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Une mobilité externe avec possibilité de retour

Dossier | publié le : 03.02.2014 | A.-C.G.

Certains territoires ont mené des expérimentations pour faciliter la mobilité des salariés entre les entreprises. Des dispositifs à présent encadrés par la loi mais qui restent complexes à mettre en œuvre.

C’est un petit dispositif qui ne fait pas de bruit. Pour l’instant. La mobilité externe volontaire sécurisée créée par l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 et repris par la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 va-t-elle conquérir les entreprises ? Sur le papier, le nouvel outil est plutôt séduisant.Il donne un droit de retour dans son entreprise d’origine à un salarié qui serait allé tenter sa chance dans une autre société, histoire de doper son employabilité et sa carrière. « C’est un copier-coller du prêt de main-d’œuvre qui existait déjà dans la métallurgie. On l’a amélioré en ajoutant une corde de rappel », explique Patrick Pierron, négociateur pour la CFDT sur la sécurisation de l’emploi. « L’idée est de rendre le salarié proactif, ajoute Jean-François Foucard, secrétaire fédéral CFE-CGC de la Métallurgie, chargé des questions d’emploi et de formation. Quand on l’a négocié, on pensait aux agents de maîtrise et aux cadres coincés dans leur évolution professionnelle et qui, sans diplôme, ont souvent peur de changer d’entreprise. »

Depuis la promulgation de la loi, quelques accords d’entreprise lui ont accordé une place dans l’arsenal des outils dédiés à l’employabilité. Chez Capgemini, la mobilité externe volontaire sécurisée se retrouve dans l’accord sur le contrat de génération signé en septembre 2013 par toutes les organisations syndicales. « La période de mobilité externe s’étale sur douze mois et nous avons choisi de maintenir la couverture santé et prévoyance sur l’ensemble de la durée de suspension du contrat de travail pour vraiment sécuriser le salarié volontaire », souligne Marc Veyron, le directeur des affaires sociales de Capgemini, qui compte étendre le dispositif à son nouvel accord de GPEC pour ne pas le réserver aux seuls seniors.

Chez PSA Peugeot Citroën, Philippe Dorge, le DRH groupe, et les partenaires sociaux signataires (la CFE-CGC, la CFTC, FO et le GSEA) ont choisi de le glisser dans le nouveau contrat social du constructeur, conclu le 24 octobre 2013. De son côté, la banque Natixis l’abrite plus classiquement dans un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. « La philosophie de notre accord est de fluidifier la gestion des carrières, explique Alain Delouis, le DRH de Natixis. La mobilité externe sécurisée est un dispositif parmi d’autres. Ça n’est pas le pilier principal de notre accord. »

Si le dispositif n’apparaît pas comme une pièce majeure dans la boîte à outils des DRH, plusieurs entreprises ont tenté de créer des systèmes de mobilité externe très proches dans l’esprit, depuis le milieu des années 2000. « Il existe deux grands types de démarche, explique Christian Defélix, directeur de l’IAE de Grenoble et coauteur d’une étude sur la territorialisation de la gestion des ressources humaines pour l’association Entreprise & Personnel. La première consiste à mettre en lien des compétences internes avec des opportunités externes, comme ont pu le faire Schneider ou Peugeot par le passé via des forums emploi où des entreprises recruteuses viennent proposer des postes. Leur objectif était d’augmenter le turnover pour créer un peu d’air au sein de leur entreprise. La seconde est la mise à disposition temporaire de personnel lorsqu’une entreprise passe un cap difficile. »

Organiser des passerelles. C’est sous couvert de projets de GPEC territoriale que des entreprises sont allées le plus loin dans les expériences de mobilité externe sécurisée. « Petit à petit, les grandes entreprises se rendent compte qu’organiser la mobilité de leurs salariés au sein de leurs filiales ne fonctionne pas. Les salariés restent attachés à leur territoire », explique Thierry Uring, délégué général de l’Union des industries métallurgiques, électriques et connexes d’Isère (Udimec). En mai 2007, STMicroelectronics, sous l’impulsion de son ancien DRH Thierry Denjean, a conçu le premier pôle de mobilité régionale (PMR) dans le département de l’Isère.L’idée : réunir, au sein d’une association, plusieurs entreprises d’un même territoire, organiser des passerelles entre elles mais aussi avec des entreprises de ce bassin d’emploi.

