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Les mutuelles défendent leurs positions

Dossier | publié le : 04.06.2014 |

Les mutuelles de la fonction publique doivent lutter sur deux fronts : empêcher que leurs adhérents ne soient tentés par des couvertures santé du secteur privé et conserver la gestion du régime obligatoire.

Solvabilité II, loi sur la sécurisation de l’emploi, concurrence accrue… Huit ans après l’abrogation de l’arrêté Chazelle (lire l’encadré page 60) qui avait déclenché les grandes manœuvres dans le secteur, les mutuelles de la fonction publique sont à nouveau au milieu du gué. Au cœur de leur identité historique : « une conception globale de la protection sociale », comme le rappelle Alain Arnaud, président de la Mutualité Fonction publique (MFP), l’union politique qui regroupe les mutuelles de fonctionnaires. À savoir une offre complète en santé, prévoyance et action sociale, assortie de mécanismes de solidarité financière entre actifs et retraités, mais aussi intercatégorielle : la cotisation à la complémentaire est encore souvent proportionnelle aux revenus. Surtout, ces mutuelles gèrent aussi, depuis 1947, le régime obligatoire d’Assurance maladie des fonctionnaires.

Que vient aujourd’hui menacer ce bel édifice ? La pression financière, tout d’abord, qui concerne l’ensemble du secteur. Désengagement de la Sécu, fiscalisation accrue des contrats… Les fonctionnaires commencent à regarder de plus près ce qu’ils paient, notamment les jeunes et les cadres. Ce qui pousse certaines mutuelles à repenser leur gamme, comme la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN) qui devrait présenter à la rentrée 2014 une offre « spécial jeunes », un peu moins en ligne avec la doxa. Réforme de l’État, modernisation de l’action publique et lois de décentralisation sèment aussi la pagaille parmi les mutuelles. Le mouvement des agents d’un ministère ou d’une fonction publique à l’autre redessine le périmètre d’intervention de chacune d’entre elles. Et leur font courir le risque de se retrouver les unes face aux autres sur leurs chasses gardées respectives. Pour éviter ces luttes fratricides, la vague de fusions et de rapprochements des mutuelles, commencée avec la révision des dispositifs de participation des employeurs publics à la protection sociale complémentaire des fonctionnaires, se poursuit. Dernier mouvement en date : la Mutuelle générale Environnement & Territoires a annoncé sa fusion avec la MGEN, elle-même au centre d’un des plus gros groupements de mutuelles, Istya.

Ces rapprochements visent aussi à mettre les mutuelles de la fonction publique d’État en ordre de marche pour affronter la deuxième vague de référencement qui commencera dès 2015 dans certains ministères. Dans un référé publié le 27 juin 2012, la Cour des comptes avait tiré à boulets rouges sur le dispositif et proposé soit de le supprimer, soit d’instaurer de véritables contrats collectifs dans la fonction publique. Pas question pour les mutuelles historiques. « Cela fait courir un risque aux principes mêmes de la mutualité », proteste Alain Arnaud. En effet, si ces mutuelles sont très implantées dans leurs champs historiques respectifs – la Mutuelle du Trésor, par exemple, rassemble 90 % des agents de Bercy –, l’adhésion reste facultative. Et consacre le principe de l’assemblée générale souveraine. Pour défendre les intérêts de ses adhérentes, la MFP a lancé une concertation avec les organisations syndicales afin de « redéfinir le modèle de protection sociale des agents publics », poursuit Alain Arnaud. Une manière de s’assurer leur soutien, y compris de la CFDT, qui, un temps, a eu au niveau confédéral des velléités de demander la transposition dans la fonction publique de l’accord national interprofessionnel de janvier 2013 rendant la complémentaire obligatoire pour tous les salariés.

