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Décodages

Emmanuelle Wargon, la tête de l’emploi

Décodages | Portrait | publié le : 05.03.2014 | Emmanuelle Souffi

Énarque, cheville ouvrière du RSA, la déléguée générale à l’Emploi et à la Formation professionnelle met en musique la politique sociale du gouvernement. En technicienne avertie. Et fort investie.

Ses boucles rebelles dépassent parfois du cadre officiel. Quand, l’année dernière, le ministre du Travail mettait la pression sur les préfectures pour qu’elles signent des emplois d’avenir, elle était souvent là, discrète et attentive, l’œil sur les statistiques. Personnage clé de la politique sociale du gouvernement, la patronne de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a la lourde tâche de rendre applicables les accords négociés par les partenaires sociaux et de conseiller le ministère sur les mesures à prendre. Leaders syndicaux et patronaux ont fait sa connaissance le 4 octobre 2012. D’autres noms, tel Xavier Lacoste, aujourd’hui DRH de la mairie de Paris, circulaient pour le poste. Pas forcément le sien, connoté santé plus que travail. Secrétaire générale des ministères chargés des Affaires sociales, elle est en plein déploiement des agences régionales de santé. Ça lui plaît, et elle n’a pas envie de bouger. Mais le gouvernement a besoin de fidèles pour construire sa boîte à outils antichômage. Et Bertrand Martinot, alors à la tête de la DGEFP, est trop marqué à droite, trop hostile aux contrats aidés. « Sa nomination est politique, son parcours ne la prédisposait pas à de telles fonctions », tacle un ancien conseiller sarkozyste de la Rue de Grenelle.

Hollando compatible, la fille de l’ancien ministre Lionel Stoléru n’est encartée nulle part. Mais elle a le cœur à gauche. Dircab de Martin Hirsch quand il était haut-commissaire aux Solidarités actives, elle a activement participé à la création du RSA. Les causes perdues la motivent et elle déteste les cyniques. « Cet engagement social lui donne une originalité, une façon de s’exprimer plus personnelle », juge Didier Tabuteau, qui l’a recrutée en 2001 au cabinet de Bernard Kouchner, dont il était le dircab au ministère de la Santé.

Son prédécesseur débarqué du jour au lendemain, Emmanuelle Wargon arrive à la DGEFP dans une ambiance à couteaux tirés. L’administration souffre. « On avait besoin de quelqu’un pour la reconstruire », souligne Gilles Gateau, dircab de Michel Sapin. Femme de terrain, elle fait le tour des centrales, CGT compris – du jamais-vu –, et renoue les liens avec la Rue de Grenelle. « Il y a des secteurs sur lesquels nous n’étions plus audibles, comme l’apprentissage », précise-t-elle.

Grosse pression

Rapidement, cette tête bien faite met les mains dans le cambouis, s’attaque au gros morceau de la sécurisation de l’emploi et au casse-tête des procédures d’homologation des plans sociaux. L’écriture du texte se fait au pas de course. Entre le 11 janvier 2013, signature de l’ANI, et le 6 mars, jour de la présentation du projet de loi en Conseil des ministres, les équipes de la DGEFP travaillent sans relâche. « Il y a une énorme pression qui pèse sur cette direction car ce sont des sujets très politiques et très urgents », relève cette énarque de 43 ans. Autre réforme au pas de course, celle de la formation professionnelle, bouclée un mois après la signature de l’accord du 14 décembre. Un rythme infernal qui n’empêche pas cette mère de trois enfants de 10 à 16 ans d’emmener le dernier à l’école et de plier bagage à 20 heures au plus tard. Quand il l’a appelée chez Bernard Kouchner, Didier Tabuteau se souvient des exigences horaires qu’elle avait posées. « C’est rare et rafraîchissant, se félicite-t-il. Ça montre un certain recul et le refus du carriérisme à tout prix. » Sacrifier sa vie de famille comme ces cadres sup en tailleur qu’elle a croisées lors d’un stage chez Lazard reste l’un de ses pires cauchemars. Si cette fille d’une énarque et d’un polytechnicien a multiplié les diplômes (HEC et Sciences po Paris), « c’est pour être libre et autonome le plus tôt possible ». Ultraorganisée, elle a un côté bulldozer qui plaît autant à droite qu’à gauche. En 2010, après le départ de Martin Hirsch du gouvernement, elle rebondit chez Roselyne Bachelot. « C’est une très bonne technicienne qui sert l’État avant de servir un parti », observe Fabrice Heyries, DRH de Groupama, qui l’a connue quand il était dircab adjoint de Xavier Bertrand. « Elle est opiniâtre, elle ne lâche rien », poursuit Nicolas Grivel, dircab adjoint de Michel Sapin et qui a été son bras droit quand elle était aux Affaires sociales. Aller droit au but pourrait être sa devise. « Dans un monde policé, elle est capable de dire les choses, même désagréables. Elle ne connaît pas le management lâche », tranche Fabrice Heyries. Forcément, ça passe ou ça casse. Les trois quarts de l’équipe dirigeante ont changé. « Pour une large part, ils travaillaient avec son prédécesseur », pointe un ancien conseiller. Dernier départ en date, celui de Christophe Strassel, le chef de service, qui a atterri au cabinet de Geneviève Fioraso.

Franc-parler

Grand ménage ou simple volonté de s’assurer du soutien de tous, la patronne se défend d’avoir cherché à s’entourer de fidèles en puisant dans son carnet d’adresses. Mais son franc-parler et sa tendance à l’hypercentralisation en font tiquer plus d’un. On lui reproche de n’être qu’une « chambre d’enregistrement » des desiderata du gouvernement. Alors qu’elle ambitionne de rendre la DGEFP plus innovante. La garantie jeunes ou les contreparties à la fin de l’obligation de financement de la formation ont été pensées ici. « J’aimerais proposer une ligne stratégique des politiques de l’emploi, annonce-t-elle. Nous sommes très centrés sur les aides aux publics en difficulté et pas assez sur la création de l’emploi. Arrêtons d’opposer traitement social et développement économique. » Celle qui, plus jeune, avait une vision manichéenne des entreprises les a souvent consultées sur la réforme du licenciement collectif. Elle souhaiterait aussi monter un réseau de TPE-PME pour comprendre leurs freins à l’embauche, ainsi qu’une journée des expériences territoriales.

Car, pour cette pragmatique, il faut casser les frontières. Comme elle l’a fait sur le chantier, pourtant glissant, des ARS, entre l’administration et les praticiens. « Ses capacités personnelles lui ont permis de réussir une tâche quasi insurmontable en un temps record », s’étonne encore Claude Leicher, président du syndicat MG France. « C’est une fonceuse qui ne se limite pas à l’organisation administrative, mais qui cherche à donner du sens à ce qu’elle fait », analyse Claude Evin, DG de l’ARS d’Ile-de-France. De là à l’imaginer un jour rattrapée par le virus politique, il n’y a qu’un pas que cette fan de séries américaines n’a, pour l’heure, pas envie de franchir.

REPÈRES

1997-2001

Conseillère à la Cour des comptes.

2001-2002

Conseillère technique au cabinet de Bernard Kouchner, ministre délégué à la Santé.

2002-2006

Adjointe au directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

2007-2010

Directrice de cabinet de Martin Hirsch, haut-commissaire aux Solidarités actives, puis à la Jeunesse.

2010-2012

Secrétaire générale des ministères chargés des Affaires sociales.

2012

Déléguée générale à l’Emploi et à la Formation professionnelle.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi