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Bruno Coquet

Actu | Entretien | publié le : 03.02.2014 | Stéphane Béchaux, Anne-Cécile Geoffroy

Taux de remplacement, règles d’indemnisation, gouvernance… Notre très chère assurance chômage peut faire des progrès. Cet expert les passe au crible.

En quoi le régime d’assurance chômage français se différencie-t-il des autres dans l’OCDE ?

Par son prix.C’est le régime le plus cher du monde ! En France, un salarié, qu’il soit smicard ou cadre sup, consacre un mois de salaire net par an à s’assurer contre le risque de chômage. Soit deux fois plus que la moyenne de l’OCDE.

Comment s’explique cette spécificité ?

Parce que l’État est presque totalement absent de son financement. En 1979, lorsque le système d’assurance chômage était en quasi-faillite, les pouvoirs publics s’étaient engagés à contribuer aux dépenses à hauteur de 30 %. La promesse a été abandonnée en 1984 contre la prise en charge du financement des régimes de solidarité et des préretraites. Avec la création du RMI puis du RSA et la fin des préretraites, l’effort de l’État s’est déplacé et a diminué.Cette situation est très spécifique. Aux États-Unis, où seuls les employeurs cotisent, l’État fédéral finance les extensions de droits au chômage ; en Espagne ou en Belgique, les pouvoirs publics subventionnent le régime ; en Allemagne, les agents publics cotisent, comme tous les salariés.

Serait-il juste de faire contribuer les agents du secteur public ?

En France, comme 70 % seulement des salariés sont affiliés à l’Unedic, on exploite à fond une assiette très étroite. Du coup, le taux de contribution s’avère très élevé et il pèse sur le coût du travail. On devrait donc élargir les ressources, avec un mix entre cotisations et impôts. Faire contribuer les agents du public est une modalité parmi d’autres pour rendre le système plus solidaire. Qu’une subvention d’équilibre soit financée sur base fiscale ou que cette même base fiscale serve à payer des cotisations assises sur la masse salariale publique, c’est équivalent. Cela peut se faire à taux de prélèvements obligatoires et pouvoir d’achat constants.

Notre système est-il généreux ?

Pas plus que celui de nos voisins. Si on regarde uniquement des critères isolés tels que la durée maximale ou le plafond d’indemnisation, on peut conclure que notre régime est philanthrope. Mais c’est faux. Aujourd’hui, 60 % des chômeurs indemnisés ne peuvent pas prétendre à la durée maximale d’indemnisation de vingt-trois mois et l’immense majorité est très loin du plafond. Quand ils arrivent en fin de droits, leurs revenus chutent très brutalement. Ce qui illustre le manque de « solidarité » à leur endroit, c’est-à-dire le faible investissement de l’État.

Où se trouvent les gisements d’économie pour l’Unedic, qui est très endettée ?

La caisse commune, endettée à hauteur de 18 milliards d’euros, abrite trois régimes distincts : celui de droit commun, ceux des intérimaires et des intermittents du spectacle. Sur les vingt-cinq dernières années, le régime général, qui réunit 85 % des allocataires, est excédentaire de plus de 20 milliards d’euros.S’il était géré par une compagnie d’assurances, celle-ci déciderait immédiatement de réduire les contributions. Sauf que la caisse commune abrite deux autres régimes, lourdement déficitaires. Sans les annexes VIII et X portant sur les métiers du spectacle, le régime serait dans le vert. Les intermittents disposent de droits largement supérieurs aux autres, que la solidarité interprofessionnelle ne justifie pas.Une telle subvention à la production devrait relever de l’impôt. Sur le plan de l’éthique et de l’efficacité économique, ce statu quo est véritablement surprenant.

Mais les intérimaires s’avèrent également très coûteux pour l’Unedic…

L’annexe IV dont ils dépendent diffère assez peu du régime général. Leurs conditions d’entrée sont identiques. En revanche, ils bénéficient de règles plus avantageuses pour la consommation des droits et d’un cumul avec une activité réduite illimité dans le temps. Ce qui pose une question de fond : pourquoi mieux assurer un salarié intérimaire qu’un salarié qui enchaîne des CDD de même durée au même salaire ? Il n’y a pas lieu de distinguer les deux ensembles de règles.

La loi sur la sécurisation de l’emploi a introduit une taxation des contrats courts. Est-ce suffisant ?

Cent pour cent de la littérature économique affirme qu’il faut introduire une dose d’experience rating dans les cotisations chômage.De telle sorte que les employeurs soient responsabilisés dans leurs comportements. La mesure va donc dans le bon sens. Mais il faudrait supprimer les effets de seuil et aller plus loin. Par exemple en mettant en place une cotisation dégressive avec l’ancienneté pour l’ensemble des contrats, à statut précaire ou non. Cela favoriserait les CDI et réduirait l’utilisation abusive des CDD.

La dégressivité des allocations, souhaitée par le Medef, favoriserait-elle un retour plus rapide à l’emploi ?

Un tiers des pays de l’OCDE ont mis en place un mécanisme de dégressivité. Grosso modo, un tiers des experts y sont favorables, de façon modérée et à condition de partir d’un taux de remplacement très élevé et d’une durée d’indemnisation très longue. Un autre tiers plaide pour des allocations constantes et le dernier tiers pour des allocations progressives tenant compte, par exemple, de la dégradation du capital humain avec le temps. En France, une étude conduite sur la période 1993-1997, pendant laquelle les indemnités étaient fortement dégressives, montre que le dispositif « aurait ralenti le retour à l’emploi ». Quant aux effets sur les finances du régime, ils s’avèrent ambigus. Sur des bases aussi fragiles, le choix de la dégressivité paraît très risqué !

Faut-il revoir la règle du « un jour d’indemnisation pour un jour d’affiliation » ?

Il faut adapter les droits aux besoins. En période de chômage de masse, les demandeurs d’emploi doivent pouvoir bénéficier d’une indemnisation plus longue qu’en période de quasi-plein-emploi. On pourrait introduire des règles qui permettent d’adapter automatiquement les droits à la conjoncture, sans renégocier à chaque fois la convention Unedic. Par exemple, à 10 % de chômage, un jour d’affiliation vaut un jour d’indemnisation. Mais à 11 %, on passe à 1,1 jour d’allocation pour une durée de cotisation similaire. Inversement, à 9 % de chômage, le taux de conversion passerait à 0,9.

Mais comment faire des économies ?

Sur le taux de remplacement, où la déperdition est très forte. Le régime opère une redistribution entre chômeurs pauvres et chômeurs riches, dont les allocations varient de 57,4 % à 75 % du salaire journalier de référence.Or ce n’est pas le rôle d’un régime d’assurance chômage. Si certains demandeurs d’emploi ont des revenus trop faibles, c’est à l’État qu’il incombe de les compléter. Par ailleurs, personne ne semble s’intéresser au calcul du salaire journalier de référence. Or celui-ci implique que l’on remplace des revenus journaliers, et non des revenus mensuels moyens. Ce qui donne des résultats très différents dans un marché du travail où les contrats courts sont très nombreux.Résultat, certains chômeurs, qui travaillent de façon épisodique, peuvent toucher plus en allocations que ce qu’ils percevaient, en moyenne chaque mois, avant d’être indemnisés. C’est une incitation catastrophique ! Mais, pour le voir, il faut explorer le règlement très en détail.

Faut-il revoir la gouvernance du régime ?

À l’heure de prendre des décisions stratégiques, les négociateurs sont quasiment dépourvus d’analyses.Il n’existe en effet aucun lieu, à l’image du COR en matière de retraite, pour construire des connaissances et du consensus dans un climat apaisé. Pourquoi ne pas mettre en place un conseil d’orientation de l’assurance chômage ? Cela permettrait aux partenaires sociaux d’échanger sur les besoins et les problèmes que rencontre le régime. Et, ainsi, d’éviter d’avoir à se replier, par défaut et au dernier moment, sur des a priori et des solutions toutes faites, souvent inadaptées.

Les négociateurs peuvent-ils s’appuyer sur des travaux de recherche solides ?

La littérature académique de ces quarante dernières années n’est pas très riche. En moyenne, on recense 10 à 15 études par an, pour l’essentiel consacrées aux États-Unis. Surtout, ces dernières se concentrent sur les questions de générosité supposée du système, de durée d’indemnisation, de risques d’abus. Les études qui cherchent à évaluer l’objectif premier de l’assurance chômage – c’est-à-dire stabiliser le niveau de consommation des chômeurs – se comptent, elles, sur les doigts d’une main.

ÉCONOMISTE, EXPERT DE L’ASSURANCE CHÔMAGE, BRUNO COQUET A TRAVAILLÉ EN ENTREPRISES, DANS L’ADMINISTRATION ET À L’OFCE.

IL A ÉGALEMENT PRÉSIDÉ LE COMITÉ DE L’EMPLOI DE L’UNION EUROPÉENNE. AUTEUR DE L’ASSURANCE CHÔMAGE, UNE POLITIQUE MALMENÉE (ED. L’HARMATTAN), IL VIENT AUSSI DE RÉDIGER UN RAPPORT POUR L’INSTITUT DE L’ENTREPRISE INTITULÉ ASSURANCE CHÔMAGE : SIX ENJEUX POUR UNE NÉGOCIATION.

Auteur

  • Stéphane Béchaux, Anne-Cécile Geoffroy