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Décodages

Régime frugal pour les salariés de Picard et Thiriet

Décodages | Entreprise | publié le : 03.04.2014 | Nicolas Lagrange

Horaires, salaires, conditions de travail…, les rois du surgelé ne sont guère généreux, même si Picard rémunère un peu mieux. Pas de largesses non plus chez le champion de la livraison à domicile Toupargel.

Des produits de qualité, un cadre agré­able, une forte notoriété…, Picard est depuis plusieurs années l’enseigne alimentaire préférée des Français. Fondée en 1906 par Raymond Picard à Fontainebleau, la petite fabrique de pains de glace est devenue le leader de la vente de produits surgelés, avec plus de 900 magasins, 4 800 salariés et un développement croissant à l’international. Revendu à de multiples reprises ces vingt dernières années, le groupe reste très profitable, même si l’affaire de la viande de cheval a affecté ses ventes de plats cuisinés durant plusieurs mois.

Largement bénéficiaire lui aussi, le groupe Thiriet est la deuxième enseigne alimentaire la plus appréciée. Dirigée par Claude Thiriet depuis 1966, la petite boulangerie vosgienne réputée pour ses glaces a élargi sa gamme de produits (fabriqués à 37 % dans ses usines, contrairement à son rival) et compte 170 magasins. Avec 2 800 salariés, elle a aussi beaucoup investi dans la livraison à domicile, à partir de 88 centres de distribution, un créneau peu exploité par Picard mais sur lequel Toupargel occupe la première place (voir l’encadré page 51). Aux antipodes de la grande distribution, les vendeurs en magasin travaillent à trois ou quatre en moyenne, avec une large autonomie, mais ils n’ont pas la vie facile pour autant : plannings fluctuants et ouverture 7 jours sur 7, de 9 heures (ou 9 h 30) à 19 h 30 au moins (jusqu’à la mi-journée le dimanche). Chez Picard, « le temps de travail effectif sur une journée peut varier de trois heures à dix heures, explique Élisabeth Jousselin, déléguée syndicale centrale FO (syndicat majoritaire). L’ouverture de la plupart des magasins en continu a augmenté la charge de travail sans générer un chiffre d’affaires conséquent. »

Peu disert sur sa politique sociale, Picard, qui a refusé de nous répondre, affiche 94 % de salariés en CDI dans son rapport de développement durable, 71 % de femmes et une moyenne d’âge de 33 ans. Mais un quart des salariés du groupe est à temps partiel, selon les données sociales que nous avons pu consulter, et 18 % des femmes (statut employé) effectuent moins de vingt-deux heures hebdomadaires. « Depuis 2008, un avenant à la convention collective prévoit le passage à vingt-cinq heures, mais il n’est pas appliqué, regrette Vanessa Lepetit, DSC adjointe CFDT. Or il est possible d’optimiser les plannings et de positionner les temps partiels sur plusieurs magasins pour augmenter leurs heures. »

Contraintes horaires

Chez Thiriet (36 ans de moyenne d’âge), près de 120 salariés, des vendeurs pour la plupart (sur un total de 420 en magasin), effectuaient moins de vingt-quatre heures par semaine à fin 2013. « L’accord d’annualisation signé en octobre va permettre d’accroître le temps de travail dans certaines situations, indique le nouveau DRH groupe, Damien Bresson. Pour les salariés qui resteront au-dessous de vingt-quatre heures, il est difficile d’augmenter les mouvements de personnel entre nos magasins, avec des sites parfois éloignés les uns des autres et des périodes de rush identiques. Nous espérons un abaissement du plancher de vingt-quatre heures via la négociation de branche. » Les contraintes horaires sont, là aussi, une préoccupation récurrente pour les vendeurs en magasin, comme pour les vendeurs livreurs à domicile (40 % de l’effectif). Dotés d’un statut de VRP, ils sont télé-vendeurs durant deux jours entre 9 heures et 20 heures et livrent les deux jours suivants, avec une grosse pause méridienne dans les deux cas. « Les VRP ont une réelle autonomie pour gérer leurs tournées et une forte proximité avec les clients, souligne Jorge Alves, représentant syndical CGT au CE de Thiriet Distribution. Mais ils doivent aussi prospecter de nouveaux clients, or tout le monde n’est pas formé ou compétent pour cette mission bien spécifique. »

Les VRP sont un peu confrontés aux TMS, mais c’est surtout dans les entrepôts et les magasins que les salariés sont exposés aux mauvaises postures, au froid, à la station debout ou au port de charges. « Nous avons obtenu un siège par caisse il y a cinq ans, fait remarquer Viviane Haas, secrétaire CFDT du CHSCT de Thiriet Magasins, ainsi qu’un téléphone spécifique en cas de malaise. Nous insistons pour que les formations gestes et postures soient renouvelées régulièrement. » Mais la dernière session a eu lieu en 2012 et la prochaine n’est prévue qu’en 2015. En 2012, 46 accidents du travail ont été enregistrés chez Thiriet Magasins, soit un pour trois magasins, un chiffre qui engloberait de nombreux accidents bénins, selon les partenaires sociaux.

Le ratio est plus élevé dans les 900 magasins Picard et l’entrepôt de conditionnement (529 accidents de travail ou de trajet en 2013), avec beaucoup de mains coincées et d’accidents liés aux flexions du corps et au port de charges. De surcroît, le leader des surgelés a procédé à 48 licenciements pour inaptitude l’an dernier. Afin de diminuer les flexions et la manutention, des congélateurs auto-dégivrants sont progressivement déployés, mais « les petites réparations quotidiennes ne sont pas la priorité pour la direction, qui investit surtout dans le développement du réseau, déplore Véronique Petit, DSC CGT. Toutefois, l’accord pénibilité de juin 2013 renforce les formations postures et permet d’améliorer la conception des nouveaux magasins ».

Confrontés à des difficultés chroniques de recrutement, les deux groupes ne sont pas aidés par leur politique salariale. Même sur treize mois, les rémunérations sont alignées sur les grilles de deux conventions collectives très minimalistes. Ainsi, dans la CCN du commerce de gros à prédominance alimentaire, les huit minima les plus bas se tiennent à 60 euros près. « Chez Thiriet, les vendeurs en magasin (hors responsables) sont un petit peu mieux payés que le smic et bénéficient, dans près de la moitié des cas, de primes mensuelles sur objectif, entre 40 et 120 euros », précise Lionel Goutry, DS FO de Thiriet Magasins. Quant aux VRP, ils perçoivent le smic, auquel s’ajoutent une prime garantie de 220 euros et un variable sur objectif, qui peut être nul ou approcher quelques centaines d’euros, en fonction de leur talent, mais aussi du secteur plus ou moins favorable qui leur est attribué.

Participation et intéressement

Les vendeurs de Picard ne sont pas mieux lotis, avec des rémunérations mensuelles variant entre 1 465 et 1 638 euros brut et une moyenne de 1 900 euros pour les responsables de magasin (non cadres). Mais la marque au flocon bleu creuse l’écart sur sa rivale au logo rouge grâce à l’épargne salariale, avec une participation représentant en moyenne deux mois de salaire, un intéressement annuel d’environ un demi-mois de salaire les bonnes années ainsi qu’un intéressement trimestriel sur objectif (150 euros en moyenne) qui, bizarrement, concerne les magasins à tour de rôle, assurent les syndicats.

A contrario, ni participation ni intéressement chez Thiriet Magasins, tandis que les VRP de Thiriet Distribution perçoivent une faible participation, de l’ordre de 25 à 35 % d’un mois de salaire. Les salariés de Glaces Thiriet (15 % des effectifs du groupe), eux, bénéficient d’un Perco avec un abondement de 400 euros pour 400 euros versés. Car, malgré des dirigeants communs à ses 18 filiales, le groupe n’a pas de CCE et abrite une multitude de spécificités sociales. Ce qui n’empêche pas les délégués syndicaux, qui se connaissent peu d’une entité à l’autre, de louer la qualité du dialogue social. « Claude Thiriet est très accessible, toujours à l’écoute des problèmes et réactif, tout comme la directrice générale. On a des désaccords, mais on en discute librement », témoigne Fabrice da Fonseca, DS FGTA FO de Thiriet Distribution, qui s’est récemment opposé à un accord de mobilité interne. Le fondateur de l’enseigne réinvestit le gros des bénéfices dans l’outil de production et le développement, mais consent des avancées sociales au compte-gouttes. La remise sur les produits atteint 15 % (le plafond Urssaf est de 30 %) et le budget des activités socioculturelles (ASC) correspond au minimum prévu par la convention collective (0,6 % de la masse salariale). Le groupe refuse la mise en place de titres-restaurants, réclamée par tous les syndicats depuis des années, et n’attribue pas de téléphone à ses VRP. Il participe à la complémentaire santé à hauteur de 80 %, mais pour des prestations minimales, et le délai de carence atteint huit jours en cas d’arrêt maladie.

Timides avancées

Picard fait un peu mieux. Certes, la remise produits n’est que de 10 % (30 % sur les nouveautés), mais le budget des ASC atteint 0,77 %, la complémentaire santé est plutôt satisfaisante selon les syndicats, avec une prise en charge employeur à 54 % et l’absence de carence dans certaines conditions. L’enseigne a fini par adopter les titres-restaurants (6,50 euros), même si les conditions sont restrictives. Des concessions timides au regard des bénéfices, estiment les syndicats, historiquement très divisés. Les premiers pas de FO ont été favorisés par la direction pour contrer la CGT, puis la CFDT est apparue il y a dix ans avec d’anciens FO en désaccord avec la ligne suivie. Une histoire révolue aujourd’hui, note FO. Les mouvements sociaux sont rares, avec une vraie difficulté des IRP à sensibiliser les salariés, très éparpillés.

