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Décodages

La CFDT embarrassée par le bilan Hollande

Décodages | Syndicat | publié le : 04.06.2014 | Stéphane Béchaux

En première ligne sur les sujets sociaux, la centrale s’avère très exposée. La faute à la crise et à l’impopularité de l’exécutif. Des difficultés qui resteront entières à l’issue de son congrès.

Promis juré, on se dit tout ! Mi-avril, devant la presse, Laurent Berger assurait que le 48e congrès confédéral n’aurait rien d’une grand-messe assoupie. « On fera le bilan sans faux-semblants, on ne laissera rien sous le tapis », promettait alors le leader cédétiste. De fait, les quelque 2 500 délégués réunis jusqu’au 6 juin à Marseille n’ont pas besoin de beaucoup se creuser la cervelle pour trouver des sujets de débat. Depuis l’intronisation du nouveau secrétaire général, en novembre 2012, la maison n’a pas chômé. À son actif, deux grands accords interprofessionnels sur la sécurisation de l’emploi et la formation professionnelle, un relevé de conclusion sur le pacte de responsabilité et une nouvelle convention d’assurance chômage. Des textes qui, sans le rôle moteur de la CFDT, n’auraient jamais vu le jour.

Nul doute que ces choix stratégiques nourrissent les échanges sur le rapport d’activité. Mais aucun risque que l’ambiance ne tourne au vinaigre. Depuis le départ, en 2003, des derniers opposants, la centrale est très monolithique. « Les contestataires sont partis, ou vivent cachés. Au congrès, on ne nous empêche pas de prendre le micro, mais on sait que les choses ne bougeront pas puisque certains sujets ne sont pas au débat, comme le travail dominical ou de nuit », déplore Alexandre Torgomian, secrétaire général du Commerce francilien. L’un des rares à exprimer ses désaccords, à l’image de cette tribune qu’il a cosignée dans Libération mi-décembre critiquant vertement les effets négatifs de la loi de sécurisation de l’emploi, dont sa centrale est un artisan majeur, sur les temps partiels. Une posture de combat très minoritaire dans l’organisation. « Le constat qui s’impose est celui d’une forte convergence des opinions et attitudes des militants et adhérents de la CFDT », observe ainsi Martine Barthélemy, du Cevipof, en conclusion d’un ouvrage collectif, le Réformisme assumé de la CFDT (2012, éditions Les Presses de Sciences po).

Ce bel unanimisme pourrait faire les affaires de Laurent Berger et de son équipe resserrée. Et pourtant. Dans l’état-major, on s’inquiète de la capacité des troupes à mener une réflexion collective, à faire vivre les débats et à pointer les dangers. « Notre commission exécutive est plutôt bien charpentée. Mais le bureau national, notre parlement, est, lui, d’un niveau affligeant », confie un permanent de la boutique. En témoignent les débats préparatoires au congrès, qui ont donné lieu à des interventions très pauvres sur les questions d’orientation. Même déception à l’égard des syndicats. Sollicités pour réagir à l’avant-projet de résolution générale, seuls 171 ont déposé des amendements, de surcroît pas toujours pertinents. Résultat, la confédération a dû faire les fonds de tiroir pour trouver une grosse vingtaine de propositions dignes d’une discussion en plénière au congrès.

Supplétive de l’exécutif. Depuis l’élection de François Hollande, la centrale n’a pas à rougir de son bilan. Au contraire. Sur la méthode, jamais un exécutif n’avait donné autant de place à la démocratie sociale si chère à la CFDT. Sur le fond, cette dernière a, aussi, fait avancer ses billes, en obtenant la concrétisation de plusieurs de ses vieilles revendications, tels la complémentaire santé pour tous, le compte personnel de formation, les droits rechargeables à l’assurance chômage, le compte pénibilité ou la base de données économiques et sociales. « La CFDT impressionne ses interlocuteurs par son sens de l’engagement et des responsabilités. Le gouvernement a repris beaucoup de ses propo­sitions et en a fait son partenaire charnière dans la mise en œuvre de sa politique », observe l’ex-dirigeant cédétiste Jacky Bontems, président du think tank Réseau 812. Conseiller de François Hollande pendant la primaire socialiste puis la campagne présidentielle, il fait partie des nombreux relais dont dispose la confédération jusqu’au sommet de l’État, de l’Élysée à Matignon en passant par la Rue de Grenelle.

Paradoxalement, cette place centrale sur la scène sociale constitue aussi son talon d’Achille. À force de jouer les premiers rôles, la centrale s’affiche dans l’opinion publique en supplétive de l’exécutif. Et pas seulement sur les grands chantiers nationaux. Ses volte-face périlleuses à La Redoute ou chez Mory Ducros, son manque de combativité sur le travail dominical interpellent également. Une position délicate qu’exploitent ses principales rivales, la CGT et FO, qui prennent un malin plaisir à la dépeindre en « courroie de transmission » du PS ou en « syndicat officiel ». Gênant, dans l’absolu, mais plus encore face à un pouvoir extrêmement impopulaire, en panne de résultats. « Au quotidien, nos actions ne sont pas marquées du sceau du gouvernement. On bâtit nos dossiers à partir de nos seules références, et on les défend au mieux. Mais on est bien conscients que le fait de dialoguer avec un acteur affaibli, dont l’action n’est pas toujours lisible, représente un handicap », explique Marcel Grignard, l’éminence grise de la maison sur le départ.

Tête-à-tête périlleux. Incapable de trouver des terrains d’entente durable avec la CGT et FO, le Boulevard de la Villette se sent aussi bien seul dans le camp réformiste. Il ne peut guère compter sur la CFTC, qui pèse très peu dans les négociations, ni sur la CFE-CGC, plus occupée à se chercher un nouveau nom qu’à repenser son corpus doctrinal. Résultat, le 1er Mai, seule l’Unsa, non représentative au niveau interpro, figurait à ses côtés lors de son meeting parisien très confidentiel consacré à l’Europe. Du côté du patronat, la situation n’est pas plus réjouissante. Entre Laurent Berger et Pierre Gattaz, le courant ne passe absolument pas. « Plus la crise s’intensifie, plus les entreprises jouent le chacun pour soi. Au lieu d’aider son organisation à prendre de la hauteur, à penser collectif et à moyen terme, le président du Medef reste au ras des pâquerettes », regrette-t-on dans l’entourage du leader cédétiste. Finalement, la confédération se retrouve donc dans un tête-à-tête périlleux avec le gouvernement.

Conscient du danger, l’état-major cédétiste entend bien, après la grand-messe marseillaise, entrer dans une nouvelle phase. Celle de la distanciation avec la sphère politique. « On va se recentrer sur notre cœur de métier : l’entreprise. Dans les mois à venir, il faut absolument qu’on prouve que la négociation produit des résultats sur le terrain, palpables par les salariés », argumente un permanent au cœur de la machine. Pour l’instant, aucun signal négatif à déplorer ni dans la courbe des adhésions – très plate – ni dans les résultats des récentes élections professionnelles. Quand bien même le scrutin dans la fonction publique, prévu en fin d’année, s’annonce ardu. À l’issue de son congrès, la CFDT sait qu’une partie délicate l’attend pour durcir son image sans perdre son âme réformiste. Histoire de couper court à la menace qui plane au-dessus de sa tête. Celle de revivre les années Mitterrand, qui avaient vu l’organisation perdre le tiers de ses troupes.

Auteur

  • Stéphane Béchaux