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Idées

Le gel du point d’indice dans le public est-il une mesure à courte vue ?

Idées | Débat | publié le : 04.06.2014 |

Les défilés de fonctionnaires en colère n’ont pas réussi à faire plier le gouvernement, qui cherche par tous les moyens à faire des économies. Symbolique, le gel s’ajoute à un manque de reconnaissance dans la fonction publique, laquelle peine à mettre en place une véritable gestion des hommes.

Thierry Cadart Secrétaire national CFDT chargé de la réforme de l’État et de la décentralisation.

Ralentissement des avancements, stagnation des grilles salariales, blocage du point d’indice… Depuis 2010, le pouvoir d’achat des agents des fonctions publiques est malmené. Pour la cinquième année consécutive, le salaire des fonctionnaires ne sera pas revalorisé. C’est le symptôme de politiques qui préfèrent passer par une réduction générale des moyens des fonctions publiques plutôt que de poser la question du sens et du projet de l’action publique. Car le gel du point d’indice ne peut pas servir de politique de gestion de la fonction publique. D’une part, il s’agit d’une mesure aveugle et injuste qui dure depuis trop longtemps. D’autre part, ce gel heurte la reconnaissance du travail effectué par les agents. C’est une négation de la valeur du travail qu’ils fournissent.

Cette attitude, additionnée aux restructurations incessantes depuis la révision générale des politiques publiques et la modernisation de l’action publique, provoque une perte de sens et crée des situations intenables pour les agents. Ces derniers ont souvent le sentiment de ne plus avoir les moyens d’effectuer correctement leur travail. Finalement, c’est la qualité du service à l’usager qui est sacrifiée.

Pour la CFDT, les fonctionnaires ont besoin de reconnaissance et de respect. C’est la raison pour laquelle elle revendique une revalorisation des rémunérations, des carrières plus dynamiques et une amélioration des conditions de travail. Les fonctionnaires n’en peuvent plus d’être considérés comme une simple charge pour notre société. Ce sont des soignants, des pompiers, des enseignants et de nombreux autres métiers… Oui, ces emplois ont un coût et, oui, notre déficit doit être maîtrisé, mais voulons-nous pour autant nous passer de ces services publics ?

Quelle action publique voulons-nous ? Avoir le courage de redéfinir ses missions, c’est asseoir sa pérennité et s’assurer de sa pertinence. Des réformes de structure profondes sont nécessaires. Tant du côté de l’organisation interne de la fonction publique que de la nature de l’action publique. Pour ce faire, nous avons besoin d’une réflexion globale sur les missions. Elle doit être menée avec les agents et avec les utilisateurs. Cela passe par le dialogue social et le dialogue citoyen de proximité. C’est nécessaire pour reconstruire une action publique au plus près des besoins et reconnue par tous.

Maya Bacache-Beauvallet Professeure de sciences économiques, Télécom ParisTech.

L’OCDE a réalisé une enquête sur les coûts salariaux des agents dans la fonction publique qui recense les salaires bruts augmentés des cotisations patronales pour des postes administratifs. La France a deux particularités : le niveau des salaires est proche de la moyenne de l’OCDE, au-dessous de celui du Royaume Uni, de la Belgique ou de l’Italie, mais relativement similaire à celui de l’Allemagne. Ensuite, le niveau des inégalités au sein de la fonction publique y est assez faible. Mais notre pays obéit à un calendrier de réformes particulier. Au Royaume-Uni, en Italie ou en Belgique, elles ont été mises en œuvre avant la crise économique et souvent inspirées du nouveau management public. Au contraire, en France, la Lolf n’est appliquée intégralement qu’en 2006 et vite relayée par la RGPP en 2007 quand la crise économique transforme toute réforme en pure équation comptable. Pris dans ces contraintes budgétaires, les gouvernements successifs depuis 2007 abandonnent la politique transversale du point d’indice au motif qu’une hausse marginale de 1 % du point coûte plus de 1,8 milliard d’euros. Entre 2000 et 2011, le pouvoir d’achat du point d’indice a baissé de 12 %.

