logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

Les services adoptent le 24 heures sur 24… leurs salariés aussi

Vie des entreprises | ZOOM | publié le : 01.10.2000 | Anne Fairise

Il est roi, le client. Faire ses emplettes après une émission de téléachat, parler avec son banquier, se faire expliquer le fonctionnement de son portable, c'est désormais possible de jour comme de nuit. Mais cela suppose qu'à l'autre bout du fil il y ait des salariés prêts à répondre ou à intervenir. Avec Internet et le commerce en ligne, les horaires de travail atypiques se banalisent.

Banque directe se porte bien, merci. Voilà le message que la première banque française sans guichet – le seul établissement pour particuliers proposant le service de conseillers 24 heures sur 24 et 6 jours sur 7 – a tenu à faire passer à la rentrée. À l'appui de sa démonstration, des chiffres qui dament le pion aux détracteurs de ces banques virtuelles qui ne voient jamais leurs clients. Un handicap, la relation par téléphone ou par messagerie électronique ? Preuve que non : Banque directe totalise 75 500 clients en 1999 (+ 31 %) et espère avoir convaincu 200 000 clients fin 2002 grâce à l'« effet Internet ». Principal argument commercial mis en avant par la banque, le service de nuit ne contribue guère à ce succès. « On peut le considérer comme relevant du budget marketing », concède Anita Scognamiglio, responsable du département clients. Pas question, toutefois, de le supprimer, malgré le nombre « marginal » de clients nocturnes : une poignée d'insomniaques, des « gens ayant besoin de parler », quelques expatriés.

Évoquée dès les premiers mois du lancement, l'idée d'un abandon a vite été oubliée. Trop difficile à gérer en termes d'image quand on a fait du « 24/24 » son fer de lance. Encore moins envisageable à l'heure de l'« internautisation », nouvel axe de développement de Banque directe. Car, de 22 heures à 7 heures, les deux ou trois permanents de nuit perdus sur le vaste plateau où s'agitent en journée jusqu'à 70 conseillers ne chôment pas. Il y a d'abord les appels téléphoniques jusqu'à minuit ou 1 heure. Plus tard, ils répondent aux e-mails, en augmentation, prenant ainsi le relais de l'équipe de jour sur les nouveaux « contacts clients ». Un travail plus gratifiant que les tâches administratives (changements d'adresse) qu'ils effectuaient auparavant. « Leur métier s'est enrichi. Ils sont davantage commerciaux que preneurs d'ordres. D'autant que les e-mails exigent des réponses de plus en plus techniques », commente Hervé Gimenez, DRH de cette filiale de BNP-Paribas (200 salariés), qui voit arriver sans inquiétude l'armée des concurrents : Zebank pour LVMH, Triomphe Online pour Fortis, I-Banque pour les AGF ou le Crédit lyonnais… Pas d'inquiétude, donc. Mais cette pression pourrait inciter Banque directe à ouvrir le dimanche. « Nous avons peu de contacts clients le dimanche, mais si la concurrence s'y met… Nous en avons déjà parlé avec les syndicats », reconnaît Hervé Gimenez. Non sans rappeler qu'« une banque virtuelle sans présence humaine ne peut s'imposer. N'oublions pas qu'il s'agit de confier son argent ».

Fleurs et coiffeurs à toute heure

Un pas de plus vers le 24/24, 7 jours sur 7 que rallient un nombre croissant d'entreprises de services… et donc de salariés ? Il y a longtemps que les secteurs où la continuité garantit la sécurité et la santé – hôpitaux, transports, police, services de veille – ne sont plus seuls à fonctionner non-stop. Commerces alimentaires, fleurs et même coiffeurs : à Paris, par exemple, on peut trouver de tout et à toute heure. Particularités de la capitale, d'accord. Reste qu'aujourd'hui les banquiers sont loin d'être les seuls interlocuteurs joignables 24 heures sur 24. Se faire expliquer les spécificités d'un portable, régler avec un technicien un problème de connexion à Internet, se renseigner sur la composition d'un yaourt Danone, discuter couleur et taille avec la conseillère d'une émission de téléachat, commander un billet d'avion, à toute heure du jour ou de la nuit, c'est possible.

Des clients insomniaques

« Les entreprises s'engagent souvent sur la voie des horaires décalés pour des raisons de marketing, sans qu'il y ait de réelle demande du côté des consommateurs. Celle-ci émerge depuis cinq, six ans, souvent amplifiée par le tapage marketing. Mais elle reste peu importante et certainement pas axée sur le 24/24 », indique Yvan Béraud, du Bétor Pub, le syndicat CFDT qui suit les centres d'appels. Un secteur qui emploie actuellement 150 000 salariés dans l'Hexagone pour faire du télémarketing, du téléconseil, vendre des produits et des services par téléphone ou répondre aux appels.

Réputés pour la flexibilité de leurs horaires et de leurs salariés, les call centers sont en première ligne en matière de service ininterrompu. C'est chez eux que les entreprises externalisent ou font relayer leur service après-vente, c'est à eux qu'elles confient leur hot line ou la gestion de leur numéro vert. Le 24/24 n'y est certes pas encore une vague déferlante, parcequ'il achoppe sur la forteresse du dimanche (voir encadré, page suivante) et exige un investissement important pour des gains tout relatifs. Mais il se développe à son rythme, au nom de la concurrence ou de la religion du client roi, avec, en corollaire, des conditions de travail souvent difficiles pour les salariés.

0 h 45-3 heures du matin, voilà les horaires suivis pendant un an et demi par cinq téléopérateurs, des jeunes femmes et des étudiants, chez Convergis. Leur mission ? Prendre les commandes des téléspectateurs suivant une émission tardive de téléachat sur le câble. « Des insomniaques ou des gens travaillant de nuit », explique le responsable. L'été a sonné le glas de ce service jugé finalement « trop cher » par le client. Chez Sykes France (Essonne), l'inquiétude est montée pendant la période estivale parmi les 200 salariés du centre. « Jusqu'à présent, nous avions réussi à préserver des tranches horaires classiques. Mais il est question de recruter une centaine de personnes pour ouvrir un service 7 jours sur 7 réclamé par un fournisseur d'accès à Internet. Les premiers contrats ont été signés alors que la direction n'a pas encore demandé l'autorisation de travailler le dimanche. Les autres salariés ont peur que ce soit la porte ouverte à une banalisation des horaires atypiques », explique une syndicaliste CFDT. Le répit aura donc été de courte durée. L'année dernière déjà, durant six mois, conformément au souhait d'un site de commerce spécialisé dans la lingerie féminine, Sykes France avait exigé des téléopérateurs de rester jusqu'à 23 heures pour recueillir les commandes des internautes. Mais, devant le peu d'appels, le client a fini par revoir ses exigences : présence des téléopérateurs jusqu'à 20 heures, et pas davantage.

Seul en ligne de 21 h à 7 h

« Les conditions de travail, la nuit, sont parfois limites », explique Nicolas, 31 ans, téléopérateur chez France Télécom Mobiles Services. Il n'était pas volontaire pour le service de nuit, mais c'est la seule tranche horaire qu'on lui ait proposée, d'abord en intérim. Chômeur, il n'a pas hésité et admet qu'il y a « certains avantages ». Une hiérarchie allégée, une rémunération majorée du fait des horaires atypiques (6 800 francs net pour 35 heures hebdomadaires) et un rythme moins soutenu qu'en jour née avec « 80 appels par nuit dans les pires moments ». Un rythme moins soutenu… quand les effectifs suivent. Ce n'est pas toujours le cas. « Dans le service, nous étions deux à travailler la nuit. Mais en cas de congé ou de maladie, le remplacement n'était pas toujours assuré. » Résultat ? Une nuit de décembre 1999 il s'est retrouvé seul pour répondre, de 21 heures à 7 heures, aux abonnés en quête de renseignements sur le fonctionnement de leur portable. « Fatigué », il a fait des convulsions pendant ses heures de travail. « Je ne sais pas combien de temps je suis resté inanimé. Selon la direction, le gardien m'a retrouvé tout de suite. J'en doute. Quand je suis revenu à moi, il y avait sur le sol du sang complètement coagulé », explique le téléopérateur, qui a rejoint depuis le service de jour à la demande expresse du médecin du travail.

