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Décodages

Manager un club de foot, c’est du sport

Décodages | Ressources humaines | publié le : 03.04.2014 | Éric Delon

Gérer des contrats faramineux et des caprices de stars tout en menant une politique RH classique pour l’ensemble du personnel, telle est la spécificité des clubs professionnels. Mais les performances des uns pèsent sur les primes des autres.

DRH de la PME la plus célèbre des Bouches-du-Rhône, Frédérique Alverola se charge d’un effectif des plus disparates : quelques stars émargeant à près de 4 millions d’euros annuels et une grande majorité d’anonymes parmi les 150 salariés de l’Olympique de Marseille. Dans cet univers très atypique, cette diplômée d’Euromed Marseille (spécialité RH), entrée à l’OM pour un stage lors de la Coupe du monde de 1998, est parvenue à professionnaliser la fonction ressources humaines : « Dès que je suis devenue DRH, j’ai structuré la politique salariale, mis en place des entretiens d’évaluation et un système d’information RH. J’ai également mis en place un portail Web RH qui permet aux salariés d’avoir accès à leur bulletin de paie dématérialisé. Et, dans les cartons, des projets de GPEC et de people review… » Reste que sur les 20 clubs de Ligue 1, « hormis l’Olympique de Marseille et le Paris Saint-Germain, les deux poids lourds du foot pro en France, il n’existe pas de direction des ressources humaines à proprement parler », note Matthieu Rabby, consultant sportif et ancien DRH de la Fédération française de football. Au mieux, comme à Lyon ou à Bordeaux, les clubs sont dotés d’un responsable des ressources humaines.

« Le plus souvent, la politique de RH est gérée par la direction juridique ou financière. Dans les clubs à petit budget, notamment en Ligue 2, c’est souvent le directeur ou le secrétaire général qui détient cette compétence », poursuit Matthieu Rabby. Malgré leur exposition médiatique et les millions d’euros brassés chaque année sur le marché des transferts, les clubs professionnels restent des PME classiques dont les effectifs oscillent entre 50 et 200 salariés. « Dans la plupart des PME de cette taille, il est rare de trouver un poste de DRH à part entière et une politique de RH sophistiquée », relativise Florent Noël, professeur de GRH à l’IAE de Paris.

« Difficile d’intégrer mes footballeurs dans le plan seniors alors que leur carrière se termine aux alentours de 32 ans ! Idem pour notre politique d’égalité hommes-femmes, compliquée à appliquer dans l’effectif des joueurs pros ! » reconnaît Élodie Crocq, directrice juridique du Stade Rennais (170 équivalents temps plein), chargée des RH. Complexe, aussi, de traiter sur un pied d’égalité les vedettes du ballon, dont le salaire moyen en Ligue 1 avoisine les 50 000 euros mensuels (150 joueurs émargeant à plus de 1 million d’euros par an) et dont la fidélité à leur club est sujette à caution (un professionnel reste de deux à quatre ans en moyenne), et le reste de l’effectif.

Un actif phare

« Les joueurs professionnels représentent bel et bien l’actif phare des clubs professionnels, celui sur lequel repose leur édifice financier, car ce sont eux, par leur performance sportive, qui impactent directement les résultats de l’entreprise », analyse Florent Noël. « L’hypertrophie de la masse salariale dans le budget des clubs (60 à 85 % du budget global) du fait des salaires pharaoniques des footballeurs obère clairement la mise en œuvre d’une politique RH ambitieuse pour les autres personnels, renchérit Matthieu Rabby. Aux yeux des actionnaires qui investissent dans un club, les profils non sportifs représentent un coût et non une ressource, à l’exception des collaborateurs des services marketing susceptibles de ramener contrats juteux et sponsors. »

Pourtant, les directions se défendent de léser les administratifs. « Nos salariés sont traités de façon équitable. Ceux qui occupent des fonctions classiques ont des émoluments en adéquation avec le marché du travail. Les joueurs professionnels perçoivent des salaires correspondant à la spécificité de leur emploi et de leur statut, leur carrière étant courte », se défend Élodie Crocq. Même discours chez Frédérique Alverola, la DRH de l’OM, qui indique que les salariés non sportifs de l’entreprise ont des rémunérations supérieures de 10 à 20 % à celles du bassin d’emploi. « Ils disposent de deux places gratuites à chaque match de l’OM à domicile », ajoute-t-elle. Si certains clubs, comme ce dernier, externalisent les activités liées à l’organisation des matchs (restauration, guichet, sécurité), d’autres salarient ces personnels en CDD d’usage. « En fonction de l’affluence, nous établissons entre 450 et 600 fiches de paie, sur la base de 9,53 euros brut l’heure pour cinq à dix heures de travail selon les postes occupés », précise Béatrice Billore, responsable RH des Girondins de Bordeaux. « La spécificité de notre activité entraîne des différences importantes dans la grille des salaires, confirme Élodie Crocq. Pour éviter tout sentiment négatif, nous rappelons à l’embauche la logique de ces disparités. »

Des métiers distincts

Responsable juridique du Syndicat national des administratifs et assimilés du football, la principale organisation de salariés présente dans cet univers professionnel, Lola Pierrès précise que « le personnel administratif n’a aucune rancœur envers les joueurs et les entraîneurs car les métiers ne sont pas les mêmes. Chaque compétence doit être respectée par chacun, et ce dans l’intérêt du club et de son image ». Ce bel unanimisme tendu vers la réussite de l’équipe ne doit cependant pas cacher certaines réalités. « Dans les grands clubs, les salariés lambda ne croisent jamais les joueurs. Ce qui n’est pas le cas dans les clubs familiaux où les sportifs se mêlent volontiers au personnel, à la cantine ou lors d’événements festifs, analyse un observateur du milieu. Les cadres de ces clubs ne peuvent toutefois pas s’empêcher de considérer que ces footballeurs parfois arrogants tiennent au bout de leurs pieds une partie du futur de leur carrière. » « Les personnels de la Fédération française de football ont dû, certes, vibrer aux exploits des Bleus lors de leur qualification pour le mondial brésilien, mais ils ont surtout songé à leurs propres postes. Une non-qualification de l’équipe de France aurait certainement entraîné un allégement de 30 % des effectifs de l’institution », observe Matthieu Rabby.

Idem pour les clubs. Lorsque l’Olympique de Marseille a décroché une médiocre 10e place lors de la saison 2011-2012, les primes d’objectif des collaborateurs ont été supprimées avant d’être rétablies et gonflées la saison dernière, grâce à la 2e place obtenue par le club. À Lille, un club en déficit d’exploitation de 46 millions d’euros en fin d’année, la diminution de la masse salariale, ramenée de 50 à 45 millions d’euros par la Direction nationale de contrôle de gestion, le gendarme financier du football français, s’est soldée par la suppression des primes de fin d’année. Pour l’ensemble des salariés du Losc, solidaires dans l’effort !

REPÈRES

50 000 euros, c’est le salaire mensuel moyen des joueurs de football de Ligue 1.

400 millions d’euros, c’est le budget du Paris Saint-Germain pour la saison 2013-2014, contre 20 millions pour le plus petit budget, celui de l’AC Ajaccio.

Auteur

  • Éric Delon