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Décodages

L’université, mauvais employeur

Décodages | Ressources humaines | publié le : 05.03.2014 | Rozenn Le Saint

Au 1er janvier 2013, toutes les universités ont accédé à l’autonomie en matière de budget et de GRH. Mais depuis 2007, année d’adoption de la loi LRU, les déficits se creusent, les différences de traitement entre les titulaires et les précaires aussi.

Benoît* est vacataire, le statut le plus précaire de l’enseignement supérieur. Cela fait huit ans qu’il donne des cours de langues à l’université pour « boucher les trous », alors que, légalement, la vacation est censée être réservée à « une tâche précise », « ponctuelle », « exceptionnelle » ou à un « caractère d’urgence ». À la Sorbonne, dans son département de langues, ils sont huit comme lui, pour… deux enseignants-chercheurs permanents. Chaque heure de travaux dirigés est rémunérée 40 euros, sur lesquels il ne paie aucune cotisation et l’État aucune charge sociale : privé de congés payés donc, de droit au chômage et à la retraite pour cette activité.

Le calcul est vite fait pour Jean-Pascal Simon, secrétaire national de Sup Recherche Unsa : « La masse salariale d’un enseignant-chercheur qui part en retraite permet de rémunérer deux vacataires. » À ce prix-là, les universités recrutent des précaires à tout-va. Benoît a été embauché pour donner des cours de géographie en envoyant son CV de professeur de langues, sans aucun entretien. Après vingt-quatre heures passées au tableau, sa mission a pris fin du jour au lendemain. « Je suis totalement éjectable. Nous devenons de plus en plus dépendants du copinage, la loi LRU [relative aux libertés et responsabilités des universités, NDLR] a renforcé le système féodal et la différence se creuse entre du personnel ultraprotégé et celui qui ne l’est pas du tout », s’insurge ce jeune chargé de cours.

Un tiers environ du personnel des universités est non titulaire, donc contractuel (en CDD) ou vacataire. « 3,6 millions d’heures de vacation ont été dispensées en 2008. Ce sont les derniers chiffres officiels, mais ils ont forcément augmenté considérablement depuis puisque les budgets se sont resserrés », affirme Julien Hering, cofondateur de Papera (Pour l’abolition de la précarité dans l’enseignement supérieur, la recherche et ailleurs). La révision générale des politiques publiques (RGPP) y est pour beaucoup. La loi LRU, la loi Pécresse contre laquelle s’était élevé le monde de l’enseignement supérieur en 2007, n’a pas inventé la précarité à l’université. Elle a confié les manettes des ressources humaines à ses présidents. À eux de gérer leur masse salariale, avec un budget au cordeau (voir l’encadré page 44).

Seuls les personnels précaires des bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé (Biatss) ont fait l’objet d’une attention du gouvernement précédent : la loi Sauvadet du 12 mars 2012 fixe pour objectif de titulariser 8 400 contractuels en quatre ans. L’équivalent pour les enseignants n’est pas prévu au programme… Sous le poids des contraintes budgétaires, la masse salariale est devenue le premier levier à actionner : elle représente 74 à 85 % du budget total de fonctionnement d’une université. « Si on utilise moins de ressources humaines, cela libère de l’argent pour refaire la toiture ou autre », traduit Laurent Diez, secrétaire général du Syndicat national du personnel technique de l’enseignement supérieur et de la recherche Unsa. Avec des conséquences sur le principe d’égalité devant l’éducation : les mutations sont rendues quasi impossibles dans les établissements à faibles ressources financières puisque recruter un jeune contractuel coûte près de deux fois moins cher que de faire venir un enseignant-chercheur expérimenté, payer son régime de retraite propre aux fonctionnaires et ses primes.