Capgemini, H-P, Radiall, Soitec et l’Udimec (600 entreprises locales) adhèrent aujourd’hui au PMR. Les salariés qui souhaitent changer de job présentent leur projet auprès de l’association, qui emploie un consultant spécialisé. Une fois le projet cadré, ils se font connaître auprès de leur manager et de leur RH. Une commission dans laquelle siègent les organisations syndicales signataires des accords de GPEC et les entreprises adhérentes valide ou non les projets. « Tout le monde sait qu’il est plus facile de trouver du travail lorsqu’on est en poste qu’une fois au chômage.Le PMR permet aux salariés de bouger sans passer par la case Pôle emploi », souligne André Granier, délégué syndical central adjoint CFDT chez STMicroelectronics à Crolles. Depuis, le PMR Isère a fait des petits. Neuf entreprises en ont créé un dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur en 2010. On y retrouve STMicroelectronics, mais aussi CMA-CGM, Eurocopter, ArcelorMittal, Spir, Gemalto, Ineos, Ricard, Avenir Telecom. STMicroelectronics est également à l’origine du pôle de mobilité régionale Tours-Rennes et doit en ouvrir bientôt un autre à Paris.

Parallèlement à la création de ces pôles de mobilité, d’autres entreprises se sont lancées dans l’aventure (voir l’encadré page suivante). Chez B2S, Gaëlle Bonnefond, DRH du centre d’appels, s’est rapprochée d’Agefos PME Bourgogne pour mettre sur pied une démarche de mobilité externe sécurisée sur le territoire, avec la bénédiction de la Direccte locale. Parallèlement, elle a créé, avec les partenaires sociaux, un congé d’accompagnement professionnel (CAP), véritable frère jumeau de la mobilité externe volontaire sécurisée. « Ce sont les conclusions d’une expertise sur les risques psychosociaux qui sont à l’origine de ce dispositif, explique-t-elle. Plus on a d’ancienneté, plus le risque d’usure et de frustration est élevé. Dans une structure comme B2S, assez plate, où le turnover est faible, j’avais besoin de trouver un système à la main du salarié qui lui permette de progresser professionnellement. »

Démarches chronophages. Au cours des trois derniers mois, une petite dizaine de salariés ont pu tester le CAP et certains quitter B2S définitivement pour poursuivre leur carrière dans une autre entreprise une fois leur période d’essai validée. En Bourgogne, Agefos PME a reçu une trentaine de salariés du site B2S de Chalon-sur-Saône, agréablement surpris par la nature de l’opération. « Je crois profondément à l’intérêt de cet outil. Il peut être le socle du modèle social vers lequel l’entreprise doit tendre. »

Reste que ces démarches demandent aux entreprises beaucoup d’énergie et de moyens. Pour faciliter les mobilités, le PMR Isère se charge, par exemple, de répertorier des offres d’emploi sur son territoire. Entre janvier et octobre 2013, le pôle a ainsi contacté 510 entreprises dans lesquelles 376 postes ou missions ont été recensés. En Bourgogne, Agefos PME fait le même travail de collecte pour alimenter une bourse d’emplois à laquelle les salariés de B2S sont prioritaires pendant huit jours avant que les offres ne repartent vers les agences de Pôle emploi. Chez Capgemini, adhérent du PMR Isère, Marc Veyron ne souhaite pas adhérer à d’autres pôles de mobilité régionaux pour couvrir ses différents sites français. « Ce type d’association prend du temps. Nous n’avons pas non plus un volume de demandes suffisant pour le justifier. Les seniors sont plus intéressés aujourd’hui par les dispositifs de temps partiel que par la mobilité externe sécurisée. » Pour Gilles Verrier, consultant chez Identité RH, la mobilité externe volontaire sécurisée a ses limites. « Elle met à l’épreuve la relation de confiance entre l’entreprise et son salarié. Le dispositif renforce cette notion de salariés substituables que l’on voit poindre dans de nombreuses entreprises. Et, avec les premiers accords de GPEC, on a le sentiment que l’entreprise doit passer son temps à tout prévoir. Or elle ne peut pas le faire. »

Autre frein au développement du dispositif : la qualité du dialogue entre entreprises d’un même territoire. « Ce dispositif peut être un formidable outil de mobilité sur un bassin d’emploi, indique Jean-François Foucard, à la CFE-CGC Métallurgie. Encore faut-il que les entreprises se parlent, échangent et se fassent confiance. » La bonne santé économique d’un territoire, les tensions sur le marché du travail peuvent ou non inciter les entreprises à s’approprier cette nouvelle forme de mobilité. En Paca, par exemple, les huit entreprises du pôle partagent les postes ouverts et gèrent en priorité les candidatures provenant de ces sociétés. En Isère, l’Udimec a beaucoup œuvré au rapprochement des PME et des grands groupes au sein du PMR. « Ce sont deux mondes qui s’ignorent. Nous devons casser les idées reçues sur les PME où les salariés peuvent aussi s’épanouir professionnellement », note Thierry Uring.

