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Décodages

Le Relais plus chiche mais plus participatif qu’Écotextile

Décodages | Entreprises | publié le : 04.06.2014 | Éric Béal

Conditions de travail similaires dans les deux groupes.Si Écotextile a un management autoritaire, Le Relais est géré collectivement. Mais sans représentation du personnel. Et avec des salaires inférieurs.

Ils ont fleuri sur les trottoirs ou les parkings des supermarchés. Les conteneurs destinés à recevoir des vêtements usagés se multiplient en France, au point de déclencher une guerre entre spécialistes (voir l’encadré page 53). Car ce sont bien des entreprises qui collectent et revendent cette « matière » brute, proposée à des friperies, transformée en chiffons pour l’industrie ou en isolant pour le bâtiment. Une trentaine de ces entreprises spécialisées œuvrent en France dans la collecte et le tri des vêtements usagés. Le Relais et Écotextile sont les deux opérateurs les plus dynamiques. Ils assurent le ramassage et le tri des vêtements qui leur sont confiés, ce qui est loin d’être le cas de tous leurs concurrents. Réseau de 10 sociétés coopératives issues de l’association Emmaüs, Le Relais France ramasse 55 % des 170 000 tonnes collectées dans l’Hexagone et en trie les neuf dixièmes dans ses 14 centres. Il emploie près de 2 100 personnes en France dans la collecte, le tri et la revente de vêtements dans ses boutiques Ding Fring, dont 60 % en CDI et 40 % en contrat d’insertion. Son président fondateur, Pierre Duponchel, explique que Le Relais est une entreprise à but socio-économique, un modèle d’entreprise « qui place l’économie au service de l’homme, fondé sur des valeurs de démocratie, d’égalité et de solidarité ». La pyramide des salaires est très plate, les dirigeants ne gagnant pas plus de trois fois le smic, montant des plus bas salaires.

Insertion sociale

Le profil du groupe Écotextile est plus classique. Ces PME picardes installées à Appilly, dans le nord-est de l’Oise, Écotextile pour le ramassage de vêtements, Écotextile Insertion et Framimex pour le tri, font partie d’un ensemble contrôlé par une holding. À sa tête, la famille Zerroug, qui a commencé par la vente de fripes américaines à la fin des années 1950. Ce groupe récupère des vêtements usagés dans 42 départements et trie la majeure partie de sa récolte en interne. Il emploie 124 salariés en CDI. Après avoir dénoncé la « concurrence déloyale » des associations d’insertion, Mehdi Zerroug, le président d’Écotextile, s’est rendu à l’évidence. Pour accorder l’autorisation à une entreprise d’installer des conteneurs, les collectivités locales sont très sensibles à la création d’emplois pour les chômeurs de longue durée.

En 2012, le groupe a donc créé la société Éco­textile Insertion, chargée d’ouvrir en province des centres de tri employant des personnes en insertion. « L’ensemble des opérateurs répond au même cahier des charges et sert les mêmes marchés », assure le président d’Écotextile, en indiquant que les succès récents à plusieurs appels d’offres lui ont permis de créer un centre de tri à Perpignan. « En 2014, nous devrions nous appuyer sur trois centres Écotextile Insertion en plus de notre usine à Appilly. »

Tout commence par la collecte. Au Relais 75, à Pantin, Samuel Isambert est responsable d’une équipe de 13 chauffeurs. La journée commence vers 7 heures et se termine vers 16 h 30, voire 18 heures les jours où la récolte est abondante. « L’équipe travaille sous le régime de la solidarité. Ceux qui ont bouclé leur tournée et vidé leur camion en premier aident les collègues qui n’ont pas encore fini », détaille cet ancien gestionnaire de patrimoine. Côté Écotextile et Framimex, les horaires des chauffeurs sont individualisés. En nombre insuffisant, ils sont épaulés par des sous-traitants.

Le management de l’ensemble des Relais est démocratique, indique Valentin Lœvenbruck, responsable de site en formation. « Nous avons des réunions mensuelles pour prendre des décisions collectives concernant notre activité. À la prochaine, nous voterons pour choisir un nouveau matériel de nettoyage des conteneurs, proposé par le réseau métier. » Dispositif interne original, ce réseau réunit régulièrement des représentants élus dans chaque fonction. Objectif : réfléchir sur l’activité et trouver des améliorations techniques. Les différents sites doivent ensuite s’approprier les propositions et faire une demande aux responsables nationaux pour obtenir leur financement. Selon un dispositif identique, d’autres salariés planchent sur des questions de fonctionnement, d’organisation ou de santé et de sécurité. Un chantier « amélioration des conditions de travail » existe également chez Relais France.

Mais cette gestion démocratique a un revers, l’absence de représentation du personnel. « Nous jouons la transparence, certifie Pierre Duponchel. Dans les réunions mensuelles, tous les salariés reçoivent l’information économique qu’une entreprise classique réserve à un comité d’entreprise. Par ailleurs, ils peuvent parler de leurs conditions de travail en réunion de secteur, qui rassemble un nombre réduit de personnes. » Depuis 1984, date de création du premier Relais, cette organisation est validée tous les cinq ans au cours d’un vote à bulletins secrets. Suivant les Relais, le taux d’adhésion varie de 75 à 91 %. Mais tout le monde n’est pas convaincu. « On se retrouve seul pour défendre un point de vue en réunion de secteur. Ce n’est pas facile. La mise en place d’une représentation du personnel a déjà été demandée en réunion générale, mais la direction s’en tient à sa vision démocratique », se plaint une salariée d’un magasin Ding Fring.

Antisyndicalisme

Chez Écotextile, l’organisation est très hiérarchique. Seul le patron décide. Deux personnes ont récemment suivi une formation sur les gestes et postures en vue d’améliorer les conditions de travail : la DRH et une chef d’équipe. Le management se teinte même d’un certain antisyndicalisme, selon Didier Macret, le secrétaire général du syndicat CFDT Métaux de la vallée de l’Oise. « Le climat n’est pas bon dans cette société. Les patrons ne supportent pas les interventions de notre représentante ou les distributions de tracts syndicaux. La méfiance règne et les salariés doivent débadger pour aller aux toilettes. La société a reçu plusieurs rappels à l’ordre de l’Inspection du travail sur le mauvais fonctionnement des institutions représentatives du personnel. » Contrairement au Relais, il existe pourtant une délégation unique du personnel chez Framimex, qui emploie 92 personnes. Les quatre élus sont à la fois membres du CE et délégués du personnel.

À Appilly comme à Bruay-la-Buissière, le tri de vêtements est industriel. En 2000, Framimex a investi plus de 1 million d’euros dans une unité de tri robotisée de 3 mètres de haut et d’une vingtaine de mètres de long. Les vêtements sont amenés par tapis roulant. Un portique les déverse dans un grand bac installé à côté de chaque poste de trieuse. La matière arrive automatiquement en fonction du poids des pièces encore présentes dans le bac. « Cela permet d’individualiser le rythme de travail. Les salariées peuvent prendre deux pauses par jour. Mais cela ne les empêche pas d’avoir un objectif quantitatif et qualitatif à respecter », détaille Cindy Gravier, la DRH. Des ouvertures de conduit sont installées devant le poste de travail, comme les alvéoles d’un rayon de ruche. La trieuse envoie les vêtements dans l’une ou l’autre suivant son type et son usage. Chaque « trou » de l’alvéole conduit à un bac dont le contenu alimentera automatiquement un second tri, plus fin. Une énorme presse forme des balles de vêtements de 500 kilos. « Nous avons effectué des mesures. Le bruit généré ne dépasse pas les normes tolérées par la législation », précise la DRH.

Au Relais de Bruay, les installations sont plus anciennes. Deux tapis roulants antédiluviens s’étendent sur plusieurs dizaines de mètres et alimentent jusqu’à neuf postes de travail. Chaque trieuse prélève un type de vêtement et le dépose dans l’un des bacs sur roulettes installés devant elle. Une noria de salariés s’occupe du transfert des bacs vers les postes de travail du deuxième tri ou une presse installée dans une autre partie de l’usine. Pantalons, vestes, robes, jupes, pulls sont triés une deuxième fois en fonction de la qualité, de la demande ou de l’utilisation finale. Les pièces de qualité inférieure sont dirigées vers l’atelier de découpe et transformées en chiffons. Les premiers choix atterrissent dans l’une des 70 boutiques Ding Fring. Bernadette prépare les commandes des forains et reçoit les responsables de boutique qui viennent trier sur place. Présente depuis dix-neuf ans, elle est satisfaite de son sort. « Nous finissons tôt, c’est pratique quand on a des enfants. Et puis on n’est pas tyrannisés par les responsables. »

