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Idées

Faut-il intégrer les CHSCT au sein des comités d’entreprise  ?

Idées | Débat | publié le : 03.04.2014 |

Désormais trentenaire, le CHSCT s’est construit une légitimité. Mais sa montée en puissance nécessite d’en redéfinir les contours.Évoquée dans un récent rapport, la fusion CE-CHSCT ne convainc pas les experts. Qui en appellent à une clarification des missions et à un accroissement des moyens.

François Nogué Directeur général délégué cohésion et ressources humaines à la SNCF.

Les fonctions dévolues à l’origine à chacune des instances étaient fort claires : prérogatives de débats et de consultations économiques et industrielles pour le CE, réponses aux questions individuelles pour les DP, suivi des problèmes quotidiens d’environnement du travail et de prévention des risques professionnels pour les CHSCT. Au cours des trente dernières années, force est de constater qu’une certaine confusion s’est installée dans le fonctionnement des IRP, et que la répartition des missions initiales est de plus en plus détournée. Les CHSCT deviennent trop souvent des lieux de confrontation, où les sujets abordés débordent largement leur vocation. Et l’inflation des recours aux expertises pour ralentir les processus de réorganisation les transforme parfois en arènes politiques. D’où cette question : la superposition des instances est-elle vraiment opérationnelle ? Nombre de collègues DRH constatent par exemple la désaffection et l’effacement progressif des DP, souvent faute de « combattants »!

Face à ces constats largement partagés, le rapport Verkindt évoque une solution qui a le mérite de la simplicité : la suppression des CHSCT et la création au sein des CE d’une commission spécialisée « santé et sécurité ». Cette option a, certes, le double avantage de réduire le nombre d’IRP et d’unifier les attributions et prérogatives de consultation des CE et CHSCT. Mais je suis cependant réservé sur cette proposition, qui se concentre sur le seul CHSCT, instance de proximité par excellence. Or, cette dernière étant sans doute encore celle où le dialogue social est le plus concret et le plus constructif, il convient de la protéger. Par ailleurs, à vouloir remonter tous les sujets au sein du CE, on le détourne de sa mission première qui est d’être consulté sur les politiques économiques, industrielles et sociales conduites par l’employeur. Et on prend le risque d’accroître le mélange des genres et la confusion des lieux de débats.

C’est pourquoi je persiste à penser que l’organisation initiale des IRP garde tout son sens, et qu’il convient de recentrer systématiquement chaque instance sur sa mission première. Avec un rappel des règles du jeu et quelques garde fous législatifs permettant de limiter les dysfonctionnements ou les abus de procédures. Les récentes dispositions législatives sur les délais préfix, par exemple, vont dans ce sens.

Henri Forest Secrétaire confédéral CFDT chargé des conditions de travail.

À la CFDT, nous considérons que l’éventuelle intégration des CHSCT au sein des CE relèverait d’une erreur d’analyse. Ces dix dernières années, les CHSCT se sont en effet construit une vraie légitimité. Ils sont désormais perçus comme l’acteur central du dialogue social en matière de conditions de travail, de santé et de sécurité. Aujourd’hui, nous estimons donc qu’il y a beaucoup plus de risques que d’avantages à fusionner les deux instances. Toutefois, il faut éviter l’écueil d’accentuer la spécialisation du CHSCT sur ses composantes santé et travail. Au risque, sinon, de l’isoler et de le cantonner à un rôle de pompier qui n’intervient qu’en aval des décisions stratégiques, quand il est trop tard pour préserver la qualité de l’organisation du travail.

C’est pourquoi, lors des négociations puis des débats parlementaires qui ont abouti à la loi de sécurisation professionnelle, la CFDT s’est battue pour obtenir que les membres du CHSCT aient accès, au même titre que les élus du CE, à la base de données économiques et sociales. Le législateur nous ayant suivis, les éléments prospectifs sur les évolutions stratégiques à trois ans des entreprises sont désormais accessibles en continu aux membres du CHSCT. Il leur appartient maintenant de s’en saisir et de se placer en situation de veille et d’alerte par rapport aux projets des entreprises.

Dans cette optique, la CFDT plaide pour une augmentation des possibilités d’intervention des CHSCT. Non pas en les dotant d’un budget de fonctionnement propre, mais en permettant à leurs membres de disposer d’une sorte de « droit de tirage » pour faire appel à des experts susceptibles de les accompagner et de les conseiller dans leur réflexion stratégique. La CFDT n’est pas demanderesse, en revanche, d’un changement de mode de désignation des membres du CHSCT. Les faire élire directement par les salariés aurait certes l’avantage de leur donner un surcroît de légitimité. Mais un tel processus électif aurait l’inconvénient de nourrir la concurrence avec les élus des CE. Or il faut que les deux instances travaillent en étroite collaboration, et non qu’elles se constituent en tuyaux d’orgue. La réflexion devra se poursuivre de façon plus globale au moment de la négociation à venir sur le dialogue social.

François Cochet Directeur des activités santé au travail chez Secafi.

La question de l’emploi domine la scène sociale. Les pouvoirs publics et les syndicats en ont fait leur préoccupation première, souvent au détriment des questions du travail. Mais ce déséquilibre aurait été bien pire sans l’existence des CHSCT en tant qu’instance distincte et spécialisée. En effet, si la problématique des conditions de travail est néanmoins apparue sur le devant de la scène, c’est bien aussi grâce à leur action. Ainsi, bien avant que la « crise sociale » de France Télécom éclate au grand jour, les rapports d’expertise demandés par les CHSCT de cette entreprise en avaient diagnostiqué tous les ingrédients.

Certains espèrent peut-être qu’une éventuelle fusion CECHSCT redonne à la question des conditions de travail une place plus réduite. Dans cette hypothèse, il faut surtout s’attendre à un envahissement des ordres du jour du CE, déjà bien chargés, par de très nombreux sujets sur le travail. Les élus qui devront débattre, lors d’une même séance, de l’irruption d’un fonds de pension au capital de leur entreprise, de l’organisation de l’arbre de Noël puis du burn out d’un de leurs collègues auront bien du mal à assumer leurs responsabilités élargies. La fusion des instances, même a u n o m d e l a « simplification », paraît donc une fausse bonne idée. Les évolutions législatives récentes ont précisé le rôle respectif du CHSCT et du CE lors des restructurations. Elles ont rendu possible, dans des conditions imparfaites, la mise en place d’instances de coordination des CHSCT. Le temps manque encore pour évaluer la portée et les limites de ces changements. Soulignons enfin l’intérêt des propositions récentes de Pierre-Yves Verkindt pour une instance « dédiée à la protection de la santé au travail ».

La négociation sur les IRP, si elle ne confond pas simplisme et simplification, peut identifier des pistes pour un dialogue social plus efficace, dont nos entreprises ont grand besoin. Le sujet est difficile, parfois technique. De très nombreux CHSCT ont élaboré de bonnes pratiques qu’il faut encourager sans s’enfermer dans une vision déformée par les turpitudes de certains. De ce point de vue, tant du côté syndical que des employeurs, il faut souhaiter que chacune des délégations s’associe un bon connaisseur des problématiques des CHSCT afin que les enjeux du travail trouvent des solutions appropriées.

CE QU’IL FAUT RETENIR

Le 28 février, le professeur de droit Pierre-Yves Verkindt a remis à Michel Sapin, le ministre du Travail, le rapport que celui-ci lui avait commandé dans la foulée de la conférence sociale de l’été 2013. Intitulé « Les CHSCT au milieu du gué », le document contient « 33 propositions en faveur d’une instance de représentation du personnel dédiée à la protection de la santé au travail ». Une formulation qui coupe l’herbe sous le pied aux partisans d’une intégration de l’instance au sein du CE. Le rapport plaide pour une meilleure coordination des CHSCT au sein de l’entreprise mais aussi en dehors, notamment en cas de sous-traitance. Il prône un renforcement des acteurs, via des formations, des crédits d’heures ou le recours à l’élection directe. Il propose, enfin, de mieux structurer le fonctionnement de l’instance.

REPÈRES

54 % des salariés sont couverts par un CHSCT ou son équivalent.

Ils sont un quart au sein des établissements de 20 à 49 personnes contre 78 % dans les structures employant de 50 à 499 salariés, la constitution d’un CHSCT n’étant obligatoire qu’une fois franchi le seuil des 50 collaborateurs. Le taux de salariés couverts varie, aussi, en fonction des secteurs d’activité : 9 % dans l’agriculture, 27 % dans le bâtiment, 45 % dans le tertiaire, 67 % dans l’industrie et 91  % et 98 % dans la fonction publique d’État et les hôpitaux.