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Décodages

Raymond Soubie, la science… des affaires

Décodages | Conseil | publié le : 03.09.2014 | Stéphane Béchaux

Insatiable Raymond Soubie. À presque 74 ans, l’ex-conseiller de Nicolas Sarkozy rebâtit son empire dans le conseil en ressources humaines. En appliquant les recettes qui, voilà dix ans, ont fait sa fortune lors de la revente d’Altedia.

Mais où s’arrêtera-t-il ? Dans le petit milieu du conseil RH, on aurait bien aimé que Raymond Soubie s’installe à vie à l’Élysée. Ou qu’il profite de ses vieux jours pour tailler ses rosiers en écoutant des airs d’opéra. Raté. Depuis bientôt quatre ans, l’ex-conseiller social de Nicolas Sarkozy a replongé dans le grand bain des affaires. Avec une soif inextinguible, malgré ses presque 74 printemps. Sa dernière acquisition Le groupe lyonnais Anveol, racheté en mai, fort de ses 170 employés spécialisés dans l’évaluation et le reclassement des salariés. L’activité vient opportunément compléter la palette des prestations offertes par Alixio, le cabinet RH présidé par Raymond Soubie depuis son retour à la vie « civile ». La structure n’en finit pas de grossir. Positionnée, à l’origine, sur le conseil en organisation, elle tisse sa toile de l’amont vers l’aval, en se développant dans le vaste champ des mutations professionnelles et des restructurations. Avant le rachat d’Anveol, le cabinet, comptant une soixantaine de collaborateurs, s’était déjà doté de trois filiales dédiées à la revitalisation des territoires, à l’accompagnement des mobilités et au management de retournement. Et il lorgne aujourd’hui le marché de la santé au travail, dans lequel il devrait annoncer une prochaine acquisition. De quoi faire d’Alixio, qui vise les 40 millions d’euros de chiffre d’affaires consolidé en 2014, un nouveau poids lourd du secteur. Et ce n’est pas tout. Via sa holding familiale (voir encadré page 36), Raymond Soubie est aussi présent dans la presse (AEF), la communication de crise (Taddeo) ou le portage salarial (ITG).

Cet appétit vaut de multiples compliments à l’intéressé. « Recommencer une carrière d’entrepreneur à 70 ans, c’est formidable, ça attire la sympathie », assure Jean-Luc Placet, patron du cabinet IDRH, qui le côtoie à la section du travail du Conseil économique, social et environnemental. « Il sent les coups. Autant il est prudent sur le plan politique, autant il prend des initiatives et des risques dans le monde des affaires », approuve Pierre Ferracci, président du Groupe Alpha. Mais hors micro, les propos se font plus acerbes. « Dans le monde du conseil, il est redouté. Et suspecté de mélanger les genres en utilisant ses réseaux, notamment politiques, pour faire du business », confie le dirigeant d’un gros cabinet du social.

Notoriété et entregent. De fait, l’empire Soubie se bat sur presque tous les fronts. Lancés l’an dernier, les Salons « Jeunes d’avenirs », destinés aux 16-25 ans sans qualification, incarnent parfaitement cet écosystème. Organisés par le groupe AEF et couverts par les journalistes maison, ces événements courus des ministres comptent parmi leurs premiers partenaires Pôle emploi, par ailleurs client d’Anveol, et Alixio. Et ils utilisent les services de Meteojob, autre filiale, pour diffuser des offres. De quoi prêter le flanc à la critique. « Il développe ses activités par influence. Il est le seul à pouvoir se faufiler entre les appels d’offres », dénonce l’un de ses concurrents directs.

