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Idées

La rupture conventionnelle entre ombre et lumière

Idées | Chronique juridique | publié le : 03.04.2014 | Pascal Lokiec

Le droit négocié a le vent en poupe. À la promotion de la négociation collective, il faut ajouter celle, sur le plan individuel, de la rupture conventionnelle. Créée par l’ANI du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail avant d’être consacrée par la loi n°2008-596 du 25 juin 2008, elle est devenue, en particulier pour les PME, un mode privilégié de rupture du contrat de travail.

Doit-on être surpris du succès de la rupture conventionnelle, avec plus de 1 million de ruptures homologuées depuis 2008 ? La crise n’explique pas tout. Le dispositif a tout pour plaire avec, pour le salarié, une indemnité équivalente à l’indemnité de licenciement ainsi que l’accès à Pôle emploi, et, pour l’entreprise, une rupture sans motif et sans PSE. Avec cinq ans de recul, le tableau n’est cependant pas si idyllique.

UN DISPOSITIF ATTRACTIF

De prime abord, la possibilité de rompre le contrat de travail par simple accord de volontés heurte les fondements mêmes du droit du travail. Sous cet angle, la rupture conventionnelle constitue une avancée certaine par rapport à la rupture amiable de droit commun qui lui préexistait et qui vaut toujours pour les CDD et les plans de départs volontaires (PDV). Une avancée qu’a permise l’adoption d’une procédure spécifique de protection du consentement, explicitement destinée à « garantir la liberté du consentement des parties » (C. trav., art. L 1237-11).

Cette procédure se déroule en trois temps.

Elle débute par une négociation, sous la forme d’au moins un entretien, avec possibilité de se faire assister. Une faculté peu utilisée par les salariés (7 % en 2012, « Dares Analyses », mai 2013), et a fortiori par les employeurs puisqu’ils ne peuvent y recourir que si le salarié l’a lui-même sollicitée. La convention est signée au terme de la négociation sans qu’un quelconque délai soit exigé entre l’entretien et la date de signature (Cass soc., 3 juillet 2013, n° 12-19.268). À compter de la signature, les parties disposent d’un délai de rétractation ou l’autre adresse une demande d’homologation à l’administration. Celle-ci dispose de quinze jours pour répondre, à défaut de quoi l’homologation est acquise et la rupture effective.

Si élaborée que soit cette procédure par rapport au droit commun des contrats, elle ne saurait remplacer le contrôle du juge sur la réalité et l’intégrité du consentement du salarié. Car si celui exercé par l’administration, de surcroît dans un très bref délai, inclut en théorie la vérification de la liberté du consentement des parties, il s’avère essentiellement formel (contrôle de l’identité des parties, de leur signature, du montant de l’indemnité de rupture…).

LE RISQUE DE DÉJUDICIARISATION

Les partenaires sociaux n’ont pas caché leur volonté de « sécuriser » la rupture conventionnelle (art. 12, ANI du 11 janvier 2008), selon un vocable que l’on trouve, avec du reste des mécanismes voisins (bloc de compétence, homologation…), dans la nouvelle procédure de licenciement pour motif économique. Comme l’avaient martelé à l’époque les détracteurs du dispositif, notamment Tiennot Grumbach (Semaine sociale Lamy n° 1374, 2008), la sécurisation de la rupture emporte inévitablement sa déjudiciarisation (sur cette question, voir J.-E. Ray, Liaisons sociales magazine, janvier 2014). Au délai de contestation de douze mois et à l’adoption d’une procédure d’homologation qui, de facto, dissuade les parties de saisir le juge, il faut ajouter, parmi les raisons du peu de contentieux en proportion du nombre de ruptures homologuées, une jurisprudence peu encourageante de la Cour de cassation.

Premièrement, la haute juridiction est revenue sur une solution constante selon laquelle l’existence d’un litige entre les parties est incompatible avec une rupture d’un commun accord. Il est désormais jugé que l’existence d’un différent entre les parties, alors même qu’il se traduirait par deux avertissements dans les six mois précédant la signature de la convention de rupture (Cass soc., 15 janvier 2014, n° 12-23.942), n’affecte pas par elle-même la validité de celle-ci, en dehors de toute pression, menace ou contrainte exercée sur le salarié en vue d’obtenir sa signature (Cass soc., 23 mai 2013, n° 12-13.865). On perd, avec ce revirement, un élément objectif (l’existence d’un différend, concrétisé par une action en justice ou des poursuites disciplinaires) qui permettait de contrôler l’accord des volontés des parties sans entrer dans une analyse subjective qu’implique notamment la preuve d’une violence morale. Il faut désormais, pour le salarié, démontrer que le litige avec son employeur a eu pour effet de vicier son consentement. Une preuve très difficile à établir, qui ne devrait pouvoir l’être que dans les cas les plus caricaturaux, telle la rupture conclue au terme d’un entretien qui a duré un quart d’heure, sans aucun échange entre les parties qui s’étaient contentées de compléter le formulaire de rupture, ce alors qu’une mise à pied disciplinaire avait été préalablement infligée au salarié, contestée avec succès par lui devant le conseil de prud’hommes (Cass soc., 12 février 2014, n° 12-29.208).

