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Décodages

Solex ou la longue marche d’une relocalisation

Décodages | Industrie | publié le : 05.03.2014 | Anne-Cécile Geoffroy

Solex renaît à Saint-Lô. Le retour de cette marque emblématique dans l’Hexagone a été une aventure de longue haleine. Les premiers vélos made in France sortent de l’atelier normand depuis la mi-janvier.

Posés sur la table de la salle de réunion de l’atelier de Saint-Lô, les plans de la future usine Solex. Gregory Trebaol, patron du groupe Easybike, spécialisé dans la conception de vélos à assistance électrique, est le nouveau propriétaire de la célèbre marque, qu’il a acquise en mai dernier. Il détaille les croquis d’un bâtiment qui devrait sortir de terre l’an prochain. « Nous avons imaginé un site modulable. Il grandira au fur et à mesure que la production augmentera », explique cet entrepreneur de 35 ans. « Il faut que nous parvenions à saturer nos ateliers ici avant de basculer toute la production sur le nouveau site », ajoute Benoît Carrelet, ancien chef de projet chez Décathlon, fraîchement recruté pour diriger le site normand. Les deux hommes passent en revue une dernière fois les plans. Dans deux heures ils doivent rencontrer les élus de Saint-Lô Agglomération et présenter leur projet dans le détail. Car la future usine sera implantée au sein du technopôle que la communauté de communes est en train de construire au sud-est de la ville.

De reprise en reprise

Avant de renaître dans la Manche, les premiers VéloSolex ont vu le jour au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à Courbevoie, où les ateliers étaient installés. Un vélo très populaire auprès des jeunes comme des ouvriers. Près de 8 millions de Solex ont été produits en France jusqu’en 1988. La suite de l’histoire est assez emblématique du lent déclin qui a touché nombre d’entreprises industrielles ces trente dernières années. Rachetée par Renault dans les années 1970, elle passe ensuite dans les mains de Motobécane, puis de Yamaha, devenu MBK. En 1988, la production s’arrête définitivement. La marque est reprise par l’italien Magneti Marelli, un sous-traitant de l’automobile qui tentera de la relancer en Hongrie, sans succès. En 2006, Jean-Pierre Bansard, patron du groupe Cible, qui œuvre dans des secteurs aussi différents que l’hôtellerie, le transport et l’immobilier, rachète la marque culte. « Je suis très cocorico. Je n’acceptais pas que Solex ne soit plus français », explique aujourd’hui l’homme d’affaires. Il demande à l’industriel italien Pininfarina de redessiner « le vélo qui roule tout seul » et le rend électrique. Mais, sans outil industriel, il fait fabriquer le Solex en… Chine, à Shanghai.

À Saint-Lô, les salariés s’affairent pour assembler les premiers Solex aux couleurs de la collection printemps-été de Claudie Pierlot, une marque de vêtements très branchée. Ils viendront animer les vitrines des magasins en France et dans le monde. Un joli coup de pub pour le Solex made in France qui va également arpenter les sites de compétition des Jeux équestres mondiaux fin août en Normandie. Au fond de l’atelier, un peintre prépare les cadres. Brenda, Johan et les autres assemblent avec minutie chaque pièce dans le petit local situé à proximité. « Il faut près de six heures pour réaliser un vélo, indique Benoît Carrelet. Aujourd’hui nous produisons 1 500 pièces par an. L’objectif est de monter à 3 000 ou 4 000 d’ici à la fin de l’année. Puis 20 000 à 30 000 pièces quand nous serons en régime de croisière. » Car la future usine a vocation à alimenter le marché européen, quand le site chinois où 70 % de la production est aujourd’hui assurée vise à terme le seul marché asiatique.

Pour le moment installé à l’arrière d’une pépinière d’entreprises tout droit sortie des années 1980, cet atelier était celui de Mobiky, spécialiste du vélo pliant, racheté par Gregory Trebaol en même temps que la marque Solex en mai 2013. « J’étais en discussion avec Jean-Pierre Bansard depuis trois ans pour reprendre la marque et la relocaliser en partie en France. Ouvrir un site de production en partant de zéro était risqué. L’autre solution consistait à reprendre un site existant. J’ai rencontré Pascal Baisnée, qui détenait Mobiky, un peu par hasard. »

Monteurs polyvalents

Cet autre entrepreneur a déjà mené la relocalisation des vélos Mobiky, qui étaient fabriqués en Chine et en Tunisie. Auparavant, il avait aussi créé une usine de cartes à puce quand tous ses concurrents délocalisaient, incapables de produire en France. Des compétences en relocalisation qui manquaient jusqu’ici à l’équipe d’Easybike. « Si on veut développer de nouvelles entreprises en France, on doit s’adapter aux contraintes réglementaires. Mais surtout mettre de l’intelligence dans notre métier d’entrepreneur, souligne Pascal Baisnée, qui continue avec Jean-Pierre Bansard d’épauler Gregory Trebaol. Plutôt que de tout focaliser sur le coût du travail, mieux vaut repenser nos process de production pour rester compétitifs. » Pour les trois entrepreneurs, fabriquer une bicyclette électrique en France ne coûte pas beaucoup plus cher qu’en Chine. « C’est moins le coût du travail que le temps d’assemblage qui fait la différence. En Chine, les monteurs sont très peu polyvalents. Ici, tout le monde est capable de peindre, de monter un vélo, de gérer les stocks de pièces détachées », explique Gregory Trebaol.

