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La fin du bureau perso

Dossier | publié le : 05.05.2014 | E. B.

Les bureaux partagés s’installent dans le paysage tertiaire. Motivé par un objectif de réduction des coûts et facilité par le télétravail, ce desk sharing ne convainc pas tous les salariés.

Desk sharing ou free seating, deux notions anglo-saxonnes qui commencent à s’imposer en France. Ces bureaux partagés et places libres à disposition chamboulent la vie de nombre de salariés dans des secteurs comme le conseil, l’informatique, la banque ou l’assurance. Pionnier à la fin des années 1990, le spécialiste du conseil Accenture a été suivi par Microsoft, Atos ou Alcatel-Lucent. Fini, la photo des enfants posée à côté de l’ordinateur, les salariés sont tenus de faire place nette en partant. Le principe est simple : dans les services où les emplacements de travail sont sous-utilisés, on prévoit moins de places que de salariés. « En 2009, nous avons fait le constat que nos open spaces étaient souvent utilisés à 50 % de leur capacité. Nous avons réduit les espaces de travail individuel pour aménager des espaces de travail collaboratif », note Richard Drouin, directeur de l’environnement de travail chez Bouygues Telecom. Le phénomène se généralise, selon Alain d’Iribarne, directeur de recherche au CNRS et président du conseil scientifique d’Actineo, un observatoire de la qualité de vie au bureau. « Dans le baromètre Actineo 2013, 11 % des salariés interrogés indiquent ne pas avoir de bureau attitré. C’est 5 points de plus qu’en 2011 », précise le sociologue.

La recherche d’économies est la première cause de cette tendance de fond. « Mais ces nouvelles approches sont aussi une réponse aux modes d’organisation et de travail modernes, tels le nomadisme croissant, le travail collaboratif, le mode projet et le télétravail, qui s’appuient sur l’emploi des nouvelles technologies de la communication », indique Ghislain Grimm, directeur du pôle consulting, recherche et développement et alliances stratégiques d’AOS Studley, une société de conseil immobilier. D’ailleurs, les objectifs financiers ont leurs limites.

Au début, Accenture avait poussé la logique du partage des postes de travail à l’extrême. Les consultants devaient réserver un créneau horaire sur un système informatique centralisé afin de se voir attribuer une place sur un des trois types d’espaces aménagés au siège parisien : open space, petite salle fermée ou salle de réunion. Le système ressemblait à une réservation de chambre d’hôtel, selon les représentants du personnel. Avec connexion de la ligne téléphonique et installation du meuble de rangement personnel sur roulettes. De l’avis même de la direction, c’était lourd et cela ne tenait pas compte des besoins non planifiés. Sans parler des effets délétères sur les conditions de travail des consultants. « Le danger du desk sharing est de dépersonnaliser les postes et d’empêcher les salariés de se les approprier », relève Alain d’Iribarne. Par ailleurs, cette organisation est toujours associée aux open spaces, qui « instaurent un flux relationnel permanent et imposé », affirme Jean-Claude Delgènes. Pour le directeur général du cabinet Technologia, ces deux aspects peuvent engendrer des mésententes entre collègues et aboutir à un désinvestissement des salariés.

Avec l’instauration des bureaux partagés, les entreprises ont redécouvert le poids de la vie sociale et du fonctionnement collectif dans l’efficacité du travail. « Aujourd’hui, lorsqu’une entreprise choisit le desk sharing, l’accent est toujours mis sur la qualité du fonctionnement collectif », affirme Alain d’Iribarne. Pour faciliter les échanges entre salariés, chaque service se voit assigner une zone préférentielle dans laquelle tous les types de postes sont disponibles. Sur le campus de Microsoft, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), ces regroupements sont connus sous le terme de « quartier ». Ce sont des « villages » chez Accenture et des « territoires d’équipe » chez Bouygues Telecom. « On ne peut pas s’engager dans le flex office (bureaux partagés version Bouygues) sans mesurer préalablement l’utilisation réelle des bureaux et échanger avec les managers sur l’organisation des équipes », estime Richard Drouin. Lorsque cette réflexion préalable n’est pas menée, le système se bloque. Atos France a rassemblé ses 4 500 salariés à Bezons (Val-d’Oise) et a décidé que tout le monde serait installé en bureau partagé. « Cela ne marche pas, indique Édith Farinaud, élue CFDT au CHSCT. Les assistantes laissent leurs affaires au même endroit. Les salles de réunion ont été privatisées par les managers et les réunions se tiennent au milieu des open spaces. Le bruit est incessant. Ceux qui le peuvent télétravaillent. Les autres se débrouillent. »

Gestion des heures de pointe

Chez Bouygues, les avis sont partagés. « Là où existe une forte cohésion dans les équipes, le flex office est très apprécié. Les gens ont le sentiment d’une amélioration de leurs conditions de travail », estime Bernard Alain, représentant FO, qui admet cependant des problèmes d’embouteillage quand tout le monde demande une salle de réunion en même temps. « Ceux qui arrivent en retard parce qu’ils ont des enfants à conduire à l’école ont toujours les moins bonnes places. Et l’on voit régulièrement des gens errer dans les couloirs avec leur PC sous le bras », note cependant Azzam Ahdab, son collègue de la CFDT. C’est le problème de la gestion des « heures de pointe », lorsqu’il y a plus de salariés que de places disponibles. Le constat est le même partout. « Pendant les périodes où nous avons moins de contrats en cours, les consultants reviennent au bureau. Il leur arrive de travailler n’importe où, à la cafétéria, dans le lounge ou dans un couloir, voire dans la cage d’escalier », témoigne Pascal Abenza, délégué syndical CFDT chez Accenture.

Le ressenti sur le bureau partagé dépend aussi de l’aménagement des sites et des fonctions de chacun. À Noisy-le-Grand, chez IBM, un chef de projet ne s’en plaint pas. « Ça permet une bonne communication entre responsables. Mais il est vrai que je suis privilégié car l’étage des managers et architectes informatiques n’est pas très rempli. Je n’aimerais pas travailler à l’étage des techniciens où la promiscuité est plus forte. » Mais pour sa part, Jean-Michel Daire, délégué CGT, pointe du doigt « l’entassement » des salariés et dénonce une spirale infernale. La diminution du nombre de postes incite « de plus en plus de collègues à ne pas fréquenter les locaux », ce qui pousse l’entreprise à réduire encore l’espace disponible.

« L’aménagement de bureaux partagés n’est pas la panacée, juste une possibilité à utiliser avec prudence », estime Joël Larousse, directeur de l’agence de coopération en environnement de travail de la SNCF. Et de préciser que la mise en place doit faire l’objet d’un projet de longue haleine, avec un accompagnement au cours des mois suivants pour éviter la détérioration des conditions de travail. « Les entreprises qui ne viseraient que les économies de locaux risquent l’échec sur les plans managérial et humain. » Un point de vue loin d’être partagé par toutes les directions.

Auteur

  • E. B.