logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

Faut-il supprimer les élections prud’homales ?

Idées | Débat | publié le : 31.12.2013 |

C’en est fini des élections qui désignaient, en principe tous les cinq ans, les 14 500 conseillers prud’homaux. Une conséquence directe de la réforme de la représentativité de 2008, qui permet de mesurer différemment l’audience des organisations syndicales et, bientôt, patronales.

Jean-François Merle Ancien conseiller d’État en service extraordinaire, président du CSP*.

Depuis la remise, en avril 2010, du rapport de Jacky Richard et d’Alexandre Pascal sur le mode de désignation des conseillers prud’homaux, les pouvoirs publics se sont bornés, dans la loi du 15 octobre 2010, à proroger jusqu’au 31 décembre 2015 le mandat des élus actuels, au point que l’on pouvait se demander, le temps passant et en l’absence de réforme, s’il y avait une autre solution que d’organiser les ­élections en 2015 selon les mêmes modalités qu’en 2008. Le gouvernement vient de faire mouvement en prévoyant de demander au Parlement une habilitