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Complémentaires santé : l’onde de choc

Dossier | publié le : 04.06.2014 | Valérie Devillechabrolle, Bénédicte Foucher

Le texte qui encadre les contrats d’assurance santé collective cherche à réduire les coûts des prestations médicales en baissant des plafonds de remboursement. Ce qui implique une renégociation de la plupart des accords existants.

Bientôt la fin du suspense pour les courtiers et les assureurs de couvertures collectives en santé. La publication du décret précisant les nouvelles obligations des « contrats solidaires et responsables » ouvrant droit à une exonération de cotisations sociales et censées entrer en vigueur dès le 1er janvier 2015 serait imminente. En attendant, le flou le plus total demeure : « À un horizon aussi rapproché et sur un sujet aussi lourd, nous avons été rarement dans une telle incertitude », confirme Renée Habozit, directrice générale d’Uniprévoyance, qui redoute « un second semestre très difficile, voire un goulet d’étranglement en fin d’année ». Car ce décret risque de chambouler fortement le paysage. Partant du constat que « ces couvertures avaient eu pour effet pervers de “solvabiliser” des pratiques tarifaires excessives », le décret vise à « instaurer dans les contrats responsables une logique de plafond pour certaines garanties en optique et pour les dépassements d’honoraires médicaux, avec l’idée de ramener ces tarifs à la raison », explique-t-on à la Direction de la Sécurité sociale. Concrètement, sous réserve « des arbitrages définitifs », le ministère propose de limiter la prise en charge à une paire de lunettes tous les deux ans (sauf en cas d’évolution de la vue et pour les enfants) et le remboursement de la monture et des lentilles à 100 euros. Il envisage aussi de distinguer le remboursement selon la complexité du niveau de correction : avec un plancher de 200 euros et un plafond de 700 euros pour les verres complexes (50 et 450 euros pour les verres simples). Autre nouveauté, la prise en charge des dépassements d’honoraires devrait être plafonnée à 100 % du tarif remboursable par l’Assurance maladie. Avec un plafond dérogatoire autorisé à 125 % de ce tarif opposable sur 2015 et 2016. Le statu quo prévaut pour le dentaire et la pharmacie tandis que le forfait hospitalier devrait être obligatoirement remboursé, tout comme au moins 100 % du ticket modérateur des prothèses dentaires et de l’orthodontie.

Accords à renégocier

Selon les professionnels qui plaident pour un report au 1er janvier 2016, le calendrier des pouvoirs publics prévoyant une adaptation de tous les contrats « souscrits ou renouvelés au 1er janvier 2015 » n’est pas tenable. Mécaniquement impossible en effet de passer au marbre du décret l’ensemble des garanties de tous les contrats en portefeuille dans les temps impartis. Mais les délais sont aussi trop courts pour « les entreprises qui vont devoir rouvrir les négociations ayant conduit à la mise en place de leur accord », estimait, au printemps, Dominique Nadal, directeur commercial d’Axa Solutions collectives lors de l’Université Adding des comp & ben réunie à Saint-Malo. Avec le risque de voir « ce sujet de la complémentaire santé, d’ordinaire consensuel, devenir un sujet de tension entre les partenaires sociaux », s’inquiète Yan Le Men au nom de la Chambre syndicale des courtiers d’assurances. « Nous allons être soumis à une pression terrible de la part de nos salariés comme de nos retraités qui vont voir le coût de leurs garanties croître au moment où celles-ci se dégradent », confirme le responsable des engagements sociaux d’un groupe pétrolier. D’autant que ces négociations vont intervenir au lendemain de la fiscalisation de la part patronale de la complémentaire santé qui, selon le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP), s’est déjà traduite par un alourdissement de l’impôt sur le revenu des salariés, compris entre 0,3 et 0,5 point de salaire.

Sur le fond, l’impact de l’encadrement envisagé sur les contrats collectifs est important : « Si le décret est publié en l’état, 75 % des contrats ne sont plus responsables et les garanties devront toutes être renégociées à la baisse », estime Sylvain Merlus, directeur de GAN Eurocourtage. Ainsi, sur l’optique, le montant moyen de remboursement d’une monture atteint 127 euros en moyenne chez Harmonie Mutuelle, et 24 % de ceux qui en ont profité une année reconsomment l’année suivante. Mais « c’est surtout le plafonnement des honoraires qui peut poser des problèmes de reste à charge, notamment sur les gros actes techniques et en Ile-de-France », estime Yanick Philippon, directeur des assurances collectives de Generali. « Ce plafonnement n’entraînera pas de baisse des tarifs à due concurrence des baisses de garantie, vu que cela dépendra du niveau de remboursement réel », met de son côté en garde Thierry Villetelle, responsable du développement des assurances collectives de Swiss Life France.

La piste visant à compléter le régime de base responsable par d’éventuelles options facultatives, à la charge des salariés, en laisse sceptique plus d’un. Elle constitue « un risque bien réel d’alourdissement des charges des entreprises, ajoute Patrick Petitjean, son confrère d’April. En particulier si les pouvoirs publics décident que le maintien du niveau de garantie antérieur, sous forme d’option non déductible et surtaxée, entraîne la requalification de l’ensemble de la couverture en non responsable ». « Vu leur effet antisélectif majeur, le surcoût technique de ces options peut atteindre 30 % ; c’est hors de portée d’un certain nombre de salariés », estime Yan Le Men. Sans compter « le surcroît de frais de gestion et le risque de perte du tiers payant et de la télétrans­mission des remboursements au cas où ces options seraient gérées par une plate-forme différente de celle de l’entreprise », complète Thierry Villetelle. « D’un point de vue commercial, cela va compliquer la mise en place des contrats. Il faudra convaincre de leur pertinence non seulement les chefs d’entreprise, mais aussi les salariés, par des réunions d’information », abonde Philippe Delerive, directeur général de GAN Assurances.

Pour les pouvoirs publics comme pour les professionnels, la grande question est de savoir comment les entreprises vont réagir à ces nouvelles contraintes. « Pour l’heure, les entreprises ne réagissent pas et ne cherchent surtout pas à savoir ce qui se prépare. D’autant qu’elles ont déjà consenti beaucoup d’efforts, que ce soit pour absorber les hausses successives de taxes ou adapter leurs contrats aux nouvelles catégories objectives de salariés pour rester éligibles aux exonérations de charges », observe Patrick Petitjean, P-DG du pôle santé et prévoyance du courtier April.

De plus, « les positionnements diffèrent d’une entreprise à l’autre », remarque Renée Habozit, directrice générale d’Uni­prévoyance. Mais une chose est sûre, les pratiques actuelles des employeurs apparaissent encore très éloignées de l’effet escompté par les pouvoirs publics, si l’on en croit l’analyse réalisée à partir de son portefeuille par GAN Eurocourtage. En cas de déséquilibre du contrat, une entreprise sur deux préfère majorer les cotisations plutôt que de remettre en cause ses niveaux de prestations ; 20 % combinent majorations tarifaires et baisse des prestations ; 20 % comptent mieux encadrer les prestations, voire les réduire ; 10 % mettent en place un socle de base minoré assorti d’options individuelles facultatives. Quant à celles qui proposent des nouveaux contrats, elles persistent à distinguer les couvertures cadres et non cadres, « les régimes des cadres affichant des niveaux de prestations sensiblement supérieurs à ceux envisagés par le décret », observe Sylvain Merlus. Compris entre 200 et 300% du tarif opposable, s’agissant des dépassements d’honoraires. L’autre grande interrogation porte sur la façon dont les professionnels de santé visés par ces plafonds – et en premier lieu le marché de l’optique – s’adapteront à cette nouvelle donne. « Si les prix restent au niveau d’aujourd’hui, la baisse des plafonds peut engendrer une machine à fabriquer du reste à charge pour les salariés », admettait, lors d’un colloque de l’Institut de la protection sociale européenne organisé au printemps, le représentant de la DSS… tout en faisant « le pari inverse d’un dégonflement de la bulle ».

Instabilité juridique

Reste que les pouvoirs publics, sommés de réduire les déficits publics, n’en auront sans doute pas fini pour autant en matière d’encadrement des contrats complémentaires collectifs. « Les entreprises doivent s’attendre à voir les dispositions régissant ces couvertures être modifiées régulièrement », pronostique Dominique Nadal, d’Axa. « Une instabilité juridique sans précédent potentiellement source de nombreux contentieux », s’inquiète Jacques Nozach, l’ancien directeur général d’Aprionis, conseil auprès du cabinet Actuaris. Des entreprises seront-elles tentées de se désengager de la complémentaire santé, ou à tout le moins de s’en tenir à un engagement minimal, quitte à investir la masse salariale qui y était jusque-là allouée dans d’autres dispositifs moins chahutés Selon les professionnels, le risque existe. Un sacré paradoxe à la veille de la généralisation de la complémentaire santé collective au 1er janvier 2016 ! V. D.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle, Bénédicte Foucher