Le dialogue social est nourri avec le DRH, Joël Amelot, « un homme de dialogue », selon Claude Valite, secrétaire du CE (FO). L’accord inter-générationnel signé en décembre prévoit le recrutement de 100 alternants en trois ans, alors que leur nombre est aujourd’hui très faible. Picard compte 50 % de femmes au comité de direction et, autre point fort, consacre 4 % de sa masse salariale à la formation. Mais le leader ne parvient pas à systématiser les entretiens annuels et ne dispose pas d’accord de GPEC, en dépit de sa taille.

De son côté, Thiriet revendique une politique RH volontariste et des entretiens annuels systématiques. « Nous insistons beaucoup sur les compétences comportementales, en lien avec les valeurs du groupe, indique le DRH, Damien Bresson. Nous avons établi une charte des bonnes relations humaines et apportons un soin particulier à la diversité, pour laquelle tout le personnel a suivi une sensibilisation. » En matière d’alternance (1 % de l’effectif), le groupe veut combler son retard pour préparer aux métiers de demain. Il possède un réseau de formateurs internes certifiés, mais ne consacre que 1,26 % de la masse salariale à la formation, « hors formations au poste de travail », précise le DRH. Les perspectives de carrière restent limitées, comme chez son concurrent.

Performants économiquement, Picard et Thiriet sont à la peine sur le social… Si le leader a une longueur d’avance sur son challengeur, lui aussi doit relever de gros défis sociaux.

Picard

EFFECTIF

4 800 salariés.

100 livreurs.

POINTS DE VENTE

900 magasins en France.

CHIFFRE D’AFFAIRES

1,2 MILLIARD d’euros en 2012.

Thiriet

EFFECTIF

2 800

salariés.

1 100 VRP.

POINTS DE VENTE

170 magasins en France.

CHIFFRE D’AFFAIRES

410 MILLIONS d’euros en 2012.

REPÈRES

20 %

C’est, en moyenne, le taux de turnover au sein du groupe Picard, et 26 % en Ile-de-France, où plusieurs centaines de postes sont à pourvoir en permanence.

10 %

Ce serait le taux de turn-over chez Thiriet, selon le DRH, nettement plus selon les syndicats.

Toupargel, n° 1 de la livraison, serre la vis

Créé en 1947 à Lyon, Toupargel doit son expansion à la famille Tchénio, aux manettes depuis 1982. Devenue le leader français de la livraison à domicile de surgelés en 2003, après le rachat d’Agrigel, l’enseigne s’est diversifiée dans les produits frais et d’épicerie avec Place du Marché. Elle compte 3 290 salariés et 1,2 million de clients. Toujours bénéficiaire, elle accuse depuis près de cinq ans une baisse de son chiffre d’affaires (294 millions d’euros en 2013). Sa clientèle, majoritairement âgée et rurale, est fidèle mais difficile à renouveler et la concurrence sur Internet s’est fortement accrue. Pour maintenir sa rentabilité, Toupargel mise notamment sur ses managers commerciaux : référentiel de compétences, évaluation approfondie et cursus de formation de vingt-deux jours. La direction, qui n’a pas souhaité nous répondre, a également mis en place un plan d’économies drastique, sans PSE, mais en ne remplaçant qu’une partie des 300 départs en 2013 (parmi lesquels 134 ruptures conventionnelles).

Le taux de turnover atteint 20% et culmine dans la prospection terrain. « La direction a eu tort de modifier les secteurs de clientèle, car les clients n’achètent pas que pour les produits, ils apprécient aussi la relation de proximité avec les télévendeurs et les livreurs », estime Laurent Toledo, DSC CFDT. Un constat partagé par son homologue de la CGT, Thierry Cupif, qui regrette l’abandon du système des VRP (à la fois télévendeurs et livreurs), en vigueur il y a dix ans. « Les horaires des télévendeurs sont très contraignants, ajoute-t-il, avec une pause de trois heures entre 13 h 30 et 16 h 30. »

Travail au froid et port de charges dans les entrepôts, rythmes difficiles pour les livreurs…, la pénibilité donne souvent lieu à des licenciements pour inaptitude, déplorent plusieurs syndicats. Quatre organisations ont signé un accord pénibilité en juin 2013 détaillant les différents types de contraintes, leur niveau d’intensité ainsi que les mesures de prévention existantes et envisagées. L’entreprise réussit par ailleurs à remplir ses obligations en matière de handicap. La CGT, elle, dénonce des accords très souvent en deçà du Code du travail. « Le dialogue social est bon et l’information fournie satisfaisante, assure Jacky La Soudière, DSC FO et secrétaire du CE. Mais nous avons de gros désaccords sur les conditions de travail, qui se dégradent, et sur les rémunérations, souvent très proches des minima conventionnels, alors que Toupargel reste bénéficiaire. » Selon le bilan social, le salaire mensuel moyen des livreurs est de 1832 euros brut (13e mois compris). L’entreprise n’a pas d’accord d’intéressement et verse de faibles montants de participation.

Auteur

  • Nicolas Lagrange