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Décodages

Dan Serfaty gère la crise de croissance de Viadeo

Décodages | management | publié le : 03.04.2014 | Anne Fairise

Hiérarchie plate pour doper l’innovation, réorganisation et RH professionnalisées pour coller à la croissance… Confronté à la concurrence, le réseau social français est repris en main par son cofondateur. Objectif : passer à la vitesse supérieure en préservant l’esprit start-up.

Fini, le management à distance et les voyages incessants ! Installé depuis mi-2011 à Pékin, en Chine, pour accompagner le développement de la version locale de Viadeo, réseau social destiné aux professionnels, Dan Serfaty passe, depuis fin janvier, « trois semaines par mois » dans l’entreprise qu’il a cofondée en 2004 avec Thierry Lunati. Le retour aux manettes opérationnelles du dirigeant, 48 ans, n’a rien d’anodin, à l’heure où l’américain LinkedIn bouscule le marché historique de Viadeo. En janvier, trois ans à peine après l’ouverture de son bureau parisien, le géant yankee affichait 7 millions de membres français, contre 8 millions pour Viadeo, et (sic) une audience désormais supérieure. Une mauvaise nouvelle pour la PME devenue une des vitrines du made in France, depuis qu’en 2012 le Fonds stratégique d’investissement de l’État a apporté 10 millions d’euros lors de sa quatrième levée de fonds. Si les deux réseaux sont nés à un an d’intervalle, voilà une décennie, la lutte est depuis longtemps inégale entre le leader mondial (277 millions de membres dans le monde, 4 200 salariés, 1,5 milliard de dollars de chiffre d’affaires 2013) et son challenger tricolore (55 millions de membres revendiqués, 407 salariés dont la moitié en France), toujours pas coté en Bourse. Au point que Viadeo poursuit sa course à la croissance, hors de la zone d’influence anglo-saxonne, en misant sur le long terme dans les pays émergents – Chine, Russie, Afrique francophone. Mais c’est de l’Hexagone que l’entreprise tire ses revenus : Dan Serfaty ne s’en est jamais caché, bien qu’il garde secrets les résultats, se refusant depuis 2008 à publier les comptes de Viadeo.

Mais à croire l’ex-HEC (promo 1987), excellent commercial et négociateur affûté, il n’y a pas le feu, même s’il revient pour booster les services aux recruteurs, qu’il veut porter de 30 % à 50 % du chiffre d’affaires en cinq ans. Sûr qu’il puisera dans son énergie débordante pour défendre ses positions tricolores, renforcées en 2013 par plusieurs partenariats (Pôle emploi, CCI, Orange), et dans son approche brick and mortar – traditionnelle – du business. Lui qui a commencé par redresser l’entreprise familiale de fabrication de longues-vues, qui a ensuite créé une entreprise d’import-export de textile, avant de rencontrer en 2003 un ancien pilier de la messagerie gratuite sur Internet, Caramail, lors de la création du club de dirigeants Agrégator. « Je suis venu par hasard sur Internet », déclare toujours Dan Serfaty, qui a alors eu l’idée avec Thierry Lunati, centralien et génie des algorithmes, de créer une société à partir de l’intranet sécurisé d’Agrégator contenant le carnet d’adresses de ses membres. Son défi aujourd’hui : vite enrichir en services sa plate-forme pour mieux monétiser l’audience. Autant dire des perspectives de pression accrue pour les 219 salariés français.

1 RETROUVER L’INNOVATION

Voilà une décision rarissime dans les entreprises de la vieille économie, pas dans une PME high-tech. Pour raccourcir les délais de production et redynamiser la collaboration entre ses développeurs, Viadeo a réduit de moitié, à l’automne, les échelons hiérarchiques dans son département production et développement, qui concentre la moitié des troupes françaises. Là où il existait cinq strates entre le CEO et le développeur de base, il en subsiste deux. « La construction pyramidale, c’est la mort d’une boîte technologique », martèle Éric Pantera, 32 ans, directeur du software engineering, qui a conduit la révolution. Une nécessité, après le récent recrutement de 80 profils high-tech products chargés de développer des fonctionnalités novatrices pour la plate-forme. « Si on veut dépasser le cap des 50 millions d’abonnés, il faut pouvoir leur signaler, en push, les professionnels qu’ils devraient connaître, les jobs auxquels ils pourraient prétendre, les événements à ne pas manquer… Cela passait par une refonte de notre outil technologique, de l’organisation et de nouveaux profils », précise-t-il.

