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Faut-il financer le paritarisme par une cotisation assise sur les salaires ?

Idées | Débat | publié le : 05.03.2014 |

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Faut-il financer le paritarisme par une cotisation assise sur les salaires ?

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Un financement du paritarisme plus transparent, tous les acteurs sont pour. Mais les avis divergent sur les modalités proposées par le projet de loi sur la formation professionnelle, l’emploi et la démocratie sociale. Quant à compter sur les seules adhésions, la marche est encore longue.

Pierre Burban Secrétaire général de l’Union professionnelle artisanale

Nous avons toujours considéré, à l’UPA, qu’une large part de nos ressources devait provenir de nos adhérents. Et la partie représentativité va le confirmer. Pour autant, nous œuvrons dans des organisations, tant au niveau des branches que de l’interprofessionnel, qui ne profitent pas qu’à nos adhérents. Lorsque nous négocions une convention collective qui a vocation à être étendue, celle-ci sera appliquée à nos entreprises adhérentes aussi bien qu’aux non adhérentes. Dès lors, il n’est pas anormal que certaines de nos ressources émanent également de contributions de toutes les entreprises concernées.

Dès 2001, nous avions signé avec l’ensemble des syndicats un accord sur le financement du dialogue social dans le secteur de l’artisanat. Un financement assis sur une cotisation de 0,15 % de la masse salariale scindée en deux : 0,07 % pour ce qui concerne la négociation collective de branche et 0,08 % pour financer le dialogue social interprofessionnel, en particulier le dialogue social territorial. Nous avons créé des commissions paritaires territoriales qui couvrent les 22 régions et qui bénéficient aux plus petites entreprises.

La proposition du gouvernement d’asseoir une part du financement du paritarisme sur les salaires (entre 0,014 et 0,020 %) n’est pas nouvelle. L’exécutif précédent estimait également que le financement de la formation professionnelle faussait les négociations paritaires. Depuis 1996, en effet, 1,5 % de l’ensemble des sommes collectées par les Opca est dirigé vers les partenaires sociaux (dont 0,75 % reste au niveau des branches et 0,75 % au niveau des organisations nationales interprofessionnelles) et réparti à 50-50 entre les syndicats de salariés et d’employeurs.

À l’UPA, nous avons toujours défendu l’idée que les entreprises ont droit à la clarté. Elles ne savent pas nécessairement que, lorsqu’elles versent leur cotisation au titre de la formation, une partie est redirigée vers les organismes gestionnaires. Il est légitime qu’elles sachent enfin ce qu’elles financent. Ce souci de transparence nous paraît aller dans la bonne direction. Ce projet ne signe pas le « Grand Soir » de la réforme des dotations perçues par les partenaires sociaux pour la formation. C’est une première étape, pragmatique.

Éric Lafont Administrateur de la CGT

Nous considérons, à la CGT, que le financement du syndicalisme doit reposer exclusivement sur les cotisations de nos adhérents. En revanche, il nous semble parfaitement normal que le fonctionnement du paritarisme, lui, fasse l’objet de contributions financières spécifiques. Le régime d’assurance chômage, par exemple, profite à tous les salariés – et employeurs – du secteur privé, pas seulement aux syndiqués ! Nous regrettons cependant que ce financement du paritarisme soit assis sur les salaires. Quand un patron cotise au Medef, l’argent ne sort pas de sa poche mais des comptes de l’entreprise. Indirectement, ce sont les salariés qui paient cette adhésion. Il n’y a donc aucune raison pour que les sommes allouées aux syndicats au titre du paritarisme viennent, elles, grever leur feuille de paie. Sinon, cela aurait pour signification de les faire payer deux fois. Et même trois fois si, par ailleurs, ils choisissent d’adhérer à un syndicat.

En aval, nous sommes aussi en désaccord sur la manière dont la future loi prévoit de répartir les sommes collectées. À la CGT, nous demandions qu’une part minoritaire des fonds destinés aux syndicats, de l’ordre de 20 à 30 %, soit répartie de façon égalitaire entre les organisations. De telle sorte que tout le monde puisse participer au dialogue social interprofessionnel. Y compris l’Unsa et Solidaires qui, par cette loi, vont eux aussi pouvoir bénéficier du fonds paritaire puisqu’ils ont dépassé la barre des 3 % de représentativité nationale.

Mais la CGT proposait aussi que, pour le reste, la ventilation tienne compte de la représentativité réelle des uns et des autres. Ce que le législateur n’a pas retenu. En optant pour des montants quasi forfaitaires, il accorde une prime aux organisations ayant peu d’adhérents. Ce qui ne permet pas de faire taire le procès – faux, en ce qui concerne la CGT, dont 74 % du fonctionnement proviennent des cotisations – selon lequel les organisations syndicales vivent presque exclusivement de subventions. Ce choix est d’autant moins compréhensible qu’il ne s’appliquera pas pour les organisations patronales. Côté employeurs, les financements octroyés tiendront, eux, bien compte du poids relatif de chacun. Nous dénonçons avec force ce « deux poids, deux mesures ».

Jean-Christophe Sciberras DRH de Solvay et président de l’ANDRH

En matière de financement du paritarisme, il y a indéniablement un progrès puisque la formation sort du circuit de financement syndical, qu’un fonds paritaire va être créé et qu’un commissaire du gouvernement sera nommé pour le contrôler. Il reste néanmoins un problème de fond à régler : par qui le syndicalisme doit-il être financé ? La réponse du béotien serait : par les adhérents. La France est un des rares pays qui ne fonctionnent pas ainsi. Cet état de fait est le résultat de décennies de défiance réciproque qui conduit d’ailleurs les salariés à ne pas adhérer à un syndicat.

Il est désormais essentiel de s’emparer globalement du sujet. La ventilation des sommes contenues dans le fonds paritaire créé par le projet de loi ne devrait pas reposer sur la répartition des voix aux élections professionnelles mais sur celle des adhésions. Glisser un bulletin de vote dans une urne n’a pas la même implication que d’adhérer à un syndicat. Adhérer, c’est participer au débat interne, c’est voter pour la signature d’un accord ou non, c’est choisir les délégués syndicaux. Aujourd’hui, tout ceci se fait entre un très petit nombre de personnes. À un moment où on place la négociation collective au cœur de l’adaptation des entreprises, ce n’est pas normal. On peut me rétorquer : comment mesurer l’adhésion puisque ce n’est pas connu de manière fiable ? Il est vrai que, contrairement au Japon, au Brésil ou à l’Allemagne où les cotisations syndicales apparaissent sur les bulletins de paie, cela est interdit en France. Mais on pourrait créer un fonds paritaire enregistrant les adhésions où l’anonymat serait garanti.

Le choix du gouvernement est de financer le paritarisme par une cotisation assise sur les salaires. Même si ce taux est dérisoire et qu’il correspond peu ou prou à ce que les entreprises versaient via la formation, il ne me paraît pas judicieux pour l’image du syndicalisme de donner un signal d’alourdissement des charges pesant seulement sur l’entreprise. Encore une fois, une solution, sans doute plus radicale, serait de tabler sur les seules adhésions. Dans un pays qui compte près de 23 millions de salariés du privé, cela représenterait 3 à 4 euros par an et par salarié… Emparons-nous du débat, re­mettons les choses à plat. Le financement des syndicats, ce n’est pas seulement une question ­d’argent !

CE QU’IL FAUT RETENIR

Dans son article 18 relatif à la réforme et à la modernisation du paritarisme, le projet de loi sur la formation professionnelle, l’emploi et la démocratie sociale veut rendre le système de financement du dialogue social plus transparent. Sénateurs et députés se sont mis d’accord le 24 février en commission mixte paritaire, le vote final de la loi devant avoir lieu le 27 février.

Un fonds paritaire dédié au financement des organisations syndicales et patronales sera créé pour mettre un terme au précédent système alimenté en grande partie par le Fongefor et le préciput. Ce fonds leur garantira un niveau équivalent de ressources, désormais clairement identifiables. Pour les entreprises, l’opération se veut neutre. Elles s’acquitteront d’une cotisation assise sur les salaires comprise entre 0,014 % et 0,020 %. Ce taux sera fixé par un accord signé par les partenaires sociaux agréé par le ministère du Travail ou, à défaut, par décret.

REPÈRE

138 millions d’euros

Ce serait le budget global minimal du fonds paritaire dédié au financement des organisations syndicales et patronales.