logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

La réforme rebat les cartes

Dossier | publié le : 03.04.2014 | Sabine Germain, Valérie Grasset-Morel, Rozenn Le Saint, Rocco

Obligations fiscales réduites contre accompagnement accru des salariés: pari audacieux pour la réforme de la formation. Beaucoup dépendra de la bonne volonté des employeurs et de la capacité des salariés à s’emparer des nouveaux outils.

Nous verrons, avec le temps, si l’équilibre est satisfaisant », commente Pierre Ferracci, président du Groupe Alpha. La réforme de la formation professionnelle, promulguée le 5 mars dernier, repose en effet sur un deal : un allégement des obligations fiscales pour les employeurs (voir l’encadré page 60), incités, en contrepartie, à mieux accompagner la formation et la montée en compétences de leurs salariés avec la mise en place de l’entretien professionnel et du compte personnel de formation (CPF). « Depuis 1971, les entreprises avaient une obligation de payer, mais pas de former, poursuit Pierre Ferracci. Les signataires de l’accord national interprofessionnel du 14 décembre, dont la réforme s’est très largement inspirée, ont fait le pari que la baisse des obligations fiscales n’affaiblirait pas l’effort de formation. Ce pari n’est pas gagné: il dépendra notamment de la capacité doter le compte personnel de formation des ressources nécessaires et de l’implication des partenaires sociaux dans les négociations portant sur la construction des plans de formation et l’abondement du CPF. »

Bâti sur l’échec du DIF

C’est précisément parce que ce pari lui semble risqué que la CGT a été le seul syndicat à ne pas signer l’ANI du 14 décembre : « Le diable se cache dans les détails, et les détails, ce sont les décrets d’application qui seront pris à la suite de cette loi », a alors expliqué Thierry Lepaon, son secrétaire général. Ce que ne nie pas Alain- Frédéric Fernandez, expert en droit et optimisation de la formation professionnelle: « La façon dont l’entretien professionnel et le CPF seront mis en oeuvre dépendra de la bonne volonté des concède-t-il. Il n’empêche que cette réforme va dans le bon sens: elle aurait dû être adoptée dès 2004. On n’aurait pas perdu dix ans avec le droit individuel à la formation (DIF). » C’est précisément sur l’échec du DIF que doit se construire le compte personnel de formation. Avec une différence majeure: contrairement au DIF, le CPF est financé à hauteur de 0,2 % de la masse salariale. Les employeurs ont donc un peu plus intérêt que par le passé à ce que les salariés utilisent les 150 heures qui peuvent leur être affectées.

Reste à savoir comment ils s’en serviront: l’article 1 de la réforme prévoit que le CPF est destiné à financer des formations qualifiantes et « correspondant aux besoins de l’économie prévisibles à court ou moyen terme », notamment celles qui sont inscrites au Répertoire national des certifications professionnelles, des certificats de branche, celles permettant d’acquérir un socle de connaissances et de compétences (maîtrise de la langue française, savoirs de base en mathématiques…). Ces formations devront figurer sur des listes élaborées soit par les branches professionnelles, soit au niveau inter professionnel par les partenaires sociaux qui ont négocié l’ANI du 14 décembre 2013, soit par les régions.

Responsabilité des salariés

« Le contenu des listes va largement déterminer la place qu’occupera le compte personnel », estime Carine Seiler, directrice formation, économie, emploi du cabinet de conseil Sémaphores, qui redoute de voir encore et toujours les mêmes publics - ceux qui sont déjà les plus formés - tirer parti du CPF. Pour éviter de continuer « à arroser là où l’herbe est déjà mouillée », les partenaires sociaux auraient pu faire un choix plus radical : flécher le CPF vers les publics qui en ont le plus besoin. « Ils ont fait un choix différent en décidant d’en faire un droit universel. Dès lors, la question des abondements sera déterminante pour les publics ayant besoin de formations longues », précise-t-elle. Le niveau de ces abondements doit, lui aussi, faire l’objet de négociations ultérieures.

Parallèlement, les salariés devront s’emparer de leur nouveau compte personnel. Ce qui amène Pierre Ferracci à craindre d’assister « à un transfert de responsabilités de l’entreprise vers les salariés, qui conduirait à une forme de culpabilisation de ces derniers si la réussite du CPF n’est pas au rendez-vous ». D’autant plus que les salariés auront probablement du mal à se repérer dans une offre de formation foisonnante : « Pour les accompagner, il aurait fallu mettre en place un véritable service d’orientation, notamment à destination des moins qualifiés, observe Alain-Frédéric Fernandez. On demande aux salariés d’être responsables de leur employabilité sans leur donner les moyens de s’orienter. »

Négociation collective

Et le conseil en évolution professionnelle, institué par la loi de sécurisation professionnelle de 2013 et renforcé par la loi du 5 mars 2104, n’est-ce pas là sa vocation ? En théorie, oui. Dans la pratique, ses missions seront définies par un cahier des charges national qui sera appliqué, sur le plan local, par cinq opérateurs désignés par la loi (Pôle emploi, l’Apec, les Cap emploi, les missions locales et les Opca, au titre du CIF) ainsi que par les opérateurs locaux désignés par la région. Bref : là encore, la mise en oeuvre du conseil en évolution professionnelle passe par la négociation collective et le dialogue social.

Comme l’ensemble de la réforme, du reste : « C’est le cas pour le compte personnel de formation aussi bien que pour l’entretien professionnel, qui est à mes yeux le noeud modal de la réforme », estime Carine Seiler. Cet entretien, obligatoire au moins tous les deux ans, permet d’évaluer individuellement le parcours du salarié, puis de faire le point au bout de six ans sur les obligations collectives de l’employeur : former tous les salariés au moins une fois durant ces six années, les faire bénéficier d’une progression professionnelle ou salariale et/ou leur permettre d’acquérir tout ou partie d’une certification. Dans les entreprises de 50 salariés et plus, si deux de ces trois obligations ne sont pas remplies, l’employeur doit abonder de 100 heures le CPF des salariés concernés.

« Une part de la réussite de la réforme se joue autour de l’entretien professionnel, poursuit Carine Seiler. Les entreprises doivent en faire un véritable outil d’anticipation, de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et de conduite du changement. » C’est l’autre pari de la réforme : la fin du « 0,9 % obligatoire » et des obligations administratives (particulièrement chronophages) qui en découlaient devrait permettre de dégager du temps pour faire davantage d’ingénierie de compétences. « Ce peut être, selon Carine Seiler, une formidable occasion d’enrichir les missions des équipes de formation et de les rapprocher de la fonction RH, avec laquelle elles seront amenées à articuler la réflexion sur les compétences. »

Évaluation au bout de six ans

Alain-Frédéric Fernandez fait preuve du même enthousiasme à l’égard de l’entretien professionnel : « Si les entreprises et les partenaires sociaux s’en emparent, ce peut être un outil formidable. Les critères de l’évaluation au bout de six ans (nombre de salariés formés, progression professionnelle ou salariale, acquisition d’une qualification) sont extrêmement pertinents. » Seul bémol : « Cette évaluation n’interviendra qu’au bout de six ans, ce qui nous conduit en 2021. D’ici là, je suis prêt à parier qu’une nouvelle réforme de la formation aura vu le jour… » Les entreprises commencent tout de même à comprendre que cette nouvelle obligation leur fait courir un risque juridique : en cas de licenciement, les salariés auront un argument tangible pour faire valoir la responsabilité de leur employeur quant à leur défaut d’employabilité. Ce qui conduit, in fine, la plupart des observateurs à juger plutôt positivement cette réforme. Avec les réserves d’usage : « Il faut que le fonctionnement du compte personnel de formation et les ressources dont il sera doté soient à la hauteur des deux objectifs visés : la sécurisation des parcours professionnels et l’amélioration de la compétitivité des entreprises, estime Pierre Ferracci. C’est pour cela qu’au-delà de la responsabilisation des personnes le compte personnel de formation doit Seiler, « nous sommes au milieu du gué dans le passage entre une simple obligation de payer et une véritable logique de gestion des compétences ». Si cette réforme échoue, la suivante risque d’être bien difficile à négocier : les partenaires sociaux auront le sentiment d’avoir été floués en libérant les employeurs de leurs obligations fiscales sans obtenir les contreparties prévues en termes climat pourrait alors virer à l’orage…

S.G.

32 milliards d’euros

C’est la dépense totale de formation en 2011, dont 13,7 milliards financés par les entreprises, 6 milliards par les employeurs publics, 4,7 milliards par l’État.

Source : projet de loi de finances pour 2014.

Financement allégé dans les très petites entreprises

Exit le fameux 0,9 % : ce pourcentage de la masse salariale que les entreprises devaient obligatoirement affecter à leur plan de formation. Cette obligation fiscale est remplacée par une contribution unique et obligatoire de 1 % de la masse salariale pour les entreprises de 10 salariés et plus. Cette contribution, versée à son Opca, est ventilée entre :

le compte personnel de formation (0,2 % quelle que soit la taille de l’entreprise) ;

le congé individuel de formation (0,15 % pour les entreprises de 10 à 49 salariés, 0,20  % pour les entreprises de 50 salariés et plus) ;

la professionnalisation (0,30  % pour les entreprises de 10 à 299 salariés, 0,40  % pour les entreprises de 300 salariés et plus) ;

le plan de formation (0,20  % pour les entreprises de 10 à 49 salariés, 0,10  % pour les entreprises de 50 à 299 salariés) ;

le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (1,15 % pour les entreprises de 10 à 49 salariés, 0,20 % pour les entreprises de 50 salariés et plus).

Les TPE de 1 à 9 salariés bénéficient d’un régime spécifique : leur contribution obligatoire n’est que de 0,55 % de la masse salariale (0,40  % au titre du plan de formation et 0,15  % pour la professionnalisation). « Réduire les obligations fiscales des grandes entreprises n’est pas très risqué, estime Alain-Frédéric Fernandez : leurs investissements en formation sont bien supérieurs au plancher légal. C’est nettement plus osé pour les TPE, qui pourraient être tentées de faire l’impasse sur la formation : Agefos PME l’a bien senti, ce qui l’a amené à s’exprimer contre l’ANI. »

Auteur

  • Sabine Germain, Valérie Grasset-Morel, Rozenn Le Saint, Rocco