logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Les écoles du Web encore au banc d’essai

Décodages | Formation | publié le : 03.09.2014 | Catherine Abou El Khair

Les métiers de l’Internet aiguisent les appétits. Mais si les structures privées de formation se multiplient, elles ne convainquent pas encore les entreprises. Et se heurtent à la concurrence des cursus plus classiques.

Le message a le mérite d’être clair. Au dos de leurs tee-shirts noirs, un slogan : I’m not a geek, I’m your future boss. Les plus anciens de la Web School Factory n’en sont pourtant qu’à leur troisième année d’études. Et sortiront diplômés d’une école qui a ouvert ses portes voilà à peine deux ans. Qu’importe ! Le ton est à l’optimisme. À l’automne, ces étudiants vont emménager dans un campus cluster, dans le 13e arrondissement de Paris, que cette « école-usine du Web » partagera avec d’autres établissements du même réseau privé d’enseignement supérieur, Studialis. Mais aussi avec des entreprises. Leur objectif : créer une start-up, travailler en free-lance dans le monde de l’Internet ou devenir chef de projet dans une grande entreprise.« Aujourd’hui, les grands comptes ont des équipes de travail et des process ultralourds. Nous, nous pouvons leur créer une table connectée en une heure », assurait un élève de la Web School Factory lors d’une journée portes ouvertes en mai. L’école fait le pari de la transformation numérique de l’économie : le manager digital deviendra, selon elle, une figure incontournable de l’entreprise dans les prochaines années.

La Web School Factory fait partie d’une nouvelle génération d’écoles formant aux métiers du Web. Des cursus privés sur trois, quatre ou cinq ans – coûtant jusqu’à 8 000 euros l’année – qui fleurissent depuis 2010. À l’instar de l’École européenne des métiers de l’Internet, cofondée en 2011 par Xavier Niel, fondateur de Free, Marc­Simoncini, de Meetic, et Jacques-Antoine Granjon, de Vente-privee.com. Le Groupe Ionis, qui possède déjà des écoles d’informatique, est également sur ce créneau, avec Sup Internet. Tout comme MediaSchool avec Sup de Web ou la Web International School, qui se déploie dans cinq campus en province. Toutes enseignent le graphisme, le commerce en ligne et le développement d’applications numériques. À 25 ans, Maud a été conquise par la Web School Factory, après avoir étudié l’informatique pendant trois ans. « La programmation, les algorithmes, les mathématiques, c’était trop compliqué pour moi. Ce qui m’intéresse, c’est l’ergonomie, la conception de sites Web. » Nul besoin d’être ingénieur informaticien pour concevoir des applications informatiques. Reste à savoir les produire et les vendre. Économie, gestion de projet, management, marketing…, le programme de la Web School Factory se calque sur celui des écoles de commerce. Beaucoup de notions à assimiler pour des bidouilleurs âgés de 18 à 25 ans.

Profils inhabituels. Ces jeunes gens débrouillards et créatifs intriguent les entreprises. Faute de recul sur ces nouvelles formations, elles hésitent à les recruter. Pour séduire, les écoles du Web organisent des « hackathons ». La Web School Factory monnaie d’ailleurs les prestations de ses élèves aux entreprises, dans le cadre de partenariats plus ou moins poussés : de 10 000 euros pour trois modules d’interactions à 100 000 euros pour des échanges permanents, dans le cadre d’un partenariat « stratégique ». Bouygues Telecom a mordu à l’hameçon. L’opérateur a lancé un défi aux étudiants : le temps d’un « week-end challenge » (deux jours et une nuit), ils ont dû simplifier le parcours client sur le site Internet de Bouygues Telecom. Sens du travail en équipe, capacité à surmonter des obstacles et à fournir des efforts de manière intensive sont observés de près. « Il n’y a pas de meilleur moment pour recruter ! » déclare Thomas Chassat, chargé du développement RH de l’opérateur de télécoms, qui a déjà accueilli des stagiaires et se dit prêt à prendre des élèves… en contrat d’alternance.

« Nous réfléchissons aux besoins auxquels les diplômés de ces écoles du Web pourraient répondre », reconnaît Julien Cotte, responsable du recrutement et de la mobilité de CGI, une entreprise de services numériques. Recruter ce nouveau type de diplômés serait l’occasion de diversifier les profils dans des SSII remplies d’ingénieurs et de techniciens en informatique. Leur absence de formation scientifique n’est pas un obstacle. « Par exemple, ils peuvent avoir leur place dans notre cabinet dédié au digital », qui propose d’accompagner les entreprises dans leurs projets numériques, explique Julien Cotte.

Pour sa part, le PMU a noué un partenariat avec la Web School Factory afin d’identifier les métiers numériques de demain. Et, au passage, valoriser sa marque employeur… « Ces étudiants observent et ont des idées, ils ne sont pas dans le carcan du marché de l’emploi », estime le DRH adjoint, Bernhard Opitz, qui voit en eux de futurs prescripteurs en matière d’usages numériques. Mais pas obligatoirement de futurs collaborateurs. Le PMU recherche plutôt des profils très techniques, ou des diplômés d’écoles de commerce, avec une spécialisation en marketing ou en relation client. « Nous formons aux compétences digitales en interne », ajoute Bernhard Opitz.

Besoin d’experts. Les digital natives des écoles du Web ont de la concurrence. « Les écoles de commerce ont déjà des cursus digitaux. Et les ingénieurs sont incités à “geeker” », souligne Emmanuel Stanislas, fondateur du cabinet de recrutement spécialiste du digital Clémentine. Chez Viadeo, qui embauche « sur les compétences » et compte aujourd’hui plus de 200 salariés, tous les développeurs sont ingénieurs… sauf « un responsable de la partie front end [la partie visible des sites Web, NDLR], précise Marie Anne Boulard, DRH adjointe de Viadeo. Au début, nous avions besoin de touche-à-tout, mais aujourd’hui, plutôt d’expertise ». Une préférence pour les cursus longs et spécialisés que cautionne l’association Pasc@line. Chargée de promouvoir l’éducation au numérique, elle n’admet aucune formation inférieure à bac + 5 parmi ses adhérents. Cinq ans d’études, c’est le temps de formation qu’elle juge nécessaire pour ne pas être dépassé par les innovations technologiques.

Responsable du DUT des métiers du multimédia et de l’Internet de l’université Paris-Est Marne-la-Vallée, Anne Tasso constate, elle aussi, la tendance au rallongement des études. « Il y a vingt ans, la plupart de nos étudiants entraient directement sur le marché du travail. Aujourd’hui, ils sont 95 % à continuer en licence professionnelle et à intégrer ce genre d’écoles. » À rebours de cette tendance, l’école de programmation 42, une autre école fondée par Xavier Niel, a construit son programme sur trois ans. Et à Montreuil, une nouvelle école numérique, Simplon.co, propose même des « fabriques accélérées » de développeurs sur six mois, sur le modèle des boot camps américains. Une initiative d’autant plus louable que, pour l’instant, ce sont des postes d’exécution – codage des sites, intégration de maquettes ou community management… – qui attendent ces jeunes dans les grandes entreprises.

REPÈRES
L’ÈRE DES DÉVELOPPEURS

Ce terme fourre-tout recouvre des activités très diverses : programmer un service Internet (back end), s’assurer du bon fonctionnement de l’interface d’un site (front end) ou mettre au point une application mobile utilisable sur différentes plates-formes. Outre les cursus supérieurs généralistes, il existe des formations courtes (sur plusieurs mois) en codage plus ciblées, à l’instar des écoles Le Wagon ou Simplon.co.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair