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Idées

L’apprentissage est-il réellement une priorité ?

Idées | Débat | publié le : 03.02.2014 |

Certes, l’apprentissage n’est pas absent du projet de loi sur la formation professionnelle et la démocratie sociale, qui prévoit une réforme de ses circuits de financement. Mais d’autres mesures, moins favorables à l’alternance, expliquent la baisse du nombre d’entrées en apprentissage.

Michel Abhervé Professeur associé, université Paris Est Marne-la-Vallée.

S’il est un sujet difficile à aborder avec une certaine objectivité, c’est bien celui de l’apprentissage. En effet, nous sommes confrontés à des phénomènes curieux, dont le moindre n’est pas la stagnation des effectifs depuis six ans, avec même une baisse de l’ordre de 10 % pour 2013, alors que les gouvernements successifs, la totalité des conseils régionaux et les acteurs économiques affirment avec force leur soutien à ce mode de formation. Comment expliquer que ne progresse pas une formule très largement plébiscitée ? La première hypothèse est qu’il existe deux apprentissages : un apprentissage qu’on pourrait qualifier de traditionnel, centré sur les premiers niveaux de qualification aux effectifs déclinants, et un apprentissage « moderne », visant des niveaux de formation supérieurs, dont la progression importante masque le déclin de l’autre.Ne visant pas les mêmes jeunes, s’adressant souvent à des secteurs différents, ils ne se sont pas valorisés par un discours générique fondé sur une unification factice.

La deuxième hypothèse tient dans le décalage tant de la communication que des politiques publiques. L’apprentissage souffre de la faiblesse du nombre de postes proposés par les employeurs, ce qui n’a pas empêché le gouvernement précédent de lancer une forte communication pour inciter des jeunes à choisir cette voie, confrontant nombre de ceux-ci à l’impossibilité de trouver un poste. Quant au gouvernement actuel, son souci de réduire la dépense publique l’a conduit à annoncer la suppression des primes aux employeurs alors qu’elles jouent un rôle non négligeable dans la décision d’embauche d’un apprenti. Or, pour un coût sensiblement équivalent, il a conservé une exonération d’impôt sur le revenu pour la rémunération des apprentis qui ne joue qu’un rôle symbolique dans la décision de recours à l’apprentissage. La troisième hypothèse tient dans l’incapacité des partisans de l’apprentissage à affronter une difficulté indéniable : le nombre trop élevé de ruptures de contrat, qui dessert la crédibilité de ce mode de formation. Ses gestionnaires ne sont pas en position de mettre un terme à des pratiques qui conduisent à des échecs déstabilisants. L’apprentissage a besoin de convergences pour se développer. Il est à craindre qu’il soit victime de débats idéologiques pour savoir qui en est le meilleur défenseur.

Pierre-Antoine Gailly Président de la CCI de Paris Ile-de-France.

De réformes invalidantes ou invalidées en projet de loi, ces derniers mois ont semé le doute, sinon sur les intentions, du moins sur la méthode pour valoriser l’apprentissage. Formant 100 000 apprentis par an, le réseau des CCI a toujours cru à une politique ambitieuse en la matière. L’esprit des lois souffle pourtant un vent contraire. La réforme des primes a pénalisé les entreprises et n’est sans doute pas étrangère à la baisse des effectifs des CFA de 3 à 5 % à la rentrée. La réforme du financement de la taxe d’apprentissage, dont une partie des dispositions a été invalidée par le Conseil constitutionnel, risque, si elle est remise sur le métier en l’état, de nuire à la cause. En effet, quand on veut booster l’apprentissage, pourquoi empêcher les entreprises, sans qui le dispositif ne pourrait fonctionner, de flécher leurs financements vers les formations de leur choix ? La diminution de la part de la taxe affectée ne sera pas anodine. Si on a moins de moyens, on doit se résoudre à faire moins.

Enfin, le projet de loi sur la formation professionnelle et la démocratie sociale suscite des interrogations. En élargissant la mission des CFA à l’accompagnement social des jeunes et à l’aide à la recherche d’emploi, le gouvernement prend en compte, à juste titre, toutes les composantes d’un écosystème évolutif. Certes, la rationalisation et la transparence dans la collecte, prévues dans le texte, sont nécessaires. L’organisation proposée pour sa mise en œuvre au niveau régional tient la route. Si les Opca, dont la mission est de gérer les fonds de la formation continue, devenaient collecteurs, il y aurait un regrettable mélange des genres. Pour réussir, l’apprentissage doit reposer sur l’association de toutes les parties prenantes. Or le réseau consulaire est pour l’instant cruellement absent des nouvelles instances de gouvernance de la formation professionnelle. Parce que son engagement montre qu’il est mobilisable, il veut être mobilisé. Comment travailler dans l’intérêt des jeunes en excluant de fait certains de ceux qui mettent leur savoir-faire et leurs moyens à leur service ? Comment entrer dans une logique de contractualisation quand tous ceux qui ont à faire ensemble ne peuvent dialoguer ? La réforme de l’apprentissage n’aura de sens que si elle permet de construire collectivement une offre de formation efficace et de qualité, contribuant à inverser la courbe du chômage.

Jean-Paul Denanot Président de la région Limousin et de la commission formation professionnelle de l’ARF.

L’apprentissage est une voie de formation initiale essentielle dont les régions s’honorent d’avoir la responsabilité. Elle doit être encouragée. L’alternance est une modalité d’enseignement qui doit prendre toute sa place. Elle s’avère gagnant-gagnant pour les jeunes qui découvrent un métier et du sens aux études. Elle est également essentielle dans le modèle économique de l’artisanat et des petites entreprises, permettant la transmission des connaissances et des savoir-faire et le renouvellement des générations. Depuis le transfert de cette compétence, les régions ont su investir pour rénover les CFA et les doter de moyens à la hauteur des enjeux. Outre cet aspect qualitatif, elles ont également joué le jeu de l’augmentation des effectifs, à tous les niveaux de formation. Aujourd’hui, le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi fixe un horizon de 500 000 apprentis en 2017. Pour atteindre ce but, il fallait une réforme afin de simplifier les circuits financiers très disparates, sécuriser les parcours des apprentis et d’améliorer le lien entre l’orientation, la formation et les besoins économiques des bassins d’emploi. C’est chose faite avec le projet de loi, dont les parlementaires auront à débattre au printemps. La simplification et la rationalisation du système de collecte de la taxe d’apprentissage envisagées nous conviennent, même si nous avions souhaité un collecteur unique via l’Urssaf. Il y aura à l’avenir un Octa régional et une vingtaine d’Octa de branche, adossés aux Opca (au lieu des 150 collecteurs actuels). Le législateur prévoit également la transmission par les collecteurs à la région de la proposition d’affectation des fonds libres et une concertation au sein de la nouvelle instance de coordination régionale. Cette disposition devrait permettre une plus grande transparence des circuits financiers de l’apprentissage, même s’il n’est pas évident que tout cela engendre la réduction des inégalités territoriales que nous appelons de nos vœux. Par ailleurs, afin de développer l’apprentissage, nous souhaitons que les collectivités publiques soient clairement impliquées. Sur ce point, nous n’avons pas encore été entendus. Concernant l’amélioration de la pédagogie de l’alternance, les mesures vont dans le bon sens. Elles tiennent compte de la fragilité des publics de niveau 5 qui, on le sait bien, sont les premiers à décrocher.

CE QU’IL FAUT RETENIR

Le Conseil constitutionnel a invalidé, le 29 décembre 2013, le nouveau mode de répartition de la taxe d’apprentissage entre les régions, les centres de formation d’apprentis et les écoles délivrant des formations professionnelles, estimant que celui-ci n’était pas assez encadré.

Le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, présenté en Conseil des ministres le 22 janvier, finalise la décentralisation aux régions des compétences en matière de formation et d’apprentissage et prévoit le passage de 150 à une vingtaine d’organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage.

Ce texte « TGV » sera examiné par le Parlement dans le cadre d’une procédure accélérée, pour une adoption prévue avant le 28 février, en raison des élections municipales.

REPÈRES

0,68 %

de la masse salariale est prélevé pour financer l’apprentissage.

500 000

C’est le nombre d’apprentis visé en 2017 par la réforme de la formation professionnelle, contre 435 000 en 2013.

23 %

C’est la baisse du nombre de contrats d’apprentissage signés au cours des six premiers mois de 2013.