Pour prospérer, l’homme peut, il est vrai, compter sur son incroyable carnet d’adresses. Normal, voilà une quarantaine d’années, depuis son entrée au cabinet de Joseph Fontanet, alors ministre du Travail dans le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, qu’il laboure les terres du social. Outre Nicolas Sarkozy, il a ainsi conseillé les Premiers ministres Jacques Chirac et Raymond Barre. Dans le privé, il a aussi dirigé le groupe Liaisons pendant dix ans – et lancé… Liaisons sociales magazine ! –, puis fondé, développé et revendu Altedia à Adecco. Une longue carrière au cours de laquelle il a murmuré à l’oreille de bien des grands patrons, syndicalistes et politiques. Des réseaux que l’entrepreneur Raymond Soubie sait parfaitement entretenir pour faire du business. Mais sans jamais s’abaisser à donner des coups de main trop visibles à ses collaborateurs. « Il ne vous dira jamais appelez Untel de ma part. Il ne distribue pas son carnet d’adresses, c’est sa force », confie Richard Beraha, directeur d’Altedia Cogef jusqu’en 2003.

Pour rebâtir son empire, le « parrain du paritarisme » applique les méthodes qui ont fait son succès chez Altedia. Avec, pour l’épauler, deux proches parmi les proches : son épouse, Danielle Deruy, qui s’occupe du développement commercial, et Philippe Kienast, l’homme des chiffres et des montages financiers. La ligne de conduite du trio ? Prendre des participations, souvent majoritaires, mais aux côtés des dirigeants en place. « En intéressant les managers au capital, j’ai la volonté d’en faire des entrepreneurs de plein exercice. J’attache une formidable attention au choix des personnes », confie Raymond Soubie. Lui s’occupe de la stratégie quand ses deux partenaires mettent davantage les mains dans le cambouis. Une répartition des tâches parfois source de tensions. Voilà trois ans, les dissensions récurrentes entre le fondateur de l’AEF, Marc Guiraud, et Danielle Deruy ont par exemple contribué au départ du premier nommé.

Conflits d’intérêts. Lors de la constitution de l’équipe dirigeante d’Alixio, Raymond Soubie ne s’est pas fait que des amis. Il a en effet pioché dans les états-majors de ses rivaux. IDRH a ainsi vu partir deux cadres clés quand Altedia a connu une véritable saignée au sommet. Une plaie encore à vif dans son ancienne maison, qui a mal digéré son départ précipité pour l’Élysée. Sans un adieu ni un petit mot, pas même pour son ancienne assistante. « On a connu un énorme malaise. Certains dirigeants sont partis avec leurs clients. Et ceux qui sont restés ont mal vécu de ne pas avoir été approchés », raconte une collaboratrice. Des méthodes de flibustier qui éclairent d’un autre jour le personnage, loué pour son urbanité, sa tempérance et ses manières policées. Sauf que l’intéressé réfute catégoriquement cette version de l’histoire. « Je ne suis pour rien dans la création d’Alixio, jure-t-il. Il se trouve que des gens, à la tête d’Altedia, ne s’entendaient plus avec leur actionnaire. Ils se sont auto­débauchés puis sont venus me trouver. »

Parmi ses anciennes équipes, l’homme jouit d’une réputation très flatteuse. « Il possède une faculté d’écoute remarquable. Il est toujours à l’affût des bonnes idées, il fait confiance et délègue énormément », décrit Olivier Colin, actuel DG de Médialex, autrefois directeur d’Altedia Finance. « Il n’est pas autoritaire mais fait autorité. Dans le business, il n’achète pas des entreprises, il construit des associations humaines. Ce modèle d’entreprises sœurs a certes des défauts, mais c’est le meilleur pour permettre aux hommes et aux activités de s’épanouir », abonde Patrick Levy-Waitz, patron d’ITG, l’un des frondeurs de 2010. Et pour cause. Après le départ du fondateur, la culture Altedia a radicalement changé : Adecco a repris la structure en main, à coups de reportings et de process. Une vraie rupture. « Du temps de Soubie, c’était une entreprise à la papa, avec une gestion des hommes très artisanale. Il rachetait des entreprises mais sans jamais chercher à les intégrer. Ce fonctionnement en kaléidoscope était très agréable, mais pas viable sans lui », décrypte un ancien proche collaborateur.

