Inspecteurs, médecins du travail, scientifiques…, ces vigies se sont mises au service de ceux qu’ils estiment être les plus vulnérables, c’est-à-dire les salariés.
La garante du Code du travail
Cette inspectrice du travail à l’Unité territoriale de Haute-Savoie ne s’exprimera pas. « Elle estime n’avoir fait que son travail », lâche un collègue. Ce n’est pas l’avis de la DRH de Tefal (1 600 salariés) à Rumilly. Elle « nous inonde de courriers sur tous les sujets depuis janvier 2013 », écrit-elle dans un document interne décrivant le plan d’action pour contrer la fonctionnaire, dont ce rendez-vous le 18 avril 2013 avec son supérieur hiérarchique, cette nouvelle conversation avec lui le 25 mai commentée d’un « on attend de voir si son action porte ses fruits »… Dévoilées par la CNT Travail puis l’Humanité mi-décembre, ces pièces éclairent l’affaire divisant l’UT 74. Puisque, au lendemain de son entrevue avec Tefal, le directeur départemental du travail a demandé à l’inspectrice de revoir sa position sur l’interprétation de la légalité de l’accord de RTT, dont elle avait demandé la renégociation.
Une mise en garde mal vécue par l’intéressée, placée en arrêt de travail trois mois. Une atteinte au principe d’indépendance pour les syndicats d’inspecteurs (CGT, FSU, CNT et SUD), qui en ont fait un symbole fin 2013, comme ceux de Tefal. « Si on enlève toute autorité aux inspecteurs, quel recours reste-t-il aux salariés dont les droits sont bafoués ? » vitupère son DSC CGT, une pétition de 360 salariés à la main. « Quand un inspecteur du travail est incriminé par une entreprise, l’autorité administrative doit organiser, en toute transparence, une confrontation contradictoire entre les parties. Ce n’a pas été fait », note le Snutef FSU, en pointant les tiraillements de l’administration entre ses missions emploi et contrôle. L’inspectrice, en temps partiel thérapeutique, attend l’avis du Conseil national de l’inspection du travail, qu’elle a saisi, pour retrouver sa crédibilité d’intervention. A. F.
Toxicologue en guerre
L’interdiction du bisphénol A dans les biberons et les contenants alimentaires, c’est lui. Celle du perchloréthylène dans les pressings, encore lui. Les éthers de glycol, toujours lui. Depuis plus de quarante ans, André Cicolella est en guerre contre les toxiques qui empoisonnent la santé et est devenu le cauchemar des industries chimiques. « On peut choisir d’exercer sa profession comme un idiot spécialiste, sans se poser de questions. Dans mon domaine, j’estime qu’on ne peut pas être ingénieur chimiste sans s’interroger sur les substances que l’on utilise », souligne-t-il. Une posture qu’il n’a jamais quittée et qui lui a valu des relations difficiles avec ses employeurs, l’INRS (dont il fut licencié pour faute lourde) puis l’Ineris. Combattant écorché vif à ses débuts, cet ancien militant CFDT en Lorraine (il est parvenu à faire inscrire au tableau des maladies professionnelles la bronchite des mineurs) a appris la patience en voyant son action porter ses fruits. Il œuvre aujourd’hui dans le milieu associatif avec le Réseau Environnement Santé, qu’il a fondé en 2009. Un réseau citoyen dont l’objectif est de placer au cœur du débat public les questions de santé et d’environnement. « Sans dogmatisme, car André a un très grand sens politique », explique Dorothée Browaeys, déléguée générale de l’association VivAgora. Ensemble, ils ont écrit Alertes Santé, l’un des premiers ouvrages sur les lanceurs d’alerte, paru en 2005. Sa dernière victoire : l’adoption d’une stratégie nationale contre les perturbateurs endocriniens par le Conseil national de la transition écologique. « Ce qui fait de la France l’un des pays en pointe sur le sujet », souligne le scientifique. A.-C. G.