Bonus pour… les titulaires

D’autant plus que pour compenser quatre ans de gel du point d’indice des fonctionnaires, les bonus des titulaires sont dopés. Au risque de creuser encore le fossé qui les sépare des précaires… Et les déficits. Des comités techniques composés de représentants syndicaux proposent la répartition des gratifications complémentaires, puis le conseil d’administration tranche. Selon Bernard Belloc, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Élysée pour l’enseignement supérieur et la recherche, « le mécanisme est le même mais l’autonomie budgétaire plus grande a donné davantage de liberté aux universités, tant sur la justification des primes que sur leur montant ». « Le ministère nous attribue une enveloppe globale et il nous revient de répartir les primes statutaires pour le personnel enseignant, Biatss, les contractuels et les primes individuelles d’excellence scientifique », indique Christian Cuesta, vice-président au conseil d’administration de l’université Paris-Est Créteil. Avec un écueil, soulevé par Gérard Blanchard, à la tête de la fac de La Rochelle : « La tentation peut être grande de céder à la pression en voulant créer l’illusion d’un climat social parfaitement apaisé, au risque de mettre en péril l’équilibre budgétaire. » Lui a résisté aux deman­des de bonus individuels au mérite comme la prime d’excellence scientifique, instaurée par Valérie Pécresse en 2009. Elle oscille entre 3 500 et 15 000 euros par an, est accordée pour quatre années de suite et peut être renouvelée.

L’université Paris 6 Pierre-et-Marie-Curie (UPMC) en a changé la dénomination en créant des primes individuelles dites « d’investissement pédagogique et de recherche ». « Les membres des commissions d’attribution de ces primes se les autoaccordent à 80 %, puis le conseil d’administration valide ces décisions alors que, statistiquement, le personnel a chaque année environ une chance sur trois d’en obtenir une », assure Jean-Marie Maillard, enseignant-chercheur à l’université Paris 6, qui compte 6 000 personnels. « En réalité, ce sont des primes de management, voire de caporalisation : le dévouement particulier à l’université est évoqué », enrage ce représentant du collectif Sauvons l’Université, qui n’hésite pas à parler de « connivence » et d’« achat électoral ».

« Pour couper court à ces critiques, à partir de cette année, les personnes qui sollicitent ces pri­mes ne pourront pas siéger dans les commissions d’attribution », se défend Laurent Buisson, vice-président de l’UPMC. En 2012, 800 de ses enseignants-chercheurs ont bénéficié de ces gratifications. Coût : 4,7 millions d’euros. La même année, l’établissement accusait un déficit de 1,4 million d’euros… Autre risque, soulevé par Laurent Diez, de l’Unsa : « Les universités entrent dans une concurrence malsaine : les professeurs les plus talentueux iront là où ils savent qu’ils recevront davantage de primes. »

Des universités en fusion

S’agissant des abus de promotions, l’université fusionnée d’Aix-Marseille est particulièrement dans le viseur. Le regroupement des facs coûte davantage qu’il ne rapporte. Pourtant, il a été encouragé avant la loi LRU et poursuivi depuis afin de briller dans les classements internationaux, et de réaliser des économies d’échelle. La masse salariale a augmenté de 5 % depuis la fusion. « Le régime indem­nitaire du mieux-disant a été adopté », justifie Yvon Berland, président de la nouvelle entité. En tout, cette harmonisation des statuts a coûté 2 millions d’euros les deux dernières années, soit 20 % du coût total du rapprochement. Les 150 agents administratifs du service RH, qui gèrent 7 600 feuilles de paie, ont encore du pain sur la planche s’agissant des postes en doublon et de la réorganisation des services. À l’université de Lorraine, née en 2012 du regroupement de Nancy 1 et 2, de Metz et de l’Institut national polytechnique de Lorraine, le virage semble avoir été mieux négocié. Non sans mal pour les 130 membres des RH. Son président, Pierre Mutzenhardt, l’assure, ce n’était pas une question de sous-effectif : « En comparaison avec une entreprise, la taille du service des ressources humaines est dans les normes. » Ses effectifs, 7 100 personnes, sont du même ordre que les assurances Maaf. Car c’est aussi cela, la loi LRU : le rapprochement avec les modes de fonctionnement et de management du privé. Mais ses troupes RH n’étaient pas familiarisées avec les méthodes de fusion des grands groupes. « Ces agents se sont retrouvés face à une complexité terrible à gérer qui les a épuisés. Nous avons dû recourir à des suivis personnalisés », confie Pierre Mutzenhardt. Un stress des équipes RH relevé dans bien d’autres CHSCT d’université.

