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Vie des entreprises

Bonus social pour IMA, malus pour Europ Assistance

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.10.2000 | Marc Landré

Leader sur le marché français, Inter Mutuelles Assistance distance aussi le pionnier du secteur, Europ Assistance, sur le terrain social. Salaires, dialogue social, organisation du travail : IMA se distingue de son concurrent, même si l'activité est aussi stressante sur ses plateaux téléphoniques, où les salariés font face jour et nuit aux situations d'urgence.

Treize heures, le lundi 7 août, sur une petite route de montagne, au cœur de la Chine. Éric et Olivier, deux étudiants de 22 ans, montent dans un vieux bus. Direction Chengdu, à 200 kilomètres de là. En cours de route, le chauffeur fait une fausse manœuvre et son engin verse dans le fossé. En quelques secondes, le bus s'enflamme. Éric et Olivier, réveillés par le choc, brisent une vitre, sautent du car et plongent dans une rivière pour éteindre le feu qui embrasait leurs vêtements. Alerté deux jours après l'accident, le père d'Éric, un instituteur qui a souscrit auprès de la Maif une assurance rapatriement, prévient Inter Mutuelles Assistance (IMA), l'assisteur de la mutuelle niortaise. Devant l'ampleur des blessures des deux jeunes garçons, le médecin de garde au siège d'IMA décide de les rapatrier en France. Il affrète un Falcon 50 à l'aéroport du Bourget avec, à bord, deux médecins anesthésistes réanimateurs, deux infirmiers et un important stock médical. Dix heures après l'appel du père d'Éric, l'avion décolle pour Chengdu. Deux jours plus tard il en revient, et les deux étudiants peuvent enfin être évacués vers le service des grands brûlés de l'hôpital de Clamart. Mission accomplie.

Cette opération de sauvetage est le lot quotidien des sociétés d'assistance. Le rôle de ces nouveaux pèlerins du secours international : venir en aide à leurs clients, n'importe où dans le monde et à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. Que ce soit pour un accident corporel, une panne de voiture ou même un problème de garde d'enfant. En France, elles sont une dizaine à se partager un marché de quelque 4 milliards de francs. La plus connue reste le groupe Europ Assistance, qui a inventé le métier de l'assistance en 1963 et qui est aujourd'hui le leader mondial du secteur avec 115 millions de clients dans le monde. Mais sa filiale historique, Europ Assistance France (EAF), basée à Gennevilliers, voit sa part de marché (15,4 %) décroître au fil des ans.

Plus préoccupé d'étendre son empire que de défendre ses positions, le numéro un mondial s'est fait dépasser sur sa terre d'origine. Il ne pointe plus qu'en troisième position. Juste derrière Axa Assistance et loin derrière IMA, société créée en 1981 par trois mutuelles niortaises (Maaf Assurances, la Macif et la Maif). Celle-ci détient aujourd'hui 24 % du marché français, avec 15 millions de clients. Sa puissance, IMA la tire d'abord de ses actionnaires – outre les trois mutuelles fondatrices, la Matmut, la Smac, la Mapa, la SMACL, l'AGPM, la MAE, l'AMF et la Maif Filia –, dont elle est l'assisteur obligé. Mais aussi des grandes entreprises privées (45 % de son chiffre d'affaires) qui souscrivent des services d'assistance pour leurs salariés ou leurs clients. Des poids lourds comme le groupe de prévoyance néerlandais P & V, le constructeur PSA (Peugeot-Citroën) – « Peugeot Assistance, en vérité, c'est nous », se plaît-on à dire en interne – ou la société américaine Hewlett-Packard, pour laquelle IMA gère toute la hot line. « C'est notre ouverture aux personnes morales qui nous a permis de devenir les premiers du marché », explique le bouillant Yves Mora, directeur général d'IMA depuis plus de dix-huit ans.

Une liste à la Prévert

Situation radicalement différente pour Europ Assistance France. La pionnière a longtemps fait ses choux gras des adhésions des particuliers (50 % du portefeuille il y a vingt ans encore). Mais les entreprises, les compagnies d'assurances, les groupes automobiles ou les institutions financières représentent désormais 85 % du chiffre d'affaires. Il n'en reste pas moins que les quelque 600 services offerts aux particuliers forment encore, selon Michel Moulin, directeur adjoint des opérations, une « liste à la Prévert », où l'on trouve une assistance pour des séjours à la montagne, des conseils vétérinaires, des traductions pour les PME, une aide à la recherche d'emploi… Et peut-être même, dans les prochains mois, une assistance sépulture pour ceux qui se retrouvent dans l'incapacité d'entretenir les tombes de leurs proches !

Clientèle d'entreprises ou de particuliers, l'équation est la même pour IMA et EAF. Dans cette course de vitesse pour apporter des secours, les centres d'appels sont le nerf de la guerre. La moitié du personnel d'EAF est composée de « chargés d'assistance », appelés « techniciens d'assistance » chez IMA, dont la tâche consiste à réceptionner et à gérer les appels des clients. Ce sont eux qui doivent trouver dans leur base de données le prestataire le plus à même d'intervenir : garagiste, ambulancier, plombier, juriste ou loueur de voitures. Exception faite des cas de rapatriement médical, où la décision incombe au médecin régulateur de garde, qui détermine les suites à donner au dossier.

Dans ce back-office, le travail n'est pas de tout repos. Chantal Surget, DRH d'IMA, souligne que le stress ambiant est largement alimenté par les faux appels, les blagues téléphoniques et autres coups de fil obscènes et injurieux : « Certains jours, nous avons 90 % de faux appels. » Ainsi, une nuit, un harceleur téléphonique se faisant appeler « Petit Oiseau », en raison de la taille de son organe, a contacté plus de 300 fois les techniciens du plateau Peugeot Assistance. Une assistante est parvenue à lui fixer un rendez-vous dans un bar, où il a été cueilli par la police. « En donnant notre nom au téléphone, nous ne savons pas si notre interlocuteur ne va pas nous attendre à la fin du service », s'inquiète cette nouvelle recrue d'EAF.

Enchaîner les appels en gardant son sang-froid n'est pas non plus chose aisée. « Difficile de rester calme quand un automobiliste se lamente parce qu'il est tombé en panne alors que, cinq minutes auparavant, on a organisé le rapatriement d'un enfant décédé », avoue Chantal Legris, technicienne chez IMA depuis 1982 et déléguée CGT du personnel. « Trois à cinq ans constituent une bonne moyenne pour exercer un tel métier », reconnaît Séverine Pouget, responsable du recrutement à EAF, impatiente de voir arriver le mois prochain le successeur du précédent DRH parti en juin.

Pour évacuer le stress de leurs salariés, les deux sociétés d'assistance ont chacune leur méthode. Plus attentive, IMA propose à ses opérateurs de s'évader en organisant des échanges avec ses filiales (en Italie, en Espagne et en Allemagne) ou de partir sur le terrain rencontrer, contrôler et recruter les prestataires de la société. « Ils passent aussi trois mois dans le centre de gestion où l'on vérifie les factures lorsque le prix à payer au prestataire est supérieur au devis établi par l'ordinateur », ajoute Chantal Surget. EAF envisage pour sa part la création d'une cellule de gestion du stress, mais n'a pas de système d'échange de salariés avec les 23 autres filiales du groupe. « Nous avons très peu de liens avec nos collègues étrangers, remarque Séverine Pouget. Certains services, comme la gestion ou l'informatique, commencent à se rapprocher, mais cela ne concerne pas encore les ressources humaines. »

EAF à 35 heures depuis 1982

Si les deux sociétés sont à 35 heures par semaine – EAF a été pionnière en la matière puisque son accord RTT date de 1982 –, c'est le jour et la nuit en termes d'organisation du travail. Chez IMA, les techniciens tournent sur tous les plateaux (assistance médicale, automobile, habitation…) alors que chez sa concurrente de Gennevilliers, la rotation est moins fréquente et les opérateurs plus spécialisés. Europ Assistance dispose d'équipes de jour, présentes de 8 heures à 23 heures, et d'une équipe généraliste de nuit, dite permanence, en place de 20 h 30 à 8 heures. En contrepartie de leur travail nocturne, les permanenciers n'effectuent qu'une dizaine de vacations par mois et touchent, selon leur responsable, entre 15 000 et 19 000 francs brut. Un traitement particulier réservé à une élite volontaire. « Il faut trois à quatre ans de pratique sur les plateaux de jour pour passer à la permanence », explique Séverine Pouget. « Les techniciens doivent être autonomes car ils n'ont pas de chefs avec eux, complète Philippe Forestier, délégué du personnel CFDT. Ils sont seuls face aux demandes des clients. C'est une énorme responsabilité qui se rémunère. »

Chez IMA, pas de privilèges ni de jalousie. Depuis 1982, juste après l'arrivée d'Yves Mora à la tête de la société, tout le monde travaille la nuit. « Le système de permanence avait engendré des castes, explique-t-il. Il y avait les bons qui faisaient le sale boulot la nuit et les mauvais qui se tournaient les pouces le jour. » Mais tant à IMA qu'à EAF, les salariés à temps complet (25 % des opérateurs en moyenne) échappent de facto aux horaires atypiques. Ils ne travaillent que quatre jours par semaine et ont droit à un pont de cinq jours tous les mois côté EAF. Chez le concurrent niortais, ils ne font pas de nuits et passent leurs week-ends et leurs jours fériés en famille. Pour Florence Debowski, représentante maison de SUD, « les temps partiels [qui effectuent tous des horaires atypiques] ont été les grands perdants de l'accord de RTT à IMA ».

Des vacations qui s'enchevêtrent

Avec l'alternance des équipes de jour et de nuit, l'organisation du travail reste classique chez EAF, alors qu'elle relève du casse-tête chinois à IMA. « Notre organisation est marginale et surtout très originale », ironise Chantal Legris, de la CGT. Une journée de travail comporte une cinquantaine de vacations (plages horaires de sept heures vingt minutes, contre huit heures quarante-cinq chez EAF) qui s'enchevêtrent. Toutes débutent à une demi-heure d'intervalle et comportent le nombre de techniciens estimé optimal pour répondre à la demande. Les plannings sont établis chaque mois et définissent pour chaque technicien le nombre de vacations à effectuer. Bref, une organisation tournante et évolutive. « Ce système n'est pas toujours très bien vécu, rapporte Chantal Legris. Il n'est pas évident pour un couple de trouver des nounous qui acceptent de garder des enfants jusqu'à 23 h 30 et à des horaires différents d'un mois à l'autre. Pour certains, c'est un calvaire. »

En dépit d'une organisation plus simple, c'est paradoxalement chez EAF que les tensions sociales sont les plus fortes. « Notre système est au bord de l'implosion, explique Philippe Forestier, de la CFDT. La tension est telle que la direction va être obligée de revoir complètement l'organisation du travail. » Explication de Force ouvrière : « Les techniciens doivent faire du chiffre. Ils ne doivent plus rendre un service mais répondre vite au téléphone et enchaîner les appels. Si bien que les chefs contestent aujourd'hui leurs temps de pause. »

Résultat, le 31 janvier dernier, EAF a connu sa première grève sur les plateaux d'assistance depuis 1990. Ce mouvement, lancé à l'appel de FO (majoritaire aux dernières élections avec plus de 50 % des voix), aurait été suivi par 75 % des opérateurs, selon le syndicat, mais par seulement 40 % selon la direction. « Nous n'avons pas vraiment eu peur, affirme Séverine Pouget. Les cadres sont allés sur les plateaux pour répondre au téléphone et nous avions établi un planning de secours au cas où la grève aurait duré une semaine. » Bénéficiant d'un meilleur climat social, IMA n'a pas connu de grève depuis 1984. « Nous n'avons pas chez nous de problèmes sociaux, reconnaît la cégétiste Chantal Legris. Nous réclamons juste la prise en compte des situations individuelles dans nos plannings et une meilleure conciliation entre vie privée et vie professionnelle. » Sentiment identique chez SUD : « Il y a bien quelques problèmes à régler mais aucun n'implique que les techniciens se mettent en grève. »

Si la situation est aussi tendue chez EAF, c'est que certains salariés ont le sentiment d'avoir été sacrifiés sur l'autel de la rentabilité. « La productivité a augmenté de 50 % en deux ans sur les plateaux d'assistance, dénonce-t-on à la CFDT. Il est normal que les actionnaires récupèrent la majeure partie des gains générés, mais les salariés, qui les ont réalisés, doivent obtenir quelque chose en retour. » FO enfonce le clou : « Nous sommes très mal payés ici. Dès qu'on parle augmentation de salaire, la direction nous répond que ce n'est pas le moment et qu'Europ Assistance est un groupe qui rémunère très bien ses salariés. »

Peu de revendications salariales

Séverine Pouget situe la rémunération moyenne entre 8 500 et 10 000 francs brut par mois pour un chargé d'assistance à temps complet – entre 6 500 et 7 500 francs pour un opérateur à cent heures par mois. Pas de quoi pavoiser. Toutefois, la responsable du recrutement précise que les salaires sont versés sur quatorze mois (contre treize chez IMA), que les temps partiels ont une rémunération relevée de 15 % et que tous les employés bénéficient (en plus de primes d'ancienneté, de la participation et de l'intéressement) d'une mutuelle avantageuse, de réductions sur les contrats EA et sur les produits des deux actionnaires du groupe (Generali et Fiat). Quant aux saisonniers (260 recrues chez EAF et 400 chez IMA), pour l'essentiel des étudiants appelés en renfort entre juin et septembre, période la plus chargée de l'année, ils travaillent à temps complet et touchent le smic plus une prime de 15 %.