Depuis le 5 septembre, jour de l’annonce de la relocalisation partielle de Solex en France, il croule sous les candidatures. « Nous avons reçu près de 300 CV ! » Pour le moment, l’atelier compte 10 personnes. Un peintre et trois monteurs viennent d’être recrutés. D’autres embauches suivront. « Nous devrions recruter une trentaine de personnes. Et les femmes sont les bienvenues ! » annonce le chef d’entreprise qui a déjà embauché une monteuse à Saint-Lô et une commerciale, basée au Bourget, au siège d’Easybike (32 salariés).

Une belle histoire qui a bien failli tourner court plus d’une fois. Car relocaliser une marque et réindustrialiser une production reste un parcours du combattant pour les entreprises qui devaient jusqu’en octobre dernier se repérer seules dans les méandres des services de l’État (voir l’encadré ci-contre). Les trois hommes ont aussi essuyé de nombreux refus. Des banques, déjà. « Pas une n’a accepté de nous accompagner », raconte Gregory Trebaol. Seul le fonds d’investissement Sigma Gestion, tourné vers les PME, les a suivis.

Appui de la BPI

Lors de l’annonce de la relocalisation, Arnaud Montebourg n’a pas manqué de décocher ses flèches assassines dans une de ces envolées dont il a le secret. « La finance, c’est comme le cholestérol. Il y a la bonne et la mauvaise. Les banques ne croient pas en Solex ! Nous, nous croyons en vous. » Et de se féliciter de l’aide accordée à Easybike par la Banque publique d’investissement (BPI) dans le cadre des aides à la réindustrialisation. « Sans les conseillers techniques du ministère, nous n’aurions pas avancé aussi vite, frappé aux bonnes portes et fait entrer ce projet dans les critères d’éligibilité des aides publiques. La BPI nous a consenti une avance remboursable sans intérêt de plus de 1 million d’euros », explique Gregory Trebaol.

Même scepticisme de la part d’un industriel comme PSA. À l’époque, le groupe automobile annonçait la fermeture d’Aulnay et la réindustrialisation du site. « Je suis allé les voir avec un architecte, mon directeur financier et mon directeur technique. Mais les 30 créations d’emploi prévues ne les ont pas séduits. Nous étions jugés trop petits, se souvient le chef d’entreprise. Après le passage d’Arnaud Montebourg, ils m’ont tout de même rappelé pour réétudier le dossier. »

L’entrepreneur est resté fidèle à Saint-Lô. « La ville se bouge pour nous, même si aujourd’hui l’atelier n’emploie que 10 personnes. » Une aubaine pour cette cité normande de près de 20 000 habitants, coincée entre deux métropoles dynamiques, Rennes et Caen. « La venue d’Easy­bike, le maintien de Mobiky et la relocalisation de Solex concourent au rayonnement du technopôle. Nous y accueillerons des industriels et de nouveaux emplois », se réjouit François Digard, le maire et président de l’agglomération. En attendant que l’usine sorte de terre fin 2015, l’équipe d’Easybike prépare deux nouvelles versions du Solex pour séduire les citadins et les sportifs. À presque 2 000 euros, le vélo populaire est devenu un objet haut de gamme. Le prix de la relocalisation.

Relocaliser, une tendance mondiale

David Cameron a fait sensation le 24 janvier à Davos. Face aux plus influents dirigeants de la planète, le Premier ministre britannique a annoncé la création d’un nouveau service gouvernemental, Reshore UK. Il entend s’appuyer sur la relocalisation, une vraie tendance, selon lui, pour doper la croissance de son pays. Les États-Unis se sont engagés dans la bataille depuis plusieurs années. Via notamment la reshoring initiative de l’industriel Harry Moser, convaincu qu’il pouvait être plus profitable pour certains industriels de revenir produire sur le sol américain. La Suède s’est également dotée d’un programme de relocalisation baptisé Flytta.

En France, depuis fin juillet, les PME et les TPE tentées par la relocalisation ont leur « manuel pratique ». Voulu par Arnaud Montebourg, très inspiré par le modèle américain, le logiciel Colbert 2.0 permet aux chefs d’entreprise d’évaluer en 48 questions et trente minutes chrono l’opportunité d’une relocalisation. Et pour ceux qui voudraient entrer dans un processus concret, un RUI, pour référent unique pour l’investissement, leur est désigné. Celui-ci doit prendre contact avec l’entreprise dans un délai de cinq jours. Nommés en octobre 2013, ces 22 référents, issus des Direccte ou du corps préfectoral, se partagent le territoire.

Leur mission : faire le lien avec les différents services de l’État, comme les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement, ou la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, et faciliter l’implantation ou la relocalisation d’entreprises. Huit mois après le lancement du site, le ministère estime que ses objectifs de sensibilisation et d’information sont atteints.

Sur 15 441 visiteurs uniques, 394 entreprises sont allées au bout du test d’évaluation et 45 ont pris contact avec un référent en région. Des données que, jusqu’à présent, l’État français ne prenait pas la peine de collecter, jugeant le phénomène de la relocalisation trop marginal pour s’y intéresser. La tendance pourrait s’inverser et les États se faire concurrence pour attirer les candidats à la relocalisation sur leur territoire.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy