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Les contre-modèles du management

À la une | publié le : 05.03.2014 | Éric Béal

Retrouver de la souplesse, de la confiance, de l’initiative… Pour gagner en efficacité, des entreprises pratiquent des formes de management alternatif en s’appuyant sur l’intelligence collective et l’autonomie des salariés. Et commencent à faire des émules.

Je ne veux plus travailler avec toi. » Lancée au cours d’une assemblée régionale de Chrono Flex, cette interpellation aurait pu choquer les sa­lariés présents. Elle a plutôt été le début d’une franche explication entre le salarié désigné et plusieurs de ses collègues qui pointaient du doigt son manque de solidarité. « Nos 160 techniciens sont autonomes dans leur zone géographique. Ils interviennent sur les chantiers pour réparer les engins tombés en panne de tubes flexibles. Toute intervention doit être rapide et bien faite, car un matériel à l’arrêt coûte de l’argent à notre client », explique Alexandre Gérard, président du groupe Inov-On, maison mère de Chrono Flex. S’il est appelé sur deux chantiers en même temps, le technicien concerné sollicitera le collègue le plus proche. L’objectif est d’assurer le dépannage le plus rapide possible sans le concours d’un supérieur. « Or ce salarié ne jouait pas le jeu. Il a été rejeté par son collectif de travail et nous lui avons aménagé une sortie honorable », résume le dirigeant. Ce dénouement ne pose aucun problème à Pascaline Eon, secrétaire du CE sans étiquette. « L’organisation du travail est basée sur le respect et la responsabilité de chacun. Or ce collègue n’adhérait pas aux valeurs de l’entreprise », indique-t-elle.

PLUS BESOIN D’UN CHEF

Chez le biscuitier Poult, les opérateurs sur les lignes de production n’ont, eux aussi, plus besoin d’un chef pour réagir au moindre incident. Ils sont responsables de leur machine. Un salarié chargé de produire le papier pour les emballages traite directement avec ses collègues de la fabrication des biscuits. « La création de valeur est le fruit de l’inventivité humaine, de la collaboration et de l’intelligence collective. Un modèle managérial qui permet de favoriser ces dimensions doit normalement aboutir à une performance supérieure à long terme », assurait Medhi Berrada il y a un an au cours d’un séminaire organisé par l’organisme de formation EFE. Le DG adjoint du groupe Poult expliquait que son entreprise avait cherché à faire de son modèle managérial un avantage concurrentiel en donnant plus de liberté aux salariés. « Il faut supprimer tous les postes hiérarchiques dont l’essentiel de la mission est de contrôler. Il faut également repenser la fonction de manager pour faire évoluer ce dernier vers un rôle de facilitateur, de modérateur et d’animateur », assurait-il.

Ce management alternatif est adopté par nombre d’entreprises : Sun Hydrau­lics, W. L. Gore & Associates, Harley-Davidson ou Morningstar aux États-Unis. Favi, Lippi, SEW-Usocome, Bretagne Ateliers ou encore Groupe Hervé en France sont les exemples les plus couramment cités. Ces expériences suscitent une curiosité croissante. Le mois dernier, les éditions Afnor ont publié Et si vous rendiez votre entreprise intelligente ? , de Marine Auger, professeure à l’Essca et au Cnam. L’auteure défend l’idée qu’un « management démocratique » permet de briser les carcans ainsi que les absurdités administratives et culturelles qui « lestent les entreprises et découragent les meilleures volontés ». Éric Albert, le fondateur de l’Institut français d’action sur le stress, valorise la « collaboration » entre les salariés dans Partager le pouvoir, c’est possible (éditions Albin Michel, voir page 71). Pour sa part, Isaac Getz (voir l’encadré), professeur à l’ESCP Europe, a publié avec Brian M. Carney Liberté & Cie (éditions Flammarion, 2013). Il y décrit la philosophie de patrons visionnaires qui ont « libéré » leur entreprise en traitant leurs employés en adultes responsables, capables de prendre des initiatives.

Parler de « philosophie » n’est pas exagéré pour caractériser ce management alternatif. Sous-traitant automobile spécialisé dans la fonderie sous pression d’alliage cuivreux, Favi SA est installé à Hallencourt (Somme). L’entreprise est organisée suivant des principes et des valeurs « simples ». La direction considère que l’ouvrier, sachant parfaitement régler sa machine et se contrôler lui-même, n’a besoin ni de régleurs ni de contrôleurs. « L’être humain est intrinsèquement bon, seuls 3 % des individus ne sont pas sérieux, assène Jean-François Zobrist, le P-DG historique de Favi, aujourd’hui à la retraite. Dès lors, chacun peut faire ce qu’il veut à condition de servir les intérêts d’un client interne ou externe. Si ce principe n’est pas respecté, il est viré. » De même, employer jusqu’à 30 % de l’effectif en cadres, chargés de vérifier la qualité du travail de ceux qui créent de la valeur ajoutée, est considéré comme irrationnel. « Cela coûte plus cher que de faire confiance au professionnalisme des salariés. Sans compter que l’accumulation de responsables hiérarchiques crée des baronnies et empêche les ouvriers de prendre des décisions au bon moment », poursuit-il.

Favi est organisé en « miniusines » affectées à un client. Une trentaine d’ouvriers y travaillent de façon autonome et ont coopté un des leurs comme « leader » pour coordonner leur action. Jean-François Zobrist, qui a résumé sa philosophie dans Comment un petit patron naïf et paresseux innove ! (éditions Stratégie & Avenir, 2010), défend aussi l’idée d’un « rêve partagé et d’un objectif commun » ainsi qu’un principe de stricte égalité en matière de compléments de salaire. Personne n’a de prime individuelle, pas même le patron ou les commer­ciaux. Le montant de l’unique prime existante est identique pour tous et calculé sur les résultats de l’entreprise.

PROCESS TROP RIGIDES

Chez Favi, ces règles donnent des résultats intéressants. Dans un secteur hautement compétitif, l’entreprise emploie 500 personnes et exporte un tiers de sa production jusqu’en Chine. Pas surprenant pour Hervé Saint-Aubert, associé du cabinet CC International. « Les entreprises ont besoin de se libérer de leurs process de décision trop rigides. La plus grande partie des directions générales des entreprises cotées craint tant les effets de la moindre prise de risque sur les actionnaires et les marchés qu’elle contrôle tout. Certains directeurs d’usine ont quatre reportings par mois et n’ont pratiquement pas le temps de rencontrer les clients et encore moins d’anticiper leurs besoins. » Olivier d’Herbemont, président du cabinet Belle Aventure, ajoute que cette situation absurde est renforcée par la mentalité d’une grande partie des cadres supérieurs. « Les élites sont considérées comme plus intelligentes. Les autres doivent se contenter d’exécuter. Or chacun doit changer de posture pour retrouver de la souplesse de fonctionnement et faire d’un projet de transformation un objet de désir que l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise va s’approprier. »

Se convertir au management démocratique n’est pas chose aisée, notamment dans les grandes entreprises. Révolution organisationnelle ou simple réduction de la masse salariale Auchan France a présenté la nouvelle phase de son plan de modernisation au comité central d’entreprise le 30 janvier. L’encadrement des 120 magasins sera réduit de 800 postes d’ici à 2016, tandis que 500 postes d’employés libre-service devraient être créés. Le chef de rayon devient « manager commercial » et le chef de secteur se change en « responsable commercial ». Mais, pour l’heure, les élus s’interrogent, car la direction ne précise pas ses objectifs concernant l’évolution du mode de management.

Employer 30 % de cadres pour vérifier la qualité du travail est considéré comme irrationnel
ÉQUIPES AUTONOMES.

Or c’est l’écueil principal d’un passage vers une « libération réussie », comme le prouve l’expérience menée par Christophe Mistou, ancien directeur commercial chez Castorama. Constatant la difficulté de son service à anticiper les évolutions de la demande, il met en place en 2012 un management inspiré de l’Holacracy. Né aux États-Unis, ce système de gouvernance est très semblable à celui des « entreprises libérées ». « Il réorganise l’entreprise en mini­équipes autonomes qui disposent de deux modes de prise de décision, explique Bernard Marie Chiquet, du cabinet IGI Partners. La réunion de gouvernance et la réunion opérationnelle hebdomadaire ou quotidienne debout. L’objectif est d’aboutir à une prise de décision s’accompagnant de zéro objection argumentée, suivant l’importance des problèmes à traiter. »

Une fois la nouvelle organisation mise en place, le service commercial est devenu très agile et réactif. Mais les velléités de généralisation sus­citent des remous en interne. « Un document prévoyait la suppression de 1 157 emplois de cadres, explique Jean-Paul Gathier, délégué syndical central FO chez Casto. Sans pour

Quels sont les possibles écueils ?

L’exigence de sortir du rôle de prescripteur et de contrôleur pour se mettre au service de leur équipe risque de créer des réticences de la part des managers qui peuvent y voir une perte de sens. Ils doivent être accompagnés. Certains salariés, habitués à obéir, peuvent avoir du mal à assumer des responsabilités. Le dirigeant doit devenir le garant de la nouvelle culture et de sa cohérence. Il doit aussi rester vigilant pour éviter les retours en arrière.

Propos recueillis par Éric Béal

Auteur

  • Éric Béal