Le manque d'effectifs, c'est aussi ce que déplorent les salariés de Timing, le centre d'appels gérant les renseignements téléphoniques pour SFR. Le syndicat CFDT réclame d'ailleurs 25 % d'effectifs supplémentaires le week-end, de jour comme de nuit. « Avec la croissance permanente du nombre d'abonnés, la direction a beaucoup de mal à prévoir les flux d'appels. Il y a souvent des pics le week-end, jusqu'à 2-3 heures du matin, et nous sommes vite débordés. Parfois, il y a plus de 20 appels en attente… », commente Jacques, 32 ans, par ailleurs intermittent du spectacle.

Reste que c'est dans le service de nuit que le turnover est le plus faible. De plus, « il n'y a jamais de problèmes pour assurer les remplacements ». « Au contraire, il y a plus de demandes que de possibilités », constate un syndicaliste. Explication : les rémunérations majorées pour ces heures atypiques sont très prisées par les salariés. « On peut souvent poser la question de l'opportunité des services fonctionnant en continu. Mais certains salariés y trouvent des contreparties. Les équipes fixes, le week-end ou la nuit, correspondent à une demande, par exemple des étudiants, nombreux dans les centres d'appels. Mais nous sommes opposés à la mise en place d'équipes alternantes fonctionnant en 3 x 8 », commente Yvan Béraud, du Bétor Pub.

Chez Transpac, dans les trois centres de support clients, il n'existe pas de précaires. Pourtant, les syndicats de cette filiale de France Télécom sont tombés des nues en prenant connaissance des horaires des 150 techniciens de maintenance travaillant non-stop. Contrairement à ce qui se passe chez Timing ou Banque directe, l'organisation des services en équipes fixes n'a pas cours ici. « Ces services de nuit se sont mis en place progressivement et les horaires ont souvent été négociés directement entre la direction et les salariés. Ils travaillaient sans respecter les temps réglementaires. Mais les salariés ne se sont jamais plaints, les majorations horaires pouvant représenter jusqu'à 25 % du salaire en plus », commente Laurent Bedu, de la CGT.

Internet met la pression

À la suite de la signature d'un accord RTT, la direction vient pourtant d'entreprendre une remise à plat complète. Elle a décidé de rentrer dans les clous. Sa proposition ? Un horaire de référence de 32 heures, le plus possible de vacations de jour, une durée maximale de dix heures travaillées consécutivement et onze heures de durée minimale de repos entre deux vacations… C'était loin d'être le cas jusqu'alors. Exemple d'emploi du temps d'un technicien exploitant : prise de poste le mercredi à 6 h 50 jusqu'à 12 h 30, rebelote le soir même, de 19 h 50 jusqu'au lendemain 7 heures…

Outre le développement des centres d'appels et autres services de maintenance, c'est l'invasion d'Internet qui risque de bouleverser le plus radicalement horaires et conditions de travail. Premières à sentir la pression : les sociétés de services aux entreprises dans la maintenance ou la sécurisation. Un site de commerce en ligne en panne, c'est d'éventuels clients perdus… « Depuis un an, les entreprises nous demandent de plus en plus une mise à disposition de nos techniciens à des horaires atypiques, via un système d'astreintes téléphoniques, pour intervenir immédiatement, en sus de leurs équipes internes, en cas de panne ou d'intrusion de hackers », explique Fabrice Frade, directeur technique chez Neurocom, spécialiste parisien de l'intégration de solutions de sécurité (160 salariés) qui réalise 50 % de son chiffre d'affaires avec le secteur bancaire. Les demandes deviennent telles que la société envisage aujourd'hui de créer un service fonctionnant sans interruption.

À l'heure où l'on peut consommer à tout moment, la rapidité de livraison devient aussi un enjeu. Les exemples se multiplient. Amazon, l'un des pionniers du commerce électronique américain, arrive en France. La Fnac riposte. Et qu'annonce le leader français de la librairie en ligne ? La livraison en 24 heures, au lieu de 48 heures comme précédemment, des 100 000 titres les plus demandés. DHL propose déjà, dans ses « services plus », l'enlèvement et la livraison à toute heure…

Une présence pas indispensable

Le développement du commerce en ligne, les salariés d'Intégris, filiale de Bull spécialisée dans l'infogérance, commencent très concrètement à en mesurer les effets. Fin août, en pleine négociation sur la RTT, la direction a posé de nouvelles exigences. « On nous a annoncé qu'Intégris allait faire du Web hosting et installer un service de grande disponibilité pour les sites Internet. Alors elle souhaite introduire le travail 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, sur la base du volontariat. On ne sait pas combien de salariés seront vraiment concernés. Mais la direction a évoqué 20 % des effectifs, soit 120 personnes actuellement », souligne Norbert Raffolt, représentant de la CFDT au sein de l'intersyndicale (comprenant la CGT et la CGC), totalement opposée à cette initiative. C'est devenu, en septembre, un point de blocage dans les négociations RTT. « Il est possible d'offrir une disponibilité 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, en améliorant les équipements ou en renforçant le système d'astreintes téléphoniques pour les techniciens, comme c'est déjà la tendance ces dernières années », commente l'intersyndicale, pour qui « une présence humaine en 24/24 n'est pas indispensable ». « Jusqu'ici, on a toujours réussi à l'éviter. » Pour combien de temps ?

Le tabou du dimanche

Il est plus facile pour les entreprises de services de faire travailler leurs salariés 24 heures sur 24 que 7 jours sur 7.

Le droit du travail ne prévoit pas d'autorisation administrative préalable pour la mise en place de services 24/24. Mais cette autorisation est obligatoire pour transformer le dimanche, jour de repos obligatoire, en jour ouvrable. Pour cela, il faut obtenir une dérogation de la préfecture. Pas évident. D'autant que « les dérogations ont un caractère ponctuel, hormis pour les professions qui ont le droit de travailler le dimanche, comme l'hôtellerie et la restauration », note un inspecteur du travail.

D'où, parfois, des arrangements avec la loi. Des entreprises externalisent les horaires atypiques chez des sous-traitants moins soucieux de la réglementation.

« Certains centres d'appels profitent du fait qu'ils comptent parmi leurs clients une entreprise des télécoms, autorisée à faire travailler ses salariés en 24 heures sur 24 ou 7 jours sur 7, pour étendre cet avantage à d'autres clients », commente le Bétor Pub, syndicat CFDT de la branche. Autre menace sur le dimanche : certains pays européens sont moins sévères que la France en matière de travail dominical. La mondialisation devient un argument fort pour les employeurs. C'est le cas chez Intégris, filiale de Bull, où les horaires du Centre de télésupport (CTS), spécialisé dans la maintenance informatique, ont été à la rentrée un âpre sujet de discussions dans le cadre des négociations RTT.

La raison ? Le principal client du CTS, un grand de l'ameublement d'origine nordique, demande l'ouverture du centre le dimanche, jour ouvrable pour ses magasins en Grande-Bretagne et en Espagne. L'intersyndicale CFDT, CGT, CGC, longtemps « réticente » à l'idée, a fini par l'accepter, mais en posant des « verrous ». Ses exigences ?

La limitation du travail dominical aux seuls salariés travaillant pour ce client et de sérieuses compensations horaires dans le cadre de la RTT. Reste à obtenir l'autorisation préfectorale.

Auteur

  • Anne Fairise