l’on veut prendre des engagements pertinents, il faut impérativement avoir un dialogue économique permanent. Dans le cadre du pacte de responsabilité, nous avons mesuré l’impact des allégements de charges pour la métallurgie, présenté aux syndicats une étude sur la situation économique et la répartition de la valeur ajoutée, avec un focus sur les investissements, et planché sur l’évolution prévisionnelle des emplois et des structures de qualification. »

Le secteur, qui perd chaque année près de 1,5 % de ses effectifs (estimés à 1,5 million), ne peut s’engager sur des créations nettes, mais pourrait se fixer des objectifs plus ambitieux en matière d’alternance, de recrutements à moyen terme, de contrats de génération ou de GPEC. Dans la plasturgie (130 000 salariés), où les négociations se poursuivent, la hausse de 30 % du nombre d’apprentis est d’ores et déjà actée. À coup sûr, l’alternance devrait constituer un élément clé des pactes de branche. Et si le contenu des accords se révélait décevant ? « Nous faisons confiance aux partenaires sociaux pour négocier de bons accords, argumente-t-on au ministère du Travail. Pourquoi les syndicats signeraient-ils des compromis sans intérêt ? Mais nous ferons régulièrement le point sur l’avancement des négociations et les résultats obtenus. » Via le comité de suivi du CICE, élargi au pacte de responsabilité et à toutes les aides publiques, installé ce mois-ci. « La conditionnalité des aides aux entreprises s’imposera en cas d’échec, avertit Véronique Descacq pour la CFDT, mais nous sommes convaincus que ce nouveau deal entre les entreprises et leurs salariés peut fonctionner à terme. »

À terme ? « Deux à trois ans peuvent être nécessaires, dit-on au Medef, mais le nouveau discours gouvernemental à l’égard des entreprises peut aussi accélérer le retour de la confiance et de la croissance, surtout s’il s’accompagne de mesures incitatives fortes, comme sur le travail dominical. » Et le patronat d’assurer que le pacte est à l’ordre du jour de toutes ses réunions. « Les négociations de branche risquent de se limiter à un accompagnement des prévisions économiques des fédérations patronales, estime Jean-Marie Pernot. Sans débat sur l’évolution de la R & D des entreprises ni sur les rapports entre donneurs d’ordres et sous-traitants, qui entravent le développement des PME et au final l’emploi. » Le futur bilan global du pacte semble d’ores et déjà impossible à dresser, sous forme de créations nettes et d’emplois sauvegardés ou de meilleure qualité, d’autant plus que les résultats, quels qu’ils soient, seront indissociables de l’évolution à venir de la conjoncture.

Les termes de l’accord

Dans leur relevé de conclusions du 5 mars 2014, les signataires demandent aux branches professionnelles d’ouvrir des discussions, voire des négociations, pour aboutir à des « objectifs quantitatifs et qualitatifs en termes d’emploi ». Ces objectifs doivent être d’ordre général (en termes de recrutement, de création d’emplois ou de maintien), impliquer les jeunes (notamment en alternance) et les seniors, « dans le respect de la diversité des branches et de la réalité économique des entreprises. » Les branches doivent travailler sur le développement des compétences et des qualifications (avant tout dans les TPE et les PME), un développement qui s’exercera « notamment via l’accès à une formation qualifiante » et qui « fera l’objet d’une reconnaissance de la part des entreprises », écrivent les partenaires sociaux. À moyen terme, les branches devront aussi « prendre en compte cette montée en compétences dans le cadre de leur négociation sur les classifications ». Chaque branche devra définir les modalités de suivi et d’évaluation des objectifs qu’elle s’est fixés.

Au niveau interprofessionnel, les signataires s’engagent à négocier sur la modernisation du dialogue social (dès ce mois-ci). Ils s’entendent pour discuter des outils nécessaires à une GPEC de branche et territoriale et d’une amélioration des dispositifs de participation et d’intéressement. Deux délibérations imminentes dont la conclusion est programmée pour la fin de l’année.

Auteur

  • Nicolas Lagrange