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Le diktat de la mutualisation des services

À la une | publié le : 03.10.2014 | Anne Fairise

La réforme territoriale pousse les communes à se rapprocher afin de stabiliser la dépense publique. Un sacré changement de culture pour les élus et les agents. Mais pas une source d’économie immédiate.

Derrière les murs fleuris de sa mairie, à Aviré, en Maine-et-Loire, Marie-Agnès James ne cache pas sa satisfaction. L’élue de cette bourgade de 465 habitants peut désormais s’appuyer sur des policiers intercommunaux « si besoin », et la secrétaire de la mairie, présente quatre demi-journées par semaine, « sera désormais remplacée en cas d’absence ». Dix-huit mois après avoir mutualisé leurs services « support » et les avoir mis en commun avec ceux de leur communauté de communes (RH, finances, comptabilité, marchés publics, informatique, communication), les 15 maires du canton de Segré en mesurent les effets. D’abord, sur le service de proximité aux habitants, maintenu et amélioré, depuis que les policiers de Segré, la « ville centre », la plus importante avec 7 000 habitants, sont devenus intercommunaux.

Par contre, pour la maîtrise des dépenses, l’objectif qui n’a jamais été passé sous silence, il leur faudra patienter. La gestion unifiée du personnel, dont ils espèrent à terme la suppression des doublons et une optimisation du temps de travail des agents, n’est pas achevée. À peine 60 % des 167 fonctionnaires municipaux concernés ont accepté, début 2013, d’être mutés à l’intercommunalité, « l’interco » comme on dit ici. « Mais les esprits évoluent. Début 2015, nous proposerons de nouveau la mutation. J’espère que tous l’accepteront », tempère Frédérique Passelande, la directrice générale des services, elle-même « mutualisée ». À la fois aux manettes de l’administration de l’interco et de celles de Segré.

TENDANCE DE FOND. Son cas n’est pas une exception. Un coup d’œil sur les offres d’emploi dans la fonction publique territoriale suffit à mesurer l’avancée des rapprochements entre communes. Certes, cela ne ressemble pas encore à une effusion généralisée ! Mais cet été, Saint-Nazaire cherchait son directeur général adjoint chargé de l’événementiel, qu’il partage avec la communauté d’agglomération. Angers était en quête d’un « responsable de la gestion comptable » pour la direction des finances mutualisée avec l’agglomération… « Ce type d’annonces va se multiplier à l’avenir », pronostique Emmanuelle Turpin, DRH de la Carène, la communauté d’agglomération de Saint-Nazaire, qui a créé début 2013 un service commun pour la commande publique, après l’avoir fait pour les assurances, la communication et les services informatiques.

Il faut dire que le législateur pousse à la roue depuis plusieurs années. Inciter les intercommunalités à monter en puissance, à mutualiser toujours plus leurs compétences, leurs ressources financières et leurs services administratifs, c’est son obsession. Qu’il les somme, avec la loi du 16 décembre 2010, d’avoir réalisé, d’ici à mars 2015, un « schéma de mutualisation de services », à charge pour les élus de le mettre en œuvre avant la fin de leur mandat, c’est-à-dire d’ici à 2020. Qu’il crée une nouvelle carotte financière à la mutualisation ou pousse à l’intégration des services, en supprimant la possibilité pour les communes de mettre leurs agents à disposition de l’interco (loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale). Ou qu’il propose un changement d’échelle : selon le projet de loi présenté cet automne, à partir de 2017, aucune intercommunalité ne pourra regrouper moins de 20 000 habitants.

Le Grand Soir, pourtant, ce n’est pas maintenant, juge Jean-Michel Rivalland, fondateur de Décision publique, spécialiste du management des collectivités : « Les petites intercommunalités, les plus importantes en nombre, ne vont pas chambouler leur organisation alors qu’elles doivent envisager des fusions d’ici à trois ans pour passer le seuil des 20 000 habitants. Beaucoup me disent : “On fera un schéma de mutualisation a minima.” La loi n’impose aucune obligation de résultat. » Et pas sûr que le nouveau coefficient de mutualisation des services, qui influera sur les dotations allouées par l’État, soit l’aiguillon imparable. Tout dépendra de l’effet bonus-malus, difficile à estimer.

Reste que les objectifs de maîtrise de la dépense et de simplification de la gestion sont clairement affichés. Ce qui constitue déjà une révolution. Car la plupart des structures intercommunales sont incapables de comptabiliser le nombre d’agents mutualisés ! Un casse-tête : « Entre les services communs ou partiellement partagés, les prestations de services à la carte, le personnel mis à disposition, totalement ou partiellement, par les communes mais toujours à leurs effectifs, les configurations sont multiples », soupire Emmanuelle Turpin, DRH de la Carène. Et pour cause : c’est le choix politique « plus que l’efficacité administrative ou du territoire lui-même » qui déterminait jusqu’alors la formule d’organisation, pointe un rapport de 2011, pour l’Assemblée des communautés de France, sur le « chantier très expérimental » des mutualisations.