Deuxièmement, à part la non-remise d’un exemplaire de la convention au salarié qui entache de nullité la rupture conventionnelle (Cass soc., 6 février 2013, n° 11-27.000), les irrégularités de procédure sont sanctionnées par de simples dommages et intérêts, que ce soit le défaut d’information du salarié sur la possibilité de se faire assister (Cass soc., 29 janvier 2014, n° 12-27.594) ou de prendre contact avec Pôle emploi afin de recueillir des informations utiles à la prise de décision (Cass soc., 29 janvier 2014, n° 12-25.951), ou encore l’erreur sur la date d’expiration du délai de rétractation (Cass soc., 29 janvier 2014, n °12-24.539).

Tentées de sécuriser au maximum leur convention de rupture, les parties ne pourront, heureusement, y inclure une clause de renonciation à tout recours (Cass soc., 26 juin 2013, n° 12-15.208). On ne sait si le sort d’une transaction, conclue postérieurement à la rupture, sera identique.

UNE RUPTURE HÉGÉMONIQUE

La rupture conventionnelle n’appelle pas de réserve, si ce n’est le transfert sur la collectivité d’une partie du coût de la rupture (les indemnités de chômage), s’agissant de salariés qui optent, avec l’accord de leur employeur, pour la rupture conventionnelle plutôt que la démission afin de bénéficier des garanties attachées à ce mode de rupture (indemnité de rupture, accès à Pôle emploi). Pour ces salariés qui, le plus souvent, auront élaboré un projet professionnel, la rupture conventionnelle correspond à un choix délibéré. Comme il a été relevé, c’est ce modèle qui a servi, notamment aux syndicats signataires de l’ANI, à légitimer la rupture conventionnelle (Des ruptures conventionnelles vues par des salariés, R. Dalmasso, B. Gomel, D. Méda, E. Serverin, Centre d’études de l’emploi, 2012, p. 28). La configuration est tout autre en cas de rupture subie, au point qu’on s’est demandé si la rupture peut être conventionnelle lorsque l’initiative en a été prise par l’employeur (argument rejeté, Cass soc., 15 janvier 2014, n°12-23.942). Le risque est en effet que ce mode de rupture, comme la rupture amiable avant lui, serve de technique d’évitement du droit du licenciement. À son actif, la rupture conventionnelle contribue certainement à réduire la stratégie bien connue consistant à forger des faux licenciements suivis d’une transaction. L’essentiel des difficultés, du point de vue du droit, concerne ses rapports avec le licenciement pour motif économique. Car le législateur a cru bon de modifier le Code du travail et de prévoir que les dispositions du chapitre sur le licenciement pour motif économique ne sont pas applicables à la rupture conventionnelle (art. L 1233-3). Même si la Cour de cassation tempère cette exclusion en intégrant les ruptures conventionnelles dictées par un motif économique dans le seuil de déclenchement du PSE (Cass soc., 9 mars 2011, n° 10-11.581) et si l’administration est invitée à agiter le drapeau de la fraude lorsqu’un certain nombre d’indices de contournement sont constitués, nul doute que la rupture conventionnelle participe, avec la GPEC et autres plans de départs volontaires (réintégrés dans la procédure de licenciement économique, Cass soc., 25 janvier 2012, n° 10-23.516), aux trop nombreuses stratégies d’évitement de la procédure de licenciement pour motif économique, laquelle, pour nombre d’entreprises, fait figure d’épouvantail.

FLASH
Prise d’acte et démission

Contrairement à la rupture conventionnelle, la démission est un acte de volonté unilatérale. Le salarié est libre de démissionner, peu importe l’opposition de son employeur, sous la réserve exceptionnelle de l’abus de droit, moyennant le respect du préavis fixé par la convention collective ou les usages. Ce mode de rupture du contrat n’offre, cependant, aucune garantie au salarié qui, en principe, n’a droit ni à des indemnités de rupture ni à l’accès à Pôle emploi. On comprend que les tribunaux soient vigilants quant à l’existence d’une volonté claire et non équivoque de démissionner. Obtenue sous la pression, par exemple la menace d’un licenciement, la décision de mettre fin au contrat de travail devient équivoque et la démission encourt la nullité pour vices du consentement. Le salarié peut également, lorsque la rupture est provoquée par des faits imputables à son employeur (harcèlement, non-paiement des heures supplémentaires…), demander la requalification en prise d’acte, auquel cas, si les faits sont suffisamment graves, la rupture produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Entre l’invocation d’un vice du consentement et la demande de requalification en prise d’acte, il faut choisir, à défaut de quoi le salarié s’expose au débouté de sa demande (Cass. soc., 7 mars 2012, n° 09-73.050).

Auteur

  • Pascal Lokiec