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Décodages

Les cordonniers mal chaussés du conseil en management

Décodages | Ressources humaines | publié le : 03.10.2014 |

Turnover, formation sur le tas, détection des talents par les managers : tels sont les ingrédients classiques de la GRH des cabinets de conseil. Mais, pression des marchés et évolution des mentalités aidant, elle commence à se formaliser.

Indépendants, très autonomes et dotés d’un ego non négligeable. Pour les gens du métier, les consultants sont des salariés très particuliers qui demandent à leur supérieur de posséder à la fois une grande expérience dans le métier et un vrai savoir-faire managérial. « Gérer des consultants, c’est comme gérer une bande de chats qui n’en font qu’à leur tête », souligne Jean-Claude Merlane, P-DG du cabinet de conseil en management et gestion RH éponyme (70 consultants). Plus classiquement, Mickaël Hoffmann-Hervé, directeur général délégué chargé des RH du groupe Randstad et président de HR Consultancy Partners (100 consultants), sa filiale en conseil RH et gestion des mobilités, parle d’un « fonctionnement qui s’apparente à celui d’une profession libérale ».

Pour autant, ces salariés, eux-mêmes experts en matière d’optimisation des politiques RH, d’organisation et de management d’équipe, de pilotage des carrières, de politique de rémunération, de gestion des compétences ou de conduite du changement, ont besoin d’être managés. Une nécessité tout particulièrement dans les grosses structures comme Altedia (800 consultants), BPI Group (685) ou Algoé Consultants (170). Mais c’est également une problématique dans les structures moyennes comme Alixio (plus de 50) ou bien IDRH (45). Dans son dernier livre, le Conseil en management dans tous ses états (Éditions EMS), Jean-Pierre Bouchez, directeur de recherche et innovation au cabinet IDRH et professeur associé à l’université de Versailles, explique que deux logiques président au management dans les cabinets de conseil RH : la logique hiérarchique et la logique professionnelle. Au début de leur carrière, les consultants attendent de leur manager un suivi personnalisé et des missions valorisantes pour leur permettre de progresser professionnellement. Ceux qui accumulent compétences et expérience peuvent accéder au bout de quelques années au statut de professionnel recherché par les clients et la concurrence. Nombre d’entre eux deviennent alors réticents à toute forme de contrôle hiérarchique. « Ils n’aiment pas trop les reportings ni les contraintes administratives. Mais ils sont très sensibles à leur bonne intégration dans l’équipe, à la qualité du management et à la possibilité de travailler sur des missions intéressantes », note Mickaël Hoffmann-Hervé.

Souplesse oblige. Président d’Oasys Consultants et ancien DG de BPI Group, Éric Beaudouin estime que « la politique RH a beaucoup d’importance pour un cabinet dès qu’il dépasse le seuil de 10 personnes. Car les consultants ont soif d’apprendre et il faut leur permettre de progresser pour les fidéliser ». Pour autant, les politiques RH brillent plutôt par leur absence. Inutile d’en rechercher dans les petits cabinets de moins de 10 personnes – les plus nombreux. Et l’on peut compter sur les doigts d’une main les plus grosses structures qui ont pris la peine de développer une politique de gestion RH. C’est pour marquer la fin d’une période de « fortes turbulences » que BPI Group, l’un des poids lourds du secteur, a recruté en juin 2013 une DRH de métier, Sophie Mauboussin, ancienne juriste à la CGT. Sa mission Mettre en place une organisation dédiée afin de doter ce cabinet international d’une politique RH cohérente, axée sur la formation et la mobilité des carrières. « Il est vrai que les cordonniers n’ont pas été les mieux chaussés toutes ces dernières années », estime Jean-Luc Placet. Le P-DG du cabinet IDRH reconnaît que le turnover, de l’ordre de 10 à 25 % dans la profession, a toujours été le bienvenu pour pouvoir redimensionner les équipes en fonction des aléas de l’activité. « Jusqu’à présent nous gérions nos collaborateurs selon la règle du up or out (voir encadré page 50). Et c’était à peu près tout. » Afin de répondre au même besoin de souplesse, les cabinets plus étoffés ont également recours à des indépendants dans des proportions importantes – 20 % de l’effectif chez HR Consultancy Partners et jusqu’à 30 % chez Altedia, deux cabinets très actifs dans l’accompagnement des restructurations. Une activité où il faut souvent monter une équipe en quelques semaines et, à l’inverse, réduire fortement la voilure à la fin d’une mission. « On trouve des gens de très bon niveau sur le marché. Ils ont créé une structure légère et offrent leurs services en sous-traitance à des prix très concurrentiels », indique un manager dans un grand cabinet. Or, dans le conseil, le prix est un argument qui a pris du poids ces dernières années. « Un consultant avec quelques années d’expérience valait 1 100 euros la journée en 2000, indique Jean-François Carrara, directeur associé chez Algoé Consultants, responsable du domaine emploi et mobilité. Aujourd’hui, certaines entreprises refusent de payer plus de 600 euros pour des missions de plusieurs mois. » Les tarifs des managers expérimentés sont cependant plus élevés, de 1 000 à 3 000 euros, selon l’expérience et le prestige de l’individu comme de sa structure.