Éviter la fuite vers le privé

Lors d’un colloque organisé par la MFP le 13 février, Brigitte Jumel, secrétaire générale de la CFDT Fonctions publiques, s’était voulue rassurante, plaidant pour un simple renouvellement du référencement, « une chance pour une démarche commune ». La MFP travaille aussi à des propositions alternatives, comme celle de positionner la protection sociale complémentaire comme droit statutaire. De toute façon, au vu des finances publiques, une extension de l’ANI à la sphère de l’État paraît peu probable. À l’heure actuelle, la participation des ministères à la couverture des agents est en effet très variable, et souvent faible. Depuis la première vague de référencement, la MGEN a ainsi reçu pour les agents de l’Éducation nationale 6 euros par tête la première année, puis rien depuis… Le coût d’une participation de l’État à hauteur de 50 % de la cotisation s’élèverait au total entre 1,5 et 2 milliards d’euros. Un gouffre par les temps qui courent.

Reste que la partie s’annonce rude. Avec la généralisation de la complémentaire santé en entreprise, les mutuelles craignent de se faire siphonner leurs adhérents, qui sont, de plus en plus souvent, des ayants droit de salariés du privé. « Le modèle type du couple d’enseignants a vécu », indique-t-on à la MGEN. Surtout, pour cette deuxième vague de référencement, la concurrence s’annonce plus féroce. Dans un marché où les relais de croissance se font de plus en plus rares, la population des fonctionnaires pourrait attirer, y compris d’autres acteurs de la famille mutualiste. Pour anticiper ce péril, organisations syndicales et mutuelles historiques revendiquent une redéfinition du cahier des charges lors des appels à concurrence afin de le rendre plus exigeant. Cela passerait notamment par un assemblage santé-prévoyance-dépendance obligatoire, l’intégration de réseaux de soins, ou encore le renforcement de la solidarité entre actifs et retraités.

Gérer le régime obligatoire

Autre ligne de défense : la sauvegarde de la gestion du régime obligatoire, une nouvelle fois remise en cause par la Cour des comptes dans son rapport annuel sur Sécurité sociale de septembre 2013. « Le contexte est marqué par une nette intensification des attaques contre ce dispositif », constate Marc Tranchat, secrétaire général de la MFP. Surtout, la pression économique s’accroît. Cette année, les mutuelles doivent négocier avec la Caisse nationale de l’Assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) les « remises de gestion », c’est-à-dire la rémunération versée en contrepartie de la délégation de gestion du régime obligatoire. Et les montants, rigueur oblige, s’annoncent particulièrement bas.

Afin de préparer l’avenir, la MFP travaille à un projet d’union des mutuelles de fonctionnaires gestionnaires du régime obligatoire d’Assurance maladie rassemblant les trois fonctions publiques avec une affiliation unique au régime obligatoire. Cette structure économique et politique, qui ne concernerait pas moins de 5,5 millions d’assurés sociaux, représenterait les mutuelles auprès des pouvoirs publics et négocierait un seul contrat pluriannuel de gestion avec la Cnamts. Le but : faire des économies d’échelle tout en intensifiant la politique de gestion du risque des mutuelles.

Le chantier est vaste et délicat socialement et politiquement. Il faut convaincre les pouvoirs publics de son bien-fondé, mais surtout mettre d’accord les mutuelles entre elles sur la gouvernance de cette nouvelle structure, les plus importantes en termes de nombre d’assurés couverts revendiquant une représentation en conséquence. Elles ont jusqu’à la fin de l’année pour s’entendre. B. F.

Comment l’État contribue-t-il ?

L’abrogation, en mars 2006, de l’arrêté Chazelle de 1962 a mis fin au régime qui permettait aux ministères d’accorder des subventions aux mutuelles de fonctionnaires. Un nouveau dispositif de participation de l’État à la protection sociale de ses agents a été instauré en 2007. Il prévoit le référencement d’un ou de plusieurs opérateurs par ministère. Sauf à l’Office national des forêts, les mutuelles historiques l’ont partout emporté.

Et chez les territoriaux ?

Dans la fonction publique territoriale, deux dispositifs existent depuis 2011 : la labellisation des contrats – la participation de l’employeur est réservée aux contrats respectant des critères définis par décret – et la convention de participation – l’employeur sélectionne par appel à concurrence un contrat collectif facultatif.

L’enjeu est d’améliorer l’existant, dont les syndicats et les mutuelles dressent un bilan mitigé.