L’entreprise a aussi ses contestataires internes. Lanceurs d’alerte, agitateurs, provocateurs… dont les combats finissent par porter.
La cadre dévouée qui dénonce sa direction
Elle n’avait jamais imaginé endosser un jour le costume de « lanceuse d’alerte ». L’ancienne cadre « dévouée » n’a guère le choix aujourd’hui que d’assumer ce nouveau rôle. Sept ans après le début des hostilités qui l’opposent à son ancien employeur UBS France, et plus d’un an après son licenciement, Stéphanie Gibaud s’est résolue à écrire un livre, La femme qui en savait vraiment trop, paru aux éditions du Cherche Midi. Pour « remettre [ses] propres idées au clair », dit-elle, troublée par les attaques de son ex-employeur. Mais aussi pour témoigner auprès du grand public : en démarchant pour le compte de sa maison mère suisse, UBS France a multiplié les pratiques illicites et organisé l’évasion fiscale. Toute une chaîne dont l’ancienne responsable marketing était un des maillons, à son insu.
BRAS DE FER. Recrutée pour organiser des événements de haut standing, Stéphanie Gibaud était appréciée pour son travail. « Une professionnelle », reconnaît Hervé Mercier-Ythier, directeur général d’UBS France. « Nous avions des relations tout à fait faciles. Elle faisait peu de bruit. » Avant que tout ne s’envenime. Selon lui, « elle a très mal vécu le plan social engagé en 2009, suite à la crise financière ». Pour Stéphanie Gibaud, le conflit remonte plutôt à ce jour de 2008, où sa nouvelle supérieure hiérarchique la somme de détruire ses fichiers clients. Le résultat d’années de travail. Un ordre non écrit qu’elle refuse d’exécuter, craignant une mise en cause pour faute grave. Le bras de fer commence.
Malgré une ambiance de travail qu’elle qualifie d’« enfer », elle ne démissionne pas. De toute manière, l’Inspection du travail fait barrage au licenciement de la secrétaire du CHSCT depuis 2007, et l’épaule même dans son combat. Pour la direction, son mandat au CHSCT et son adhésion tardive (en 2010) au Syndicat national de la banque CFE-CGC sont un moyen de faire monter les enchères, et de négocier avantageusement son départ. « Elle est la dame attachée aux valeurs par excellence. Elle a défendu des salariés », dément Nicolas Forissier, ex-responsable de l’audit interne à UBS France, également licencié par la banque.
De cette histoire, Stéphanie Gibaud garde un goût amer : « Je pensais que dire la vérité et être honnête suffirait. » L’organisatrice d’événements n’a pas retrouvé de travail depuis son licenciement et s’estime blacklistée par la profession. Mais cette mère de deux enfants se console d’avoir œuvré pour « l’intérêt général ». Même si elle y a laissé des plumes, et doute encore : « Quand je n’ai pas le moral, je me dis que j’ai tout perdu. »
C. A.
Le poil à gratter patronal
Fixer le salaire des dirigeants à 240 fois le smic, c’est lui. En 2006, cette proposition lui avait valu les coups de téléphone de patrons effarés. « Il faut bien définir des prix. Pour fonctionner, l’industrie se fixe des quotas », raisonne Pierre-Henri Leroy. Cet ancien banquier, passé par un établissement américain et par le Crédit lyonnais, est arrivé à la question de la rémunération des dirigeants par de curieux détours : en défendant les intérêts des actionnaires aux assemblées générales, généralement peu contestataires face aux décisions des conseils d’administration.
Sa société, Proxinvest, les conseille depuis 1995. Chaque année, elle publie un rapport sur la gouvernance des entreprises où la question de la rémunération des patrons tient une place de choix. Un écho dans les médias dont Pierre-Henri Leroy profite pour désigner les patrons qui « piquent dans la caisse ». Est-il pour autant mis au ban des milieux dirigeants ? Superbe ignorance du côté de l’Association française des entreprises privées, qui se refuse à tout commentaire sur l’intéressé. « J’ai un bon capital sympathie. Les menaces de procès à mon égard ne se sont jamais concrétisées », répond le trublion, qui fait partie du comité consultatif « épargne » de l’Autorité des marchés financiers. À l’AMF, « soit on l’écoute, soit on lui dit « cause toujours » », constate Antoine Bouchez, consultant en économie sociale, qui le connaît depuis près de quinze ans. Avec l’application du nouveau code Afep-Medef, son message semble finir par porter.
C. A.
Le porte-voix des microentrepreneurs
Son appel à ne plus payer la part patronale des cotisations sociales a fait mouche. Dix mois après l’avoir lancé en juillet 2013 sur les réseaux sociaux, Guillaume de Thomas, administrateur d’une chaîne de saunas libertins, comptabilise 136 600 entrepreneurs derrière l’étendard des « Tondus ». « Tous ne font peut-être pas la grève des cotisations, mais tous en ont assez d’être étranglés par la pression fiscale », martèle cet avocat de formation qui fournit aux Tondus la parade juridique leur évitant des poursuites. Lui, a convaincu les associés des 19 entreprises où il est impliqué (46 salariés), dans l’habillement ou la vente de poppers en ligne. Et alimente sa croisade par des réunions locales et des coups de fil médiatisés à des ministres. La presse, cet ancien de la bande de Ruquier, ex-nègre de Jean-Luc Romero (premier à l’UMP à révéler en 2002 sa séropositivité), connaît bien. Il a dénoncé, en plein été 2012, le refus de Pôle emploi de diffuser une offre du sauna d’Évreux pour un agent d’accueil « ouvert d’esprit ». Trois jours après, il obtenait gain de cause.
Son goût pour la provocation, le presque quadra l’assume. « C’est un impulsif, mais il a réussi à faire exister dans les médias le petit patron, jusqu’alors sans parole, maltraité par l’Urssaf, peu écouté des élus locaux », note Didier Fillon-Ducret, cofondateur des Tondus et ex-secrétaire du Syndicat national des entreprises gaies. Au point que le Medef lui a proposé d’être son Monsieur Petite Entreprise. « Je ne cherche pas un poste mais une reconnaissance pour les microentreprises », rétorque l’intéressé, qui crée un syndicat pour les 97 % d’entreprises de moins de 20 salariés.
A. F.
XAVIER NIEL
L’insolent Free
Les patrons des télécoms le redoutent. Affublé de son éternelle chemise blanche, le fondateur d’Iliad a révolutionné l’offre mobile en cassant les prix et en misant sur le triple play. Procédurier dans l’âme, « le roi du tout compris » n’hésite pas à épingler régulièrement Bouygues Telecom tout en tentant une alliance avec lui pour avaler SFR. Business angel, directeur d’école, actionnaire dans les médias (le Monde, le Nouvel Observateur), il impose aux autres opérateurs un modèle low cost qui leur a déjà coûté cher en emplois et en perte de chiffre d’affaires.
LAURENCE PARISOT
L’indomptable
Depuis qu’elle a quitté la tête du Medef, la vice-présidente de l’Ifop ne mâche pas ses mots. L’élection de Pierre Gattaz lui a laissé un arrière-goût revanchard. Elle a fait tout ce qu’elle pouvait pour enchaîner un troisième mandat. Mais la ficelle était trop grosse. Depuis, elle plante ses banderilles. Entre une tribune pour demander le maintien du régime des intermittents, un tweet assassin en réaction à l’idée lancée par son successeur d’un salaire transitoire inférieur au smic et des critiques à l’encontre de la misogynie du milieu patronal. De là à se dessiner un avenir en politique, il n’y a qu’un pas que l’ex-patronne des patrons franchit allégrement.
COLETTE NEUVILLE
Vigie des boursicoteurs
Son dernier coup ? Envoyer début avril un huissier chez Vivendi en pleine tractation avec Numericable lors du rachat de SFR. Ou encore écrire à l’Autorité des marchés financiers après l’OPA sur le Club Med. À 77 ans, cette juriste et économiste est le bras armé des actionnaires minoritaires au travers de l’association qu’elle a créée, l’Adam. Assemblée générale annuelle ou projet de rapprochement, son influence dépasse largement le cadre feutré du monde de la finance.