Pour Éric Lhomme, directeur des activités performance RH chez Altedia, « le up or out et les vacataires sont utilisés par tout le monde car le coût d’un consultant doit être adapté à ce que le client est prêt à payer. Mais certains cabinets ont organisé des parcours internes pour développer les compétences de leurs consultants. L’objectif est de limiter les charrettes en cas de baisse d’une activité et de pouvoir redéployer les salariés vers les activités qui marchent mieux ». Un système revendiqué par Algoé Consultants. « Chez nous, la polycompétence est organisée dès le recrutement. C’est le rôle des managers et des consultants seniors de permettre aux juniors de progresser », indique Philippe Bonnefond, DRH du cabinet d’origine lyonnaise. Algoé propose cependant peu de formations à ses salariés car un consultant est censé maintenir une veille par lui-même. Mais un comité de pilotage recompose les équipes en permanence, suivant les missions. « Les membres du comité de pilotage associent un débutant à un ou plusieurs seniors expérimentés car ce métier s’apprend d’abord sur le tas », poursuit-il.

Mais pour bien fonctionner, cette gestion particulière des ressources humaines doit s’appuyer sur des managers de proximité compétents et à l’écoute. Ce qui ne correspond pas toujours à la réalité. « Dans ce métier, les n + 1 sont peu nombreux à être formés au management. Certains consultants seniors ont obtenu du galon parce que la direction voulait les garder sans les augmenter démesurément. Ils n’ont ni le goût ni l’intérêt pour le job et les équipes en souffrent », estime Thierry Louis, délégué syndical CFDT chez Algoé. Autre problème, le manager n’a pas toujours la possibilité de proposer une mission nouvelle aux volontaires. Ou alors, c’est le client qui exige des consultants expérimentés et empêche la formation sur le tas.

La GRH dans les cabinets de conseil est cependant en train d’évoluer. « Tout le monde fait de la gestion prévisionnelle des compétences depuis quelques années », estime Jean-Luc Placet, P-DG d’IDRH. D’abord parce que les consultants eux-mêmes ont changé. Comme ailleurs, les trentenaires ne sont plus prêts à sacrifier leur vie personnelle à leur job. Après une mission difficile, ils sont nombreux à réclamer de travailler sur quelque chose de plus aisé pendant quelque temps, ce qui nécessite de disposer de remplaçants et de planifier au mieux les interventions. Crise aidant, ils sont également moins enclins à partir et le taux de turnover baisse, ce qui grippe la gestion traditionnelle des équipes. De leur côté, les clients sont plus exigeants car ils sont confrontés à des situations plus complexes qui nécessitent l’intervention coordonnée de plusieurs compétences. Enfin, les prix baissent. Ces évolutions poussent les directions de cabinet à mieux organiser le travail des équipes et le développement de leurs compétences. Et cela commence par une gestion des ressources humaines digne de ce nom.