Ces services RH ont dû harmoniser des organisations différentes des 35 heures dans les quatre universités rassemblées et les primes, pour les titulaires et les contractuels, avec des contraintes budgétaires serrées. « L’alignement sur le mieux-disant n’était pas dans nos capacités. Nous avons concentré les efforts sur le personnel contractuel en remontant son régime indemnitaire, ce qui nous coûte 2 millions d’euros par an sur une masse salariale d’environ 400 millions d’euros », indique le président de l’université, qui a dû apprendre à jongler avec les chiffres, passage de la loi LRU oblige… Avec une main de fer, aidé en cela par l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche. « L’appui de huit de ces inspecteurs nous a fait gagner deux ans », assure-t-il.

Lui et son équipage étaient-ils assez préparés pour tenir la barre d’un paquebot universitaire Rares sont les présidents d’université qui admettent l’importance d’insister sur la formation des chefs d’établissement et des directions générales des services, au-delà de celles, basiques, élaborées par la Conférence des présidents d’université, l’Agence de mutualisation des universités et établissements et l’École supérieure de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. « La formation continue dans les universités est un tabou, or nous en avons besoin pour ce qui concerne les pratiques pédagogiques et RH », consent Pierre Mutzenhardt. Face aux grands écarts de gestion des différents établissements, Geneviève Fioraso, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a demandé à l’ENA de mettre au point une formation pour leurs présidents. L’idée les a surtout piqués au vif, eux qui sont presque devenus des chefs d’entreprise, avec chacun leur propre méthode, essentiellement apprise sur le tas.

* Son prénom a été modifié.

REPÈRES

149 000 personnes sont employées dans les universités (96 000 enseignants et 53 000 Biatss).

1 TIERS environ des membres du personnel est non titulaire (contractuel ou vacataire).

1 QUART des universités prévoyaient un déficit en 2013.

74 à 85 % du budget total de fonctionnement sont consacrés, selon les universités, aux dépenses de personnel.

Sources : Conférence des présidents d’université, collectif Papera, ministère de l’Enseignement supérieur.

Les facs dans le rouge

Un quart des universités prévoyaient un déficit en 2013. Soit 19 sur 76, dont 5 pour la deuxième année consécutive. Pour expliquer ces bilans dans le rouge, les présidents d’université évoquent un calcul de dotation sous-estimé, notamment compte tenu de l’évolution de la masse salariale. Le glissement vieillesse technicité, c’est-à-dire les hausses de salaire liées à l’ancienneté, n’a pas été considéré.

Or, comme ailleurs, le personnel qui forme la jeunesse vieillit. Pour maîtriser la masse salariale, Pierre Mutzenhardt, président de l’université de Lorraine, a dû geler les recrutements l’an dernier. Une soixantaine d’emplois ont été sucrés. Il espère ainsi atteindre l’équilibre budgétaire en 2014. En 2012, le déficit représentait 1,5 million d’euros…

Certains travaux coûteux n’auraient pas non plus été pris en compte par l’État, comme ceux de désamiantage de Jussieu. « La loi LRU, c’était comme devenir propriétaire du château de Versailles quand on gagne le smic », estime Jean-Marie Maillard, membre du CHSCT de Paris 6.

Mais la gestion des présidents d’université et leur manque de préparation sont aussi une des raisons évoquées. « Les dépenses annuelles par étudiant se sont accrues de 27 % de 2007 à 2011, alors que le nombre d’élèves a seulement augmenté de 8 % dans le même temps », rappelle Bernard Belloc, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Élysée pour l’enseignement supérieur et la recherche. Il souligne également que, selon les universités, le nombre d’enseignants par étudiant fluctue de 18 à 77 et que le ratio varie de 15 à 65 pour le personnel Biatss. Un énième grand écart.

Auteur

  • Rozenn Le Saint