logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Salaires impayés… gare à la note !

Décodages | Patronat | publié le : 05.05.2014 | Anne Fairise

À record de défaillances d’entreprises, record de paiements pour le régime de garantie des salaires. Il a déboursé plus de 2 milliards d’euros en 2013. Un fonds vent debout contre l’extension de son périmètre d’intervention.

Pas question de supporter, seule, les coûts que pourrait engendrer la contestation de la légalité des 2 882 licenciements chez Mory Ducros ! Décidée à ne pas être le dindon de la farce d’un plan social mal ficelé, l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) a poussé un ouf de soulagement fin février après avoir obtenu d’Arcole Industries (actionnaire à l’origine de la faillite mais seul repreneur) l’engagement d’assumer, dans ce cas, conjointement les coûts. Elle a eu du nez : les salariés du transporteur avaient à peine reçu leur lettre de licenciement, mi-mars, qu’ils montaient des recours en justice. Il y a matière à croire la CFDT et la CGT, qui constituent les dossiers, ou à entendre les stars du barreau spécialistes ès fermetures sensibles. « Injustice colossale », clame l’avocat Fiodor Rilov, en pointant l’ordre des licenciements.

Cette cogarantie arrachée au repreneur est une première dans l’histoire du régime qui se substitue aux trésoreries défaillantes pour régler les créances impayées, en premier lieu les indemnités de rupture légale et conventionnelle. Une parade à la hauteur du décaissement possible. « Si la nullité des licenciements est prononcée, chaque ex-Mory Ducros recevra un an de salaire, a calculé Thierry Cordier, de la CFDT Route. Soit, au total, 63 millions d’euros, hors dommages et intérêts. » Pas de quoi rassurer l’AGS, échaudée par le sinistre Moulinex en 2001, son plus gros dossier. Parce que le dépôt de bilan du fabricant d’électromé nager a laissé sur le carreau 3 300 salariés. Parce que les dommages et intérêts accordés aux ouvriers pour défaut de procédure (non-consultation d’une commission territoriale de l’emploi) ont fait grimper la facture à plus de 100 millions d’euros.

Or le fonds patronal serre déjà les dents dans la crise qui dure. Avec 2,19 milliards versés à 285 719 salariés, l’AGS a battu en 2013 tous ses records. Le boom des défaillances l’explique, notamment dans les sociétés de moins de 10 salariés, plus nombreuses à être liquidées d’office. Sans compter les gros sinistres, les enseignes Virgin (960 salariés), l’abattoir Gad (870 salariés), la raffinerie Petroplus (470 salariés). Et, alors que de grands groupes sont mis en redressement judiciaire, tel Ascométal, aucune embellie ne se dessine. « Au regard des chiffres du premier trimestre 2014, la tendance est toujours à la hausse des défaillances », soupire Thierry Méteyé, directeur de l’AGS. Qui affronte aussi depuis 2009 un boom des contentieux prud’homaux (passés à 51 600 en 2013) avec une multiplication des procédures de masse engagées par les salariés d’une même entreprise.

Extension forcée. Un nouveau front pour le régime patronal, vent debout contre les avocats contestant systématiquement les licenciements économiques pour obtenir des dommages et intérêts payables par l’AGS. Dans son collimateur, aussi, le formalisme « excessif » des juges. « Le reclassement effectué par les mandataires judiciaires n’est jamais jugé assez bon. Lors des liquidations judiciaires, le liquidateur ne dispose que de quinze jours pour mettre en place un PSE. C’est incompatible avec les contraintes procédurales », martèle le directeur de l’AGS, favorable à un droit social spécifique aux sociétés en difficulté. Dans les décaissements de l’AGS, le poids des dommages et intérêts va croissant, passé de 7,2 % à presque 10 % du total entre 2009 et 2011. Et seule la moitié concerne des ruptures abusives du contrat de travail. La faute à « l’extension forcée du domaine de garantie de l’AGS », selon Thierry Méteyé. « À force d’interprétations extensives, la Cour de cassation a repoussé les limites d’intervention du régime à tout ce qui est relation avec le contrat de travail, jusqu’à faire porter à sa charge les dommages et intérêts concédés dans des contentieux du type harcèlement moral ou sexuel. Est-ce le rôle de l’AGS ? déplore-t-il. Sa vocation est de régler les sommes dues en pure exécution du contrat de travail. » Or un tiers des contentieux traités par l’AGS sont nés avant la défaillance de l’entreprise.