Reclassement. Chez Alma Consulting, dont la unit performance RH comprend 300 personnes, les consultants bénéficient de deux entretiens annuels, de formations régulières et d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) pour accompagner l’évolution des métiers. « Les consultants positionnés sur des métiers en difficulté bénéficient d’une cellule de reclassement », précise Tiphaine Verneret, la DRH. Pierre Beretti, le P-DG d’Altedia, souhaite pour sa part que ses équipes « disposent, à l’intérieur, des outils que nous proposons aux clients ». Un accord de GPEC est en cours de négociation. L’objectif est de pouvoir mettre à jour les compé­tences techniques comportementales et managériales des salariés. « Nous voulons passer d’une somme d’entrepreneurs à un collectif plus coopé­rant, plus intégré, travaillant sur des projets de façon plus transversale », indique le P-DG.

Même réflexion chez Sodie (Groupe Alpha), spécialisé dans l’accompagnement des mobilités professionnelles. « Avec la loi sur la sécurisation de l’emploi, les délais de réalisation des missions sont plus contraints. Cela suppose d’être moins soliste et de travailler davantage en équipe. Parce que les problématiques des entreprises relèvent de plusieurs savoir-faire, nous avons développé des méthodes de travail en mode projet. Cela engendre des chantiers RH importants », note Cathy Saint Julien. La DRH du groupe veut sortir d’une gestion où « tout le monde fait tout » et contribuer à forma­liser les emplois types ayant émergé ces dernières années : animateurs territoriaux, responsables de mission complexe ou responsables d’équipe centrale d’analyse. « Nous travaillons sur une cartographie des emplois couplée à une grille de qualifications afin de pouvoir proposer des itinéraires professionnels aux consultants et favoriser les mobilités fonctionnelles », poursuit-elle.

Les postes de managers vont aussi bénéficier d’une analyse de contenu, de manière à « évoluer de la cooptation du manager le meilleur dans son métier à la désignation de celui qui dispose des aptitudes managériales attendues ». Ancien du Groupe Alpha, Martin Richer regrette de voir le management des cabinets se banaliser. « On adopte la GRH de nos clients, axée sur les perfor­mances individuelles à court terme. Or il faudrait développer des pratiques qui favorisent la collaboration des consultants et permettent leur créativité. » Un constat un brin nostalgique.

REPERES

5 MILLIARDS D’EUROS

C’est le chiffre d’affaires du conseil en management, dont 6 % en GRH.

28 000 À 30 000

C’est le nombre de consultants en France.

Source : Syntec Conseil en management.

Up or out ?

Développée par le cabinet d’avocats Jones Day (Cleveland) dans les années 1920, cette méthode a été reprise par Martin Bower chez McKinsey pendant les années 1950 et 1960. Elle a été ensuite adoptée par tous les cabinets de consultants américains et nombre de leurs concurrents internationaux. Elle consiste à établir une hiérarchie entre les consultants : de juniors à seniors, puis manager, chef de projet et enfin partner. Ceux qui se font remarquer pour leurs compétences et leur personnalité peuvent espérer grimper les échelons – c’est le up ou promotion. Les autres végètent et finissent par s’ennuyer, et partir – c’est le out ou démission. Au besoin, un manager leur fait comprendre que le cabinet ne peut leur assurer un avenir et leur propose un accompagnement pour réfléchir à la suite de leur carrière. Ancien consultant faisant fonction de DRH chez BPI Group, Philippe Pastre y a créé des outils de gestion de carrière. « Ces gens délivrent des prestations intellectuelles à haute valeur ajoutée. Ils sont censés se prendre en main et l’on peut discuter avec eux de leur avenir en leur proposant un bilan de carrière et des formations pour rebondir. » Chez Altedia, Éric Lhomme est directeur des activités performance RH. « Je manage des jeunes qui réalisent des enquêtes de rémunération. Certains sont bons, mais ils manquent d’assurance pour s’imposer devant le client et ne parviendront pas à devenir consultants. À un moment, ils s’en rendront compte et partiront d’eux-mêmes. »