Prêt de main-d’œuvre. Dans les faits, les premières expérimentations ont surtout favorisé le prêt de main-d’œuvre temporaire, mais aussi la création ou la reprise d’entreprise, dans des proportions encore anecdotiques. En Isère, le PMR a reçu, entre 2011 et 2013, 144 appels téléphoniques. Sur les 81 personnes accompagnées dans la période par les consultants du pôle, 21 ont créé leur entreprise, 51 se sont réorientées, 9 en ont profité pour faire valider leur expérience professionnelle. « On voit aussi se développer le dispositif passerelle négocié dans le cadre des accords seniors, observe André Granier (CFDT), chez STMicroelectronics. Il s’agit principalement de détachement de seniors vers des PME-PMI ­locales. C’est un outil qui leur permet de progresser alors que, dans l’entreprise, ils ont le sentiment de stagner. »

Le détachement, sécurisé par un avenant à son contrat de travail, permet au candidat de quitter l’entreprise pendant douze mois tout en gardant sa rémunération et de bénéficier si besoin d’une formation pour bien s’adapter à l’environnement et aux exigences de polyvalence d’une petite entreprise. Les PME bénéficient d’une prime de 3 000 euros par senior détaché. Un financement possible grâce aux conventions de revitalisation du territoire. « Le timing est bon pour ce type de dispositif. La loi nous a fourni un cadre légal. Surtout, les PME et PMI locales buttent toujours sur des pénuries de compétences qu’elles peuvent trouver dans les grandes entreprises », pronostique le délégué général de l’Udimec. Pour amorcer la pompe des mobilités externes sécurisées, Capgemini entend ainsi s’appuyer sur les PME-PMI des bassins d’emploi dans lesquels l’entreprise officie.La SSII devrait organiser dans les prochaines semaines un forum pour permettre à des petites entreprises de se présenter aux salariés du géant de l’informatique.

Alliance dans le bassin lyonnais

C’est l’un des derniers dispositifs interentreprises à avoir vu le jour. Né en 2010, le projet Alliance commence à porter ses fruits. À l’origine, cinq entreprises lyonnaises (Aldes, Bayer, Merck, Merial et Orange) décident de travailler ensemble pour proposer à leurs salariés de nouvelles pistes de développement professionnel. « L’idée était de trouver des solutions innovantes et sécurisées pour développer la mobilité externe des salariés sur un même territoire tout en mettant en place des pratiques de GRH responsables », explique Martine Le Boulaire, directrice du développement de l’association Entreprise & Personnel, qui a accompagné la démarche. Pour orchestrer ce dispositif de GPEC territoriale, les partenaires ont fait appel à la maison de l’emploi et de la formation de Lyon et embauché une chargée de mission.

Depuis, les DRH se sont construit une véritable boîte à outils commune : avec un répertoire des emplois et des compétences et une pyramide des âges partagés, une bourse d’emplois commune ou encore l’identification de passerelles entre les métiers. « La GPEC territoriale est une démarche amie.

Les entreprises ont ouvert leurs frontières afin de construire des parcours de mobilité pour les salariés volontaires », explique Caroline Fabre, chargée de mission pour le dispositif Alliance.

Surtout, Alliance propose différents services aux salariés tentés par la mobilité externe. « C’est souvent par la rencontre que des projets de collaboration se construisent », explique la chargée de mission.

Parallèlement aux missions interentreprises, Alliance met donc en réseau les salariés des entreprises partenaires pour favoriser les échanges de pratiques ou encore leur propose d’expérimenter un métier vers lequel ils souhaiteraient évoluer.

Quatre ans après les premiers pas, le cercle des partenaires Alliance s’est élargi à la société Doméo et, tout récemment, à la mutuelle April. Sur les 9 500 salariés couverts par Alliance, seule une cinquantaine a fait appel aux services proposés.

Auteur

  • A.-C.G.