EMMENER LES AGENTS. Mais la pression budgétaire a une limite : le consensus politique préalable à la mutualisation. « Avant d’être un projet organisationnel elle doit s’appuyer sur un projet de territoire », rappelle Jean-Michel Rivalland. Et il faut du temps pour convaincre les élus qu’ils n’y perdront pas dans le processus. Même dans un territoire rural comme le canton de Segré (18 238 habitants) où un euro est un euro : six années ont été nécessaires entre l’émergence de l’idée et la mutualisation effective des agents. « Et encore, le maire de Segré, à l’initiative du projet, a exigé, à six mois de l’échéance, que les 15 conseils municipaux se prononcent ! » rappelle Frédérique Passelande, la directrice des services de Segré et de l’intercommunalité.

Il faut rallier les agents municipaux à la cause, surtout lorsqu’il y a mutualisation des services support (qui ne s’accompagne pas d’un transfert automatique d’effectifs). Dans tous les cas, il faut vaincre la peur du changement. « Liés à une commune, habitués à travailler en équipe restreinte dans une proximité avec l’exécutif, nombre d’agents vivent mal leur passage à l’interco », constate le consultant Jean-Michel Rivalland. Plus encore lorsqu’il y a des configurations particulières (partage partiel, mise à disposition) qui vont signifier pour eux différentes autorités hiérarchiques, fonctionnelles, de coordination.

« Souvent, les élus sous-estiment le temps incommensurable d’explication auprès des agents, et des syndicats, pour déminer les sujets d’emploi et de conditions de travail », note Pierre-Jean Joyeux, ex-DGA chargé des ressources humaines de Rennes et de Rennes Métropole (Ille-et-Vilaine), entre lesquelles il a mutualisé en 2010 presque tous les services, avec transfert de 535 agents. Alors on y va sur la pointe des pieds. À Segré, les 190 agents touchés par la mutualisation ont tous été reçus en entretien par le directeur général des services (DGS) et l’élu concerné. Même si les agents des fonctions de pilotage ou support sont les plus impactés. C’est l’occasion pour certains d’évoluer. Pas pour tous. DGS d’une micro-interco en Provence-Alpes-Côte d’Azur (20 agents), Sophie s’est retrouvée début 2014 placardisée, puis mise en arrêt maladie, après la fusion avec une structure de 150 agents. « Il est logique que le DGS de la plus grosse collectivité reste en place. Mais qu’on me propose un poste équivalant à mon grade et à ma fonction ! » déplore cette attachée principale, qui a envisagé de partir, avant de se recaser grâce à une mobilité interne.

Reste que l’allégement subit de l’organigramme est rarissime. La mutualisation des services entre la mairie de Rennes et Rennes Métropole s’est accompagnée, d’abord, du maintien des deux DGS. « Nous n’avons jamais eu à choisir entre deux personnes. Mais un départ en retraite ou une mutation peut être l’opportunité de repenser le contenu du poste, si un besoin s’est exprimé », précise Emmanuelle Turpin, à Saint-Nazaire. C’est systématique à Segré : « À chaque départ d’agent, on redéfinit les priorités du service, avec le souci de monter en compétences et de trouver, à masse salariale constante, l’organisation optimale pour le service aux habitants », souligne Frédérique Passelande.

LA MAIN À LA POCHE. S’il n’y a pas d’économie immédiate sur les effectifs, il n’y en a pas non plus sur la masse salariale. Dans le passage à l’interco, les ex-agents municipaux améliorent souvent leur régime (indemnités, temps de travail, etc.) au fil de l’eau. Car les élus ont le réflexe de mettre la main à la poche pour faciliter la mutualisation. « Lorsqu’il y a un changement contraint d’employeur, on ne peut pas offrir aux agents moins qu’ils n’avaient. Nous avons fait le choix d’un régime indemnitaire médian, pour ne pas vider les villes de leurs meilleurs éléments, tout en assurant aux agents ayant un régime plus favorable qu’ils le garderaient. La moitié des agents y ont gagné », note Fabrice Belkacem, DRH d’Est Ensemble, né sur neuf communes en périphérie parisienne en 2011.

Dès 2013, les syndicats CFDT, FO et FSU ont arraché bien davantage que le compte épargne temps permettant aux ex-agents municipaux les mieux lotis de ne pas perdre leurs jours de repos. Ils ont décroché une hausse du salaire minimum à 1 780 euros brut et l’impossibilité de toute affectation temporaire sans l’aval de l’intéressé. Les économies produites par la mutualisation, à niveau de service égal, c’est dans un second temps, expliquent les spécialistes de ce chantier encore très « expérimental » !

2 145

C’est le nombre de groupements de communes en 2013.

70,2 %

rassemblent moins de 20 000 habitants.

182

fusions entre groupements de communes opérées en 2013.

Source : Direction générale des collectivités locales.

Auteur

  • Anne Fairise