Réel savoir-faire

On ne devient pas trieuse du jour au lendemain. Mehdi Zerroug estime qu’il faut un an pour former une trieuse qui puisse discerner les matières tissées des tricots et synthétiques. Les pièces qui vont intéresser les friperies vintages du Marais parisien, celles qui échoient aux Japonais ou aux Sénégalais. Chez Écotextile, on discerne 600 articles différents suivant le marché visé. Deux chefs d’équipe vérifient la qualité du tri effectué par leurs collègues. « Nous encourageons les bons éléments par le biais de primes de production. La formation dès le recrutement doit transmettre les spécificités du tri et nous souhaitons conserver les personnes ainsi formées dans nos effectifs », affirme le patron. Selon la DRH, les salaires s’échelonnent entre 1 500 et 2 200 euros, en fonction du poste et de l’ancienneté. Le rendement des trieuses est stimulé par une prime de productivité. Écotextile privilégie la motivation financière. Tous les salariés reçoivent une prime d’assiduité. L’ensemble est complété par des primes d’ancienneté et de vacances d’été. « Le montant de cette dernière équivaut presque à un treizième mois », déclare Jocelyne Hannier, trésorière du CE. Les bonnes années, les salariés peuvent aussi compter sur la participation. La moyenne d’ancienneté est de quinze ans. « La chef d’atelier compte même trente-neuf ans de présence », souligne Cindy Gravier, la DRH. Au Relais, les primes sont inexistantes et les rémunérations des salariés postés, des chauffeurs ou des vendeuses en magasin sont proches du smic. Mais la moitié du résultat annuel est partagée à égalité entre tous les salariés. En 2012, chacun d’entre eux a reçu 855 euros net. L’autre moitié est mise en réserve ou investie.

Les avantages sociaux dont bénéficient les salariés des deux entreprises sont à peu près équivalents. Faute de moyens, le comité d’entreprise de Framimex se contente de distribuer un chèque-cadeau à Noël. La direction donne l’équivalent aux employés d’Écotextile et de Zerroug Holding. Le « comité de loisir » du Relais fait de même et organise des sorties pour les salariés.

Malgré la présence d’une DRH, Écotextile offre peu de perspectives de carrière à ses employés. La plupart restent confinés à leur poste de travail. Pour autant, l’ouverture récente d’un Écotextile Insertion à Perpignan a été l’occasion pour une salariée de devenir chef d’équipe. Au Relais, qui est agréé « entreprise d’insertion », la formation est systématique. « La majorité des nouveaux recrutés a subi une longue période de chômage. Après un temps de réadaptation, des formations leur sont proposées qui vont de la maîtrise des savoirs de base à la préparation d’un diplôme qualifiant », explique Sébastien Sellier, responsable de la communication au Relais France. Ceux qui choisissent de rester après leur période d’insertion peuvent continuer à se former. L’une des vendeuses du Ding Fring de Béthune a obtenu son permis poids lourd et assure une collecte au volant d’un camion. Un bel exemple des vertus d’une entreprise à but socio-économique.

Rude concurrence

Vol de matière première, diffusion de rumeurs… L’envolée des prix du textile – de 80 euros la tonne en 2007 à 400 aujourd’hui – a déclenché la guerre sur le marché. En 2013, Le Relais a porté plainte pour des vols de conteneurs retrouvés au Portugal sous les couleurs d’une entreprise locale. De nouveaux intervenants sont apparus, des petites structures ou des mastodontes, comme Next Textiles Association, une coentreprise créée par Sita, filiale de Suez Environnement, et l’allemand Soex. « Le marché du négoce de vêtements usagés est mondial, explique Pierre Duponchel, président du Relais France. Plus de la moitié des quantités triées est exportée dans les pays à faible pouvoir d’achat. Suivant les cours de la tonne, nous voyons arriver de nouveaux concurrents. Mais, il y a dix ans, certains ont abandonné l’activité lorsque les prix se sont effondrés. » Chaque année en France, entre 700 000 et 800 000 tonnes de textile sont jetées. La majeure partie finit dans les incinérateurs. « 150 000 tonnes sont ramassées annuellement par l’ensemble de la filière. Ce qui nous donne des perspectives de développement importantes », indique Mehdi Zerroug, président d’Écotextile. La contribution textile – 1 centime payé par les fabricants et importateurs sur chaque pièce vendue – créée dans le cadre du Grenelle de l’environnement pour le ramassage, a accéléré les initiatives. De leur côté, les intervenants sont subventionnés à hauteur de 69 euros la tonne triée. De quoi aiguiser les appétits.

Le Relais

EFFECTIF

2 178

NOMBRE DE CENTRES DE TRI

14

CHIFFRE D’AFFAIRES

91 MILLIONS d’euros en 2012.

Écotextile/Framimex

EFFECTIF

124

(groupe Écotextile).

NOMBRE DE CENTRES DE TRI

2

CHIFFRE D’AFFAIRES

11 MILLIONS d’euros en 2012.

Auteur

  • Éric Béal