Chez IMA, en revanche, direction et syndicats s'accordent à reconnaître que les salariés sont bien rémunérés. « La revendication salariale est loin d'être notre priorité », confirme Chantal Legris, de la CGT. Un saison nier touche 15 000 francs net pour deux mois de travail à 80 % ; les techniciens à 70 % (équivalant aux cent heures par mois chez EAF), 10 600 francs brut ; et les salariés à 100 %, 13 000 francs. Soit, dans tous les cas, plus qu'à EAF. Le niveau élevé de ces rémunérations résulte des primes versées pour les vacations exceptionnelles, effectuées en soirée (+ 80 %), les week-ends (+ 63 %) et les jours fériés (+ 100 %). Grâce à elles, un technicien embauché à 40 % à IMA émarge à 7 000 francs net par mois, selon Chantal Legris. Ce qui lui semble normal, puisque les temps partiels travaillent le plus souvent en horaires atypiques. Seul bémol, apporté par SUD, à ce satisfecit : « Il n'y a pas de nombre minimal de vacations exceptionnelles garanti par contrat. Or la perte des primes qui leur sont liées peut entraîner une baisse de revenus de 7 000 francs sur l'année. »

Le conflit salarial du début de l'année à EAF est révélateur de l'absence de dialogue en interne. Les relations avec la direction sont plutôt mauvaises et distendues. À écouter les syndicats, Hervé Dumesny, directeur général de l'entreprise depuis avril 1999, évacue les problèmes sans en prendre note. « Il prétexte l'absence de DRH pour ne pas entamer de négociations sur l'organisation du travail et les salaires », dénonce FO. Certaines discussions, bien avancées avant l'été, ont même été suspendues dans l'attente de l'arrivée du prochain DRH.

Quant aux représentants des syndicats majoritaires (FO et CFDT, 90 % des voix à eux deux), ils se détestent et ne manquent pas une occasion de le rappeler. « La haine que nous porte FO n'a d'égale que celle que nous lui portons », déclare-t-on à la CFDT. « Il y aura unité syndicale lorsque la CFDT aura disparu de l'entreprise », réplique-t-on à FO.

Chez IMA il y a bien sûr quelques querelles de paroisse. La CFDT a perdu plus de 30 % de ses voix en juin au profit de SUD, emmené par une dissidente cédétiste. Mais les rapports, tant entre syndicats qu'entre syndicats et direction, restent cordiaux. Tous se connaissent, négocient ensemble depuis dix ans et, surtout, se respectent. Certains soulignent qu'Yves Mora, le directeur général, a « tendance à engueuler ses salariés comme s'ils étaient ses enfants ». Mais les mêmes admettent qu'il « est aussi très humain et très proche de ses salariés en cas de coup dur ».Comme en période de crise. Toutefois, à l'aune des primes accordées, Europ Assistance a mieux récompensé qu'IMA ses salariés pour les efforts consentis après les tempêtes de fin d'année dernière (voir encadré page précédente).

Tempête sur l'assistance

Toits envolés, vitres brisées, véhicules retournés, forêts dévastées, routes défoncées : si le pays a été mis à rude épreuve par les deux tempêtes qui ont traversé la France le 27 et le 28 décembre 1999, les sociétés d'assistance ont vécu une véritable situation de crise.

Le premier jour, IMA a ouvert près de 6 000 dossiers et enregistré plus de 80 000 communications téléphoniques. Soit le double de ce que connaît l'entreprise en plein mois d'août, la période de pointe. Pour sa part, EAF aura traité autant de dossiers les deux premiers jours que lors d'une semaine normale de fin décembre et réalisé, dans la quinzaine, plus de 800 000 francs d'avances de fonds. Du jamais vu pour des entreprises pourtant habituées au pire.

« Nous n'avons jamais connu une telle activité, explique Yves Mora. Nous avons failli être complètement dépassés par les événements. Nous n'avions pas prévu assez de techniciens sur les plateaux et nous avons été obligés de faire revenir les absents et les vacanciers. »

Même son de cloche chez EAF. « Tout le personnel de l'entreprise, cadres compris, s'est mobilisé pour répondre aux appels qui arrivaient en masse sur le plateau d'assistance à domicile », se souvient Séverine Pouget. Une mobilisation pas toujours couronnée de succès. « Le 27 décembre à 8 heures du matin, il n'y avait plus un seul couvreur disponible en France alors que les appels continuaient d'arriver en masse, regrette Yves Mora. Nous avons alors été obligés de nous triturer les méninges pour trouver des solutions de rechange. » Dans les deux sociétés, les salariés ont été remerciés pour leurs efforts par une prime de tempête. Chez IMA, elle s'est montée à 700 francs pour les techniciens déjà présents dans l'entreprise et à 1 300 francs pour ceux qui ont été rappelés. Chez EAF, la direction a été plus généreuse : elle a distribué 2 000 francs à tout le monde, mais au prorata du temps de travail.

Auteur

  • Marc Landré