Mais une hiérarchie plate ne signifie pas absence de progression ni de reconnaissance des compétences. Pour garder intacte la motivation des troupes, Viadeo a créé une grille de huit niveaux de séniorité, après avoir distingué trois profils (technique, managérial, savoir-faire). Mises en ligne sur le réseau interne, les nouvelles règles du jeu ont été assorties de questionnaires d’auto­évaluation et de possibilité d’e-formation. Développer une culture geek, voilà l’enjeu pour le réseau social. Fin 2013, il a créé un blog technologique pour marquer sa présence dans la communauté high-tech parisienne et organise des conférences gratuites autour des pointures du secteur. Chaque mois, une cinquantaine de passionnés se serrent à la cantine, la plus grande salle de réunion de la PME. Un moyen, aussi, de dénicher les talents rares, tels ces trois spécialistes du langage informatique Scala, « invisibles sur le marché », selon Marie Anne Reeb, DRH adjointe.

Cette réorganisation ne s’est pas faite sans départs. Mais le bilan est positif pour Éric Pantera : « Beaucoup de développeurs, qui avaient une ou deux personnes à manager, ont été satisfaits de ne plus avoir à encadrer. Et la grille de séniorité a redonné des perspectives à ceux qui n’en avaient plus. » Trouver l’organisation la plus propice à l’innovation est une obsession chez Viadeo, qui a toujours eu un temps de retard, technologique et marketing, sur LinkedIn. Pour développer les applications mobiles, une start-up interne a été créée en 2012 sous la houlette de Michel Meyer, un pionnier du Net et éphémère directeur général de Viadeo, qui a quitté la PME au retour de Dan Serfaty. « On ne peut pas penser les applications mobiles à partir du Web. Il faut se réinventer », note Olivier Fécherolle, directeur stratégie et développement.

2 DIGÉRER LA CROISSANCE

« C’était folklorique. On ne se reconnaissait plus dans l’ascenseur », sourit Agnès Burgaud, présente dans l’aventure depuis 2005. DRH l’an passé, après avoir créé le premier espace emploi de Viadeo et développé les offres business, elle a procédé en un semestre à plus de 90 recrutements. Le doublement rapide des effectifs n’a pas été facile à vivre dans la culture interne de l’entreprise, où Dan Serfaty avait la réputation de connaître chacun par son prénom. Même si l’adaptabilité est le maître mot de la société Web, qui a connu deux déménagements et une foultitude de réorganisations au gré des fluctuations des effectifs tricolores passés, en neuf ans, de 3 à 219. Autant dire, pour les salariés, de multiples changements fonctionnels : pas plus de dix-huit mois au même poste.

« C’est une source d’opportunités », commente Nicholas Vieuxloup, aujourd’hui directeur du business intelligence, après avoir connu cinq postes en sept ans, de la direction des ventes aux relations presse. Mais certaines évolutions ont pu être brutales, et sans retour. « J’ai accepté de remplacer deux jours par semaine, temporairement et au pied levé, un collègue. Lorsque j’ai voulu revenir à temps plein sur mon poste, j’ai essuyé un refus définitif », déplore un salarié licencié après trois ans chez Viadeo, qui a abandonné, contre transaction, les poursuites aux prud’hommes. Pour digérer la croissance, la start-up, aujourd’hui ETI, a renforcé l’organisation matricielle et les équipes pluridisciplinaires, mêlant techniciens, chargés de produits et commerciaux. Et mis sur pied une journée d’intégration à laquelle Dan Serfaty a tenu à participer. Une mise en bouche se terminant, à chaque fois, par un déjeuner à l’Atelier des chefs, où ils concoctent le nouveau Viadeo. En appui, la DRH a renforcé les outils de communication interne, « pour que chacun ait le même niveau d’information », précise Agnès Burgaud. En sus de la rencontre trimestrielle, qui réunit toute l’entreprise autour de la présentation des objectifs et des résultats, et de la newsletter, une réunion bimensuelle a vu le jour en 2013. L’occasion de mettre à l’honneur l’actualité d’un département, ou ses nouvelles recrues.

3 MOBILISER LES TROUPES

Sodas et café en libre-service, cantine gratuite, deux baby-foot et une console Wii dans la salle de jeux, tutoiement de rigueur… Viadeo conserve tous les signes extérieurs de la start-up anglo-saxonne. Le fun@work n’est pas qu’une valeur affichée, comme l’attestent les battles virtuelles entre salariés (33 ans en moyenne) à l’heure du déjeuner. Une soupape pour des troupes impliquées qui ne comptent pas leurs heures et bûchent sec. Pour s’en convaincre, il suffit de se balader sur les plateaux. On n’entend pas une mouche voler. « Nous sommes en train de quitter le modèle start-up mais il nous faut en conserver l’ambiance pour l’empowerment des salariés », précise Olivier Fécherolle, le directeur stratégie et développement.

La transparence sur la stratégie et les chiffres, deuxième valeur revendiquée, est un autre levier de mobilisation. « C’est une marque de confiance qui développe chez les salariés le sentiment d’appartenir à une famille. Voyez, aucune des informations confidentielles délivrées lors des réunions ne finit sur la place publique ! » souligne Chams Diagne, directeur exécutif pour l’Afrique. Pour autant, cela ne signifie pas que les décisions soient mises en débat. Dan Serfaty, qui a la réputation d’avoir toujours sa porte ouverte mais de ne pas partager le gouvernail, d’être ultra­exigeant et de vite s’énerver, donne le la. « Il peut être autocratique mais c’est un meneur d’hommes extraordinaire. C’est essentiel pour emmener les troupes dans les sociétés high-tech, dont le modèle économique n’est pas certain », juge un ancien de Viadeo.

Pendant de la transparence, la pression sur les objectifs est importante dans la société « orientée résultats ». Mais elle sait récompenser ses salariés. La majorité a reçu des stock-ptions – non valorisables, faute d’introduction en Bourse – lors d’une réunion très annoncée. 10 % du capital appartiennent aux salariés et 20 % aux cofondateurs. Rien d’anodin quand les salaires sont dans la moyenne, entre 36 000 et 38 000 euros brut annuels pour un développeur inexpérimenté. Il y a aussi des rétributions collectives, tel ce week-end au ski offert à tous en décembre 2012 à l’initiative du CEO. « Une décision d’entrepreneur pas raisonnable », s’amuse-t-on à la DRH, qui a tout organisé. De la location des bus pour véhiculer les 130 salariés à celle des chaussures…

4 PROFESSIONNALISER LES RH

Nouveauté, Viadeo compte dans ses rangs depuis mi-2013 une DRH issue du brick and mortar, passée chez Lacoste et par une filiale de DaimlerChrysler. « Il faut stabiliser l’organisation », souffle Stéphanie Coffe qui, malgré six mois de Viadeo, a l’impression d’y avoir passé « plusieurs années ». Le doublement des effectifs début 2013 a sérieusement secoué l’entreprise, où le turnover a explosé, à 18 %. L’ETI, qui prépare d’ici à fin 2015 son entrée en Bourse, professionnalise à tout-va ses process et son image. En janvier, les salariés ont été invités à se faire tirer le portrait par un professionnel afin d’avoir une photo aux normes pour leur profil Viadeo. Terminé, la repique du selfie de vacances : voilà les salariés propulsés ambassadeurs du réseau social tricolore. L’opération a été initiée par le responsable… de la marque employeur Viadeo, recruté début 2013. Il a rejoint l’équipe RH qui comprend désormais neuf personnes, dont cinq business partners chargés de suivre le parcours des salariés. Sans compter la nouvelle chief culture officer, qui doit assurer la permanence des trois valeurs : fun@work, transparence et travail en équipe.

Entretien d’évaluation semestriel, renforcement des parts variables, mise en place d’un « vis ma vie », comme dans les grandes entreprises type Orange, qui permettra à un développeur de découvrir une demi-journée le métier d’un commercial… Les projets 2014 ne manquent pas chez Viadeo qui a procédé, en novembre, à ses premières élections professionnelles pour constituer un CE et un CHSCT. La faute au dépassement du seuil des 200 salariés ! Une autre normalisation de l’ancienne start-up, qui ne compte aucune section syndicale. Pour l’instant.

EN BREF

ÉVANGÉLISER

Viadeo, qui parie sur la sortie de crise pour une conversion des DRH à l’e-recrutement, étoffe ses équipes de vente et de chargés de clientèle. Il lui reste un gros travail d’évangélisation à faire. Seules 3 500 des 60 000 pages « entreprises » ouvertes depuis 2012 ont été mo­nétisées, les employeurs ayant pris les options payantes pour les services de recrutement.

EN CHIFFRES

55 MILLIONS C’est le nombre de membres que compte Viadeo, dont

8 MILLIONS en France et

17 MILLIONS en Chine, ses principaux marchés.

DATES CLÉS

2004

Lancement de Viaduc (devenu Viadeo en 2007).

2006

Première levée de fonds pour 5 millions d’euros.

2007

Rachat du réseau social professionnel chinois Tianji.

2009

Rachat en Inde d’ApnaCircle, réseau social professionnel indien, et au Canada du carnet d’adresses intelligent Unyk.

2012

Quatrième levée de fonds pour 24 millions d’euros.

Auteur

  • Anne Fairise