Le président d’Alixio lui-même revendique cette décentralisation du pouvoir. « Les plus belles réussites sont des structures non intégrées. Je préfère une forme de désordre à un excès de process qui tue la créativité », affirme-t-il. Un fonctionnement en villages gaulois qui n’a pas que des avantages pour ses troupes. Quasi invisible dans les structures dans lesquelles il investit, Raymond Soubie s’y soucie peu des conditions de travail, des avantages sociaux et de la qualité des relations managériales. Tant que la réglementation y est respectée et que sa réputation n’y court aucun danger… À l’AEF, les journalistes ont dû batailler longtemps pour obtenir une complémentaire santé pour tous les salariés, et pas seulement pour les dirigeants associés.

Insatiable entrepreneur, Raymond Soubie a connu des hauts et des bas. Centré sur la presse professionnelle et la communication, son groupe Altedia n’a décollé qu’au prix d’un changement radical d’activité vers le conseil en ressources humaines. Plus récemment, en 2009, son agence de presse AEF a essuyé un gros flop avec le lancement d’Estheticfactory, un site Web qui se voulait « le point de rencontre entre les internautes et les professionnels de la beauté et du bien-être ». Une idée portée par sa femme, qui a coûté au final près de 1 million d’euros.

Parmi les autres écueils que doit éviter l’homme d’affaires, les conflits d’intérêts. En début d’année, Alixio a discrètement rompu tout lien capitalistique avec sa filiale Alixio Care Management Consulting. Cette structure de conseil aux organismes d’assurance, de dépendance et de protection sociale avait déjà dû changer de nom et de locaux. En cause, le recrutement à la tête de sa maison mère de Philippe Vivien, alors… président de l’Agirc, l’Association générale des institutions de retraite des cadres ! Avec l’arrivée d’Anveol, des voix s’élèvent pour dénoncer de possibles mélanges des genres. « Celui qui construit l’ingénierie des restructurations n’est pas le mieux placé pour mettre en œuvre ses propres préconisations », alerte un concurrent. Une preuve de plus que le retour aux affaires de « Raymond la Science » ne fait pas que des heureux.

REPÈRES

40 MILLIONS D’EUROS

C’est la somme en cash qu’ont retirée Raymond Soubie et ses associés, Danielle Deruy (son épouse) et Philippe Kienast, de la vente d’Altedia à Adecco en 2005.

Une histoire de famille

Chez les Soubie, on fait du business en famille. Pour investir, « Raymond la Science » mobilise les fonds propres de sa holding, Arfilia. Une structure dont il est actionnaire aux côtés de son épouse, Danielle Deruy, et de ses trois enfants, Catherine, Marine et Mathilde. « Mes filles n’y jouent aucun rôle mais si je passe sous un autobus, tout est réglé financièrement », confie l’intéressé, qui en a repris la présidence fin 2010 après l’avoir confiée à sa femme lors de son intérim élyséen. L’essentiel des fonds de la holding familiale provient de la vente d’Altedia à Adecco en 2005.

À l’époque, Raymond Soubie et ses associés, Philippe Kienast et Danielle Deruy, récupèrent 40 millions d’euros en cash. Mais aussi quelque 900 000 actions d’Adecia, la nouvelle filiale du géant de l’intérim, valorisées à hauteur de 17 millions d’euros.

Des titres qui servent aux Soubie – ils en possèdent les trois quarts – pour créer Arfilia, et à Philippe Kienast pour fonder Kifilia, une holding sœur qui investit systématiquement dans les mêmes affaires.

Dotée de 15 millions d’euros de capital, la structure des Soubie a fait de nombreuses emplettes depuis huit ans. Elle possède ainsi la majorité des parts du groupe de presse AEF (74 %), du cabinet RH Alixio (58 %) et de l’agence de communication de crise Taddeo (54 %). Elle détient aussi des positions minoritaires chez le leader du portage salarial ITG (31 %), le conseil en lobbying Boury Tallon (20 %) et le site Web d’emploi Meteojob (10 %). Des pourcentages qui augmentent si on y ajoute les parts détenues par Kifilia. « Dans les sociétés qu’on ne contrôle pas, on formalise la mise en place d’un comité stratégique auquel nous siégeons et au sein duquel sont prises toutes les grandes décisions », précise Raymond Soubie. Une manière de garder la main sur les projets de développement, les éventuelles acquisitions ou le recrutement des dirigeants.

Auteur

  • Stéphane Béchaux