Les pouvoirs publics ont donc choisi de revaloriser les salaires autrement : politiques catégorielles (augmentation de certains agents), régime indemnitaire (primes à la performance, part variable) et mesures compensatoires (Gipa). Ces décisions ont exacerbé les problèmes de motivation et de recrutement dans la fonction publique. La faiblesse du niveau des plus hauts salaires réduit l’attractivité tandis que le bas de la grille salariale est rattrapé par le smic. Les jeunes des catégories C et B mettent parfois plus de dix ans avant d’être augmentés. Loin d’être motivantes, les primes à la performance ont vidé de sens le travail des agents et conséquemment cassé la confiance que leur vouaient les citoyens. Et pourtant, beaucoup de réformes à faible coût attendent d’être réalisées : la révision de la grille, les évolutions de carrière, la mobilité entre les différents corps d’État, le public et le privé… Le salaire n’est qu’un des éléments de la motivation et de l’attractivité de la fonction publique : l’autonomie, le sens de l’intérêt général, les conditions de travail, les carrières sont au cœur du statut. Or ces référents ont aussi été dégradés.

Renaud Dorandeu Professeur des universités Paris-Dauphine.

Les déclarations contradictoires du gouvernement avant les élections municipales en disent long sur son embarras. « Pourquoi voulez-vous que les économies se fassent sur le dos des fonctionnaires ? » demandait encore le Premier ministre Jean-Marc Ayrault lors de ses vœux aux fonctionnaires. Contredit quelques jours plus tard par la ministre de la Fonction publique annonçant qu’« il n’y a[vait] pas de dégel du point d’indice sur la table des négociations ». Fin avril, le programme de stabilité présenté en Conseil des ministres précisait donc que les fonctionnaires « contribueront à l’effort d’économie nécessaire avec la poursuite de la stabilisation de la valeur du point d’indice ».

Indépendamment de ces revirements d’avant élections, le gel du point d’indice doit être pris pour ce qu’il est : un instrument macro de cadrage économique. Parler de gestion à ce niveau-là de globalité n’a que très peu de sens. Il s’agit avant tout d’un levier utilisé dans le cadre d’une politique macroéconomique de réduction des déficits publics. Pour reprendre les termes du rapport de la Cour des comptes de juin 2013, le gel du point est, « à court terme, le seul instrument de freinage de la masse salariale des administrations publiques ». Il est donc abusif de parler de gestion à propos de ce qui n’est même plus un élément de la négociation après quatre années de mise en œuvre. Plusieurs syndicats qui ont appelé à manifester le 15 mai ont ainsi dénoncé une baisse du salaire réel, malgré la perspective évoquée par le Premier ministre Manuel Valls d’une clause annuelle de « revoyure ».

Les effets de ce gel ne se manifesteront pas de la même manière pour l’ensemble des fonctionnaires. Le « problème de pouvoir d’achat » admis par la ministre de la Fonction publique ne concerne pas identiquement tous les agents. En évoquant le geste de solidarité qui pourrait être demandé aux hauts fonctionnaires, la ministre fait une ouverture en direction d’un pilotage plus fin de la masse salariale. Mais un geste n’a jamais constitué à lui seul une politique coordonnée. La diversité des régimes indemnitaires et leur relative opacité représentent un vrai chantier de gestion largement resté en friche aujourd’hui. Peu après avoir célébré le trentième anniversaire du statut général de la fonction publique, il ne serait pas inutile de le prendre en compte.

CE QU’IL FAUT RETENIR

Lâcher du lest. Face à la grogne des fonctionnaires mis au régime sec avec le gel du point d’indice depuis 2010, le gouvernement tente de trouver des portes de sortie pour limiter l’érosion du pouvoir d’achat. Manuel Valls a donc annoncé un geste en faveur des plus modestes. Comme dans le privé, ils bénéficieront dès 2015 d’un allégement des cotisations retraite. Soit près de 440 euros de salaire net en plus pour environ 1,6 million d’agents.

Véritable serpent de mer, la réforme de la gestion des carrières et la rénovation des grilles salariales va monopoliser les négociations jusqu’en mars 2015 – 19 séances pour simplifier et rendre plus cohérents les parcours. En trente ans, 1 700 régimes ont vu le jour ! FO, qui a boycotté la première réunion, parle de « mascarade » et exige préalablement le dégel du point d’indice.

REPÈRES

5,3 MILLIONS

C’est le nombre total de fonctionnaires de l’État, des collectivités territoriales et des hôpitaux.

1,8 MILLIARD

C’est le montant de la facture d’un coup de pouce de 1 % du point d’indice. Entre 2011 et 2012, le salaire net moyen a baissé de 0,8 % compte tenu de l’inflation.