Alors que la crise incite au retrait, ces résistants s’obstinent à dénoncer les injustices et à protéger les droits des salariés. Un engagement courageux et périlleux… qui peut aussi leur ouvrir d’autres voies.
Sommes-nous tous des Edward Snowden en puissance Des lanceurs d’alerte, des whistleblowers, en un mot des résistants capables de dire stop face à l’injustice ou à l’insensé Syndicalistes, avocats, médecins, cadres… Un jour, ils ont décidé d’entrer en guerre, de dénoncer des faits qui heurtent leur conscience ou leur déontologie. Nous en avons recensé plus d’une vingtaine. Ces empêcheurs d’entreprendre en rond luttent dans l’ombre pour rétablir une relation qu’ils estiment déséquilibrée, prévenir les risques d’atteinte à la santé. Rien ne les prédisposait à jouer les héros du social. Si ce n’est, parfois, un certain héritage familial, comme pour Dominique Huez, médecin du travail, ou Emmanuelle Boussard-Verrecchia, avocate qui lutte contre les discriminations. Leur courage se nourrit de leurs convictions. Mais, en temps de crise économique, savoir les mobiliser reste périlleux tant les pertes peuvent être lourdes. « L’heure est plutôt au découragement, observe Cynthia Fleury, psychanalyste, auteure de la Fin du courage (éditions Fayard). Nous croyons que la notion de courage est obsolète car nous ne sommes pas en guerre. Mais les délocalisations, la précarisation, les accélérations technologiques forment de grands bouleversements qui obligent l’individu à aller au combat. Et pour beaucoup, le système, bien qu’il soit un simulacre, est plus fort qu’eux. »
QUARANTAINE. Une majorité estime que les contre-pouvoirs crédibles font défaut. Selon un sondage BVA/le Parisien paru le 20 avril, 63 % des Français ont une mauvaise image des syndicats. « Face au manque de tiers de référence, la stratégie est celle du retrait, de l’endurance », note la psychanalyste. Mais, sporadiquement, des îlots de résistance apparaissent. Le déclencheur peut être une mesure jugée contre-productive, à l’instar de l’Appel des appels lancé par des professionnels de santé pour dénoncer les effets néfastes de la RGPP. Ou une fermeture d’usine comme celle de Goodyear et le bras de fer entamé par le cégétiste Mickaël Wamen. Au début, l’agitateur fédère autour de lui. Déclenche un élan de solidarité. Mais rapidement, il est mis en quarantaine. Car fréquenter celui qui a été pris en grippe par la direction peut être contagieux. « Il n’y a pas d’exercice du courage sans expérience de la solitude, souligne la philosophe. « Ce qui est à faire, c’est à moi de le faire », dit Jankélévitch. La délégation à autrui s’arrête là. » Épingler l’« organisation mortifère » d’EDF à la centrale de Chinon a coûté quelques galons au docteur Huez. « C’est plutôt un honneur finalement », lance-t-il après-coup.
Même ostracisés, ces combattants ne regrettent pas d’avoir pris la parole. Certains y trouvent même une nouvelle voie d’action. Comme le cédétiste Édouard Martin, l’ancien défenseur des ouvriers de Florange, qui se présente aux élections européennes sur une liste socialiste. Ou Marie-Odile Bertella-Geffroy, l’ex-juge du dossier amiante à l’origine de la mise en examen de Martine Aubry, qui fait de même aux côtés de l’eurodéputée écolo-centriste Corinne Lepage. Un mélange des genres souvent mal perçu par les pairs ou les compagnons d’hier. Car le courage sert alors sa propre cause.
Blocage de 241 000 pneus, occupation du site, séquestration de deux cadres et cette mise en demeure : « Si on n’obtient pas gain de cause, l’usine, c’est boum ! » Mickaël Wamen, le meneur CGT de Goodyear à Amiens-Nord, n’aura reculé devant rien, en janvier, pour « aller chercher les indemnités les plus fortes possibles » avant la fermeture du site de 1 173 salariés. Cette ultime bravade n’a pas été un coup d’épée dans l’eau, même si la prime supraconventionnelle arrachée est presque trois fois inférieure aux propositions de 2012. Le jusqu’auboutiste peut se prévaloir d’avoir complété le PSE… qu’il a refusé de négocier à l’automne. Pourquoi s’y serait-il astreint ? Le quadra était encore dans sa « bataille pour l’emploi », comprendre sa stratégie judiciaire d’invalidation des plans sociaux successifs menée depuis 1997. Très vite une impasse, a reconnu à demi-mot son avocat parisien Fiodor Rilov devant la commission d’enquête parlementaire. Mais très vite aussi un combat politique entre ces deux communistes et le groupe international accusé de vouloir délocaliser. « Si je n’avais pas été là, vous seriez chômeurs depuis longtemps », se justifie toujours, devant ses (rares) détracteurs internes, le malheureux candidat « divers gauche » aux législatives de 2012. Car son bras de fer est devenu un conflit exceptionnel, par sa durée, sa dureté, les 20 procédures engagées. « Un cauchemar » pour la direction… auquel elle n’est pas étrangère.
« C’est elle qui a fait émerger Mickaël Wamen dans les années 2000. Elle voulait un interlocuteur syndical unique, elle a été prise à son propre jeu », estime un connaisseur du dossier.
Elle aura distingué un syndicaliste intelligent mais impétueux. Un meneur d’hommes avant tout, devenu secrétaire du syndicat fin 1999, sept ans après son embauche. Mais aucun Mr. Hyde n’émerge sans avoir bu, avant, un amer breuvage. Dès que le cégétiste a refusé, en 2007, le travail en 4 x 8 (avec 450 suppressions de postes), il a affronté une déferlante de quatre plans sociaux, ou de départs volontaires, et la baisse abyssale de la production. Un terreau délétère qui a généré de nombreux excès. « Intimidations, menaces de mort, violences, les méthodes de la CGT sont détestables », accuse la CFE-CGC, qui a déposé plainte.
Malgré la fermeture, Mickaël Wamen n’a pas changé de logiciel. Qu’il menace le cabinet de reclassement : « Si dans quinze jours ça ne change pas [les dysfonctionnements, NDLR] […], on pète les portes et on retourne tout à l’envers. » Qu’il s’acharne à améliorer le PSE. Qu’il poursuive la bataille aux prud’hommes, où 850 ex-Goodyear vont contester le motif économique de leur licenciement. Il l’a dit : « C’est le combat d’une partie de ma vie »… vingt-deux ans chez Goodyear.
A. F.