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Décodages

Outre-Rhin, les opposants au smic font de la résistance

Décodages | international | publié le : 05.03.2014 | Thomas Schnee

Enjeu des récentes élections, le smic a été adopté sous la pression par le cabinet Merkel. Son application risque de faire l’objet de nombreuses exceptions.

En soi, un minimum salarial n’est pas une mauvaise chose », admettait, mi- ­février, le chef de la Chancellerie fédérale, Peter Altmaier. Mais ce serait « se fourvoyer » que d’introduire une réglementation trop rigide, poursuivait-il. Pour le directeur de cabinet d’Angela Merkel, si l’on n’y prend pas garde, l’Allemagne va se « retrouver au bout du compte avec moins et non pas plus d’emplois ». Une position qui trace clairement la ligne de front de la bataille qui se profile autour de l’introduction d’un salaire minimum universel en Allemagne. La ministre du Travail et des Affaires sociales, Andrea Nahles, prévoit en effet de présenter son projet de loi au début du printemps. Le vote définitif du texte tombera avant la trêve estivale.

On se rappelle qu’à l’issue de longues tractations pour la formation d’un gouvernement entre conservateurs (CDU/CSU) et sociaux-démocrates (SPD) la chancelière allemande n’avait pas eu d’autre choix que d’accepter la revendication centrale du SPD et des syndicats. Cette énorme concession faite par la droite allemande, après des années de résistance, avait même été assez précisément détaillée dans le programme gouvernemental. Celui-ci stipule qu’un salaire minimum horaire d’au moins 8,50 euros brut sera obligatoire dans tous les secteurs de l’économie au 1er janvier 2017. Et tous les accords négociés à partir du 1er janvier 2015 devront intégrer un accord sur le smic. Seuls les accords salariaux conclus avant 2015 resteront valables jusqu’en 2017, avec ou sans smic. Plus feuille de route qu’engagement fixe, l’accord de coalition prévoyait cependant quelques exceptions sans toutefois les désigner clairement.

Apprentis exceptés

C’est dans cette brèche que le patronat et tous les adversaires du salaire minimum universel entendent s’engouffrer. « Nous ne pourrons plus détourner le gouvernement de l’introduction d’un smic », admet le patron de la Fédération des industriels allemands, Ingo Kramer, qui a sa petite idée sur de possibles exceptions. Il aimerait, par exemple, que les nombreux apprentis allemands ne bénéficient pas du smic : « Il faut absolument empêcher que des jeunes sans formation préfèrent prendre un job payé à 8,50 euros l’heure plutôt que de suivre une formation », s’inquiète-t-il. Même chose pour les chômeurs de longue durée qui, selon lui, ne trouveront jamais d’employeur disposé à les payer au niveau du smic : « Nous pourrions commencer par un salaire plancher inférieur puis, une fois qu’ils ont fait leurs preuves, les augmenter par paliers », propose-t-il.

Pour sa part, le patron des conservateurs bavarois, Horst Seehofer, demande aussi que les retraités, les travailleurs saisonniers ou encore les étudiants soient exclus du dispositif. La Fondation syndicale Hans-Böckler évalue que de telles exceptions pourraient priver de smic environ 2 millions de travailleurs sur les 5,2 millions concernés. Face à cela, les inconditionnels du salaire minimum élèvent la voix : « Le salaire minimum à 8,50 euros pour tous sera valable à partir du 1er janvier 2015. Nous y veillerons sévèrement », a ainsi prévenu le président de la Confédération des syndicats allemands, Michael Sommer, qui pose aussi la question de l’application de la loi. Jusqu’à présent, dans la filière viande, qui emploie 80 000 salariés, les employeurs ont massivement pratiqué le dumping social en ayant recours à une main-d’œuvre sous-payée venue des pays de l’Est : « Sous la pression de la future loi, ils ont signé le premier accord collectif de branche avec un salaire minimum le 13 janvier dernier », raconte un syndicaliste du secteur. Pourtant, la plupart de ces salariés resteront employés via des sociétés d’intérim sous le régime du contrat de services : « Ils sont soumis à des objectifs quantitatifs.

On pourra donc toujours les payer sur la base du smic à 40 heures par semaine. Mais si le conditionnement de cagettes de poulets prévu contractuellement leur prend cinquante ou soixante heures, cela ne changera rien à leur situation », prévient ce syndicaliste.

Et au Royaume-Uni…

Le Royaume-Uni se prépare à une hausse exceptionnelle du salaire minimum. « Quand je regarde l’économie britannique, je vois une économie en expansion, des emplois créés et la perspective de futurs emplois. […] Je pense que le Royaume-Uni peut se permettre une augmentation du salaire minimum supérieure à l’inflation afin de rétablir sa vraie valeur et nous assurer que la reprise bénéficie à tout le monde », a déclaré, mi-janvier, le responsable des Finances, George Osborne. Le chancelier de l’Échiquier n’a pas précisé le niveau que pourrait atteindre le smic, actuellement de 3,72 livres (4,39 euros) pour les moins de 18 ans, 5,03 livres (5,93 euros) pour les 18-20 ans et 6,31 livres (7,44 euros) pour les plus âgés, mais deux hausses sont prévues en octobre 2014 et octobre 2015. Cette décision, réclamée par l’opposition travailliste et les syndicats, se veut pragmatique. En vue de l’élection générale de mai 2015, le gouvernement doit donner aux Britanniques le sentiment qu’ils vivent mieux, alors que leur niveau de vie s’est dégradé. Selon l’Institut des études fiscales, la perte de pouvoir d’achat est de 1 050 euros par foyer depuis l’arrivée des conservateurs. Même si cette hausse ne concerne que 1,46 million de citoyens, dont 46 % sont employés dans la distribution et l’hôtellerie-restauration, elle sera un signe fort en direction des plus pauvres et se répercutera en partie sur les autres salaires. Le Premier ministre, David Cameron, a néanmoins calmé les ardeurs des plus optimistes en leur demandant d’être « patients » car « cela prendra du temps ».Autre motivation des responsables économiques, ce coup de fouet au pouvoir d’achat a aussi pour objectif de relancer la consommation, capitale aussi pour la croissance. La Confédération de l’industrie britannique a pourtant répété qu’une « hausse inabordable finira par coûter des ­emplois et touchera surtout les PME. Toute hausse de salaire doit refléter une amélioration de la productivité ».

Tristan de Bourbon, à Londres

Auteur

  • Thomas Schnee