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François Chérèque

Actu | Entretien | publié le : 03.10.2014 | Emmanuelle Souffi

L’ancien syndicaliste, qui prépare un rapport sur la lutte contre la pauvreté, fustige la complexité de nos dispositifs sociaux, qui entrave le recours aux droits.

Après avoir légèrement reculé entre 2011 et 2012, la pauvreté s’aggrave. Le plan lancé en 2013 a-t-il servi à quelque chose ?

Il est difficile de mesurer l’impact d’un plan adopté voilà un an sur le taux de pauvreté actuel. Mais je crains qu’il ne le fasse pas reculer, car on subit encore les effets de la crise bancaire de 2008 qui s’est surajoutée à une situation économique déjà dégradée. Deux phénomènes se télescopent : ceux qui ont acquis des droits grâce à leur travail sont en train de les perdre et sombrent dans le chômage de longue durée, et une partie des jeunes commencent leur vie professionnelle par des emplois précaires. La pauvreté des seniors et des moins de 18 ans qui sont issus de familles monoparentales s’accroît. C’est l’effet différé de la crise. Nos amortisseurs sociaux, qui ont tenu jusque-là, ne jouent plus leur rôle.

La pauvreté a-t-elle changé de visage ?

Elle touche de plus en plus d’enfants qui vivent dans des familles défavorisées ou monoparentales. La pauvreté des moins de 18 ans est deux fois plus importante que celle des plus de 60 ans ! Notre amortisseur social fonctionne toujours pour les retraités. Avec 792 euros par mois, l’allocation de solidarité aux personnes âgées est le plus élevé des minima sociaux. Un retraité peut être pauvre, mais il sombre rarement dans la grande pauvreté. À la différence des jeunes élevés par un seul parent, leur mère le plus souvent. La part des familles monoparentales dans la population pauvre est passée de 20,6 % en 2011 à 22,3 % en 2012. Plus d’un tiers vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Les travailleurs pauvres sont une nouvelle figure de l’exclusion. Ces actifs vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Malgré le discours sur « les profiteurs du système », ce sont des gens qui n’ont pas accès aux droits auxquels ils pourraient prétendre.

Le non-recours aux aides sociales est plus important que le montant des fraudes. Est-ce le cas pour le RSA ?

Le RSA activité est un échec. Le taux de recours est de 32 %. Plus de deux tiers de ceux qui y auraient droit ne le demandent pas, ce qui équivaut à 5 milliards d’euros par an non dépensés. La mise en place du RSA activité a donné lieu à une expérimentation que le gouvernement de l’époque a bâclée pour l’étendre à tout le territoire sans conduire d’évaluation sérieuse. Le politique attend des résultats immédiats. Il veut montrer qu’il agit avant de vérifier si ça marche. Cette attitude est très franco-française. Or la complexité du système décourage plus d’un allocataire. Leurs revenus étant irréguliers à cause de la précarité, les indus sont fréquents. En 2012, un allocataire sur deux en avait reçu au moins un au cours de l’année. Ensuite, le dispositif n’est pas toujours connu, ce qui prouve bien que les gens ne courent pas après la prime. Enfin, une partie des travailleurs redoutent d’être stigmatisés et répugnent à être considérés comme « assistés », alors même qu’ils ont une activité.

Pourquoi cette réalité est-elle tue ?

Il y a une forme de refus de reconnaître la complexité de notre système social. Il est plus facile de pointer les tricheurs et de laisser supposer qu’ils sont nombreux que d’interroger l’efficience de nos dispositifs. Notre modèle est généreux, mais on ne sait pas le réformer. Le politique ne supporte pas de se mettre à dos une partie de la population lorsqu’il y a des perdants. Du coup, il élabore des mesures de compensation qui se superposent et qui rendent le tout illisible. Je vais prochainement rendre un rapport sur la pauvreté et le handicap à la secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion. Concrètement, un adulte handicapé perdant son allocation touche alors le RSA, qui est d’un montant moins élevé, mais ce n’est pas automatique. Ce morcellement de dispositifs avec des minima qui ne sont pas les mêmes provoque des ruptures de droits difficiles à comprendre. Il n’y a pas de logique ! On fait des politiques pour les retraités, les pauvres, les handicapés, les jeunes, alors que la question globale est celle de l’accès aux soins, à l’emploi, au logement… Le non-recours aux droits étant lié à cette complexité administrative, il faut simplifier en retenant, par exemple, les mêmes bases de ressources pour l’attribution des allocations. Et automatiser davantage. Un retraité qui touche l’allocation de solidarité doit faire tous les ans une demande pour percevoir l’aide à la complémentaire santé qui n’est pas automatique. Nos systèmes ne se parlent pas entre eux et c’est dommageable pour l’ensemble de la collectivité.

Comment expliquez-vous que le discours sur l’assistanat perdure ?