Le combattant de la santé des salariés
Ils étaient nombreux ce jour d’été 2013. Près de 200 à saluer son départ à la retraite dans une salle de la centrale EDF de Chinon (Indre-et-Loire) où, durant trente ans, il a ausculté les corps et les esprits. Il y avait là cet ouvrier qui, pour la première fois, lui donne du Dominique. Car le médecin, avec son caractère revêche et prompt à la réplique, en impose. Le genre d’homme à ne pas se laisser influencer, son indépendance de professionnel de la santé toujours en étendard. « Il ne s’interdit rien, mais toujours dans le respect de la loi, observe Guy Cléraux, ancien secrétaire de la CGT à Chinon. Il écrivait des choses dans ses rapports annuels que personne d’autre n’aurait osé mentionner. Pour lui, se taire, c’était accepter. »
« UN DANGEREUX ». Dominique Huez a donné des sueurs froides à plus d’un dirigeant. À Paris, au siège d’EDF, il passe pour « un emmerdeur, un dangereux », car il n’affirme rien sans preuve. « C’est un héros qui a éclairé les pratiques de médecine du travail. Il mène une sorte de guerre sainte », confie François Desriaux, rédacteur en chef de Santé & Travail, qui le connaît depuis un bail. Arrière-petit-fils de médecin de fonderie, petit-fils et fils de médecin, ce Tourangeau fait sa thèse sur les poussières de tungstène et les risques de cancer. De là naîtra une nouvelle maladie professionnelle. Chez EDF, il bataille pour les conditions de travail des sous-traitants et dénonce les suicides générés par le manque de moyens entre 2006 et 2007. « Les embauches avaient été gelées, l’encadrement intermédiaire était surchargé. C’était du harcèlement stratégique pour augmenter la qualité, une motivation par la peur », se souvient-il. Pendant deux ans, Paris couvre. Et réagit face à la pression médiatique.
Car le docteur Huez sait faire du bruit. Au début de sa carrière, il avait déjà claqué la porte de Matra après une conférence de presse où il dénonçait la détérioration de la santé des salariés. Tout sauf « antipatron », le fondateur de l’association Santé et Médecine du travail, par ailleurs pilier de la consultation souffrance au travail du CHU de Tours, se voit aujourd’hui reprocher son manque de recul par le Conseil de l’ordre. Poursuivi par Orys, un sous-traitant d’EDF, pour un certificat liant l’état dépressif d’un salarié au « vécu de maltraitance » à la centrale, il a écopé début janvier d’un avertissement. « Il y a une quinzaine d’affaires en cours dans 10 départements, recense-t-il. Face au chantage des employeurs, beaucoup de médecins cèdent et reviennent sur leur diagnostic. » Pas son genre. Quitte à devoir passer moins de temps à observer les oiseaux, la passion d’un homme qui se rêvait vétérinaire… E. S.
PIERRE PLUTA
Inlassable militant du procès pénal de l’amiante
Sans cet ancien ajusteur mécanicien des chantiers navals de Dunkerque, 67 ans, la bataille médiatique pour un procès pénal de l’amiante n’aurait pas été gagnée. En réaction à un non-lieu délivré en 2003, après les plaintes déposées par son association régionale des victimes, il a mobilisé 470 veuves, vite aux premiers rangs des cortèges nationaux. Jusqu’à l’ouverture fin 2005 d’une information judiciaire à multiples rebondissements. L’actuel président de l’Association nationale des victimes rêve toujours d’un procès pénal de l’amiante.
L’APPEL DES APPELS
Les antinormalisation
Professionnels de la culture, de la justice, enseignants et travailleurs sociaux… Ils sont plus de 87 000 à avoir signé ce manifeste « pour remettre l’humain au cœur de la société », qui dénonce les logiques de normalisation et d’évaluation sur de seuls critères économiques. Lancé depuis 2008 par Roland Gori, psychanalyste et professeur de psychopathologie clinique à l’université d’Aix-Marseille, le mouvement étrille la MAP de François Hollande, comme naguère la RGPP de Nicolas Sarkozy.
GÉNÉRATION PRÉCAIRE
La voix des stagiaires
Depuis l’appel à la rébellion lancé en 1995 sur Internet, les masques blancs de Génération précaire (dont Julien Bayou, élu EE-LV d’Ile-de-France, est une figure historique) maintiennent la pression pour restaurer, dans leurs droits de travailleurs, les stagiaires d’entreprises et de l’administration. Sans guère d’effet concret, malgré trois lois. La proposition de loi PS, en cours d’examen, leur semble « sans ambition ».