Et les nuages s’amoncellent à l’horizon avec le préjudice d’anxiété lié à l’amiante réclamé, entre autres, par d’ex-salariés de la Normed (plus de 2 000), d’autres chantiers navals et de Moulinex. Montant des demandes devant les tribunaux ? Plus de 400 millions d’euros. Autres épées de Damoclès : l’obligation – depuis l’arrêt Sociel de fin 2012 – de prendre en charge les salariés de sociétés ayant leur siège en France mais travaillant en Europe ; ou celle faite par la loi de sécurisation de l’emploi de payer les mesures d’accompagnement du plan social dans les sociétés défaillantes, dont personne ne mesure le coût.

Rien qui ne rassure le fonds, né après la faillite de LIP en 1974, quand les patrons ont compris la nécessité de payer les salariés des sociétés insolvables pour éviter les grèves et la démobilisation en cas de poursuite de l’activité de la société débitrice. Ses armes : un plafond de prise en charge individuelle élevé, réduit de moitié en 2003 mais réputé le meilleur d’Europe, à 75 096 euros brut (dont il faut déduire une part de charges sociales) et un règlement rapide des premières créances. Les chèques partent dans les cinq jours suivant la réception par l’AGS du relevé du mandataire judiciaire. « En moyenne, les salariés sont payés deux à trois semaines après qu’on commence à l’établir », note l’un d’eux. Parfois en quarante-huit heures quand la faillite est explosive.

Reste que le pompier économico-social tient bien sa barque à flot. Aucun déficit ici. Parce qu’il garde à un taux élevé, mais pas record, la cotisation dont s’acquittent seules les entreprises (0,3 % de la masse salariale depuis avril 2011, contre 0,4 % les dix-huit mois précédents). Celles-ci financent aux deux tiers le régime, le reste l’étant par les fonds récupérés sur les actifs des sociétés. Car, malgré la crise, l’AGS maintient son taux de recouvrement, en se faisant nommer « contrôleur » dans la procédure. Une stratégie qui, précise un mandataire judiciaire, « assure à l’AGS un accès à toutes les informations et une participation aux audiences du tribunal, où elle peut faire valoir son point de vue » et mieux défendre ses intérêts. Traquer, aussi, les employeurs se mettant en faillite volontaire. Autre nouveauté « positive » pour l’avocat prosalariés Xavier Médeau : « De plus en plus, les avocats représentant l’AGS recherchent les responsabilités des mandataires judiciaires qui ont mené un plan social sans se préoccuper du reclassement. »

Des huissiers si besoin. Mais si l’AGS dénonce le formalisme des juges ou des avocats, elle n’en manque pas non plus. Elle sait aussi prendre le visage du mauvais payeur pour des salariés en galère noire. Tels les 52 ex-Sodimédical à Plancy-l’Abbaye (Aube), restés onze mois sans salaire entre la mise en sauvegarde de leur usine et la liquidation judiciaire définitive, en septembre 2012, qui a déclenché l’intervention de l’AGS. « J’ai refusé de faire des avances avant, car la société mère avait été condamnée à payer les salaires impayés », précise Thierry Méteyé. À l’automne, les 127 salariés de VG Goossens, à Marcq-en-Barœul (Nord), ont sorti des bonbonnes de gaz : « liquidés » mais pas licenciés, ils n’avaient pas été payés par l’AGS. Sans que ce soit systématique, le régime n’hésite pas à faire appel lorsqu’il juge excessives les sommes allouées par les prud’hommes. À Nouzonville (Ardennes), les 47 métallos d’Ardennes Forge, dont le patron reste poursuivi pour « détournement d’actifs, banqueroute, travail dissimulé et escroquerie », ont vu débarquer les huissiers l’an passé, cinq ans après la liquidation judiciaire. L’AGS réclamait 8 000 euros à chacun, après la révision à la baisse par la cour d’appel de Reims de leurs indemnités pour licenciement abusif. « Ils avaient obtenu un an de salaires en dommage et intérêt, le double de ce qui se pratique », note un proche du dossier. L’AGS, qui défend mordicus son périmètre, en fait un cas d’école, quand elle concède ailleurs des remises. Mais le feuilleton judiciaire n’est pas terminé…

REPÈRES

1,42 MILLIARD D’EUROS

C’est la somme collectée en 2013 par l’AGS via une cotisation patronale de 0,3 %. Depuis 1974, ce taux a varié de 0,05 % à 0,45 %.

240 SALARIÉS

sont répartis entre le siège de l’AGS et 15 centres en province.

75 096 EUROS BRUT

par ex-salarié. C’est le plafond de la garantie couvrant les salaires et primes dus (hors transaction) ainsi que les créances résultant du licenciement.

Source : AGS.

Auteur

  • Anne Fairise