C’est un discours qu’une partie de la population souhaite entendre. Celle qui travaille, paie des impôts, souffre parfois, a le sentiment de ne pas être considérée. Par incapacité à agir et à tenir leurs promesses, certains politiques ressortent ce vieux débat à chaque dégradation du marché de l’emploi. Mais l’argument est un peu court pour expliquer la montée du chômage…

Dans un premier rapport d’évaluation du plan de lutte contre la pauvreté, vous plaidiez en début d’année pour la fusion de la prime pour l’emploi et du RSA activité…

Que ce soit sur la garantie jeunes, la hausse des minima sociaux, du plafond de la CMU-C, le gouvernement a tenu ses promesses. Sauf sur la construction de logements sociaux et l’enga­gement de fusionner le RSA activité avec la prime pour l’emploi. Cette réforme qui doit être conduite à l’automne est urgente. Au moment de la création du RSA, il y a eu un loupé de la précédente majorité qui fustigeait l’assistanat sans aller jusqu’au bout de sa logique en fusionnant ces deux dispositifs. Le gouvernement Fillon l’envisageait mais à coûts constants. On aurait donc augmenté le nombre de bénéficiaires mais sans accroître l’enveloppe budgétaire. Les perdants auraient été nombreux. Aujourd’hui, une partie des allégements de charges sociales promis va être affectée à la fusion PPE-RSA. J’entends déjà certains dire que l’on va financer la précarité. Mais ceux-là n’ont pas trouvé la bonne méthode pour la faire reculer. C’est un coup de pouce aux travailleurs pauvres et modestes, et aux 18-35 ans précaires. Aussi une mesure de justice sociale. Tout l’inverse de l’assistanat puisqu’on aide ceux qui travaillent !

Cet été, 100 millions d’euros ont été débloqués pour atteindre 100 000 jeunes en service civique d’ici à 2017. Est-ce assez ?

Cette hausse est significative mais encore insuffisante pour arriver aux 100 000 jeunes en service civique. Avec ce budget supplémentaire nous pouvons donc en financer 60 000 d’ici à 2017 (35 000 aujourd’hui). À nous d’obtenir du ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports des fonds complémentaires. Le service civique rencontre un vrai succès. Nous recevons quatre demandes pour une mission. Les associations ont parfois tendance à prendre les plus qualifiés. Même si nous accueillerons cette année 5 000 décrocheurs scolaires en service civique, le profil des jeunes est plutôt diplômé : 32 % ont un niveau bac, 43 % un niveau supérieur au bac et seulement 25 % ne l’ont pas. Beaucoup de jeunes se cherchent et cette année de césure leur permet de découvrir des métiers qu’ils ne connaissent pas. Elle leur offre une expérience de vie collective qui est appréciée par les entreprises.

Le gouvernement Valls mène-t-il une politique d’austérité ?

Nous ne sommes pas en cure d’austérité ! Les salaires n’ont pas baissé, le nombre de fonctionnaires non plus, le budget de l’État n’a pas été réduit, contrairement à l’Espagne, à la Grèce ou au Portugal. Il y a des restrictions budgétaires, c’est vrai. Mais c’est plus de la rigueur que de l’austérité. Dans un pays où le PIB augmente faiblement, la seule façon de redonner du pouvoir d’achat aux Français, c’est de faire baisser les charges fixes (transport, logement, énergie) et la fiscalité. En France, le smic augmente automatiquement plus vite que l’inflation ; aller plus vite peut mettre certains emplois en danger.

Le retour de la croissance peut-il faire disparaître la pauvreté ?

Il n’y a pas de recul de la pauvreté sans croissance. Un plan de lutte est indispensable pour accompagner les plus en difficulté durant la crise, mais il ne résoudra pas tout. Et même en cas de redémarrage économique, ceux qui retrouvent les premiers le chemin de l’emploi ne sont pas les plus exclus… Nos politiques vivent encore avec le mythe du retour de la croissance. Leur approche de la crise reste traditionnelle alors que nous vivons une mutation globale de nos modes de production, avec la percée du numérique et l’impératif de la transition énergétique. C’est un autre mode de croissance qu’il faut inventer. Les valeurs et les objectifs de notre modèle social restent immuables, mais il est bâti sur l’idéal de l’emploi stable, du CDI. Il n’est donc pas en mesure de répondre aux besoins des plus précaires. Comment le faire évoluer pour faire face aux mutations du monde du travail ? Voilà l’équation à résoudre.

Grande figure syndicale, François Chérèque a succédé à Nicole Notat à la tête de la CFDT, dont il a été le secrétaire général de 2002 à 2012. Nommé à l’inspection générale des affaires sociales, ce réformiste a en charge le suivi du plan gouvernemental de lutte contre la pauvreté. Son prochain rapport est attendu début janvier. Président du think tank Terra Nova, il dirige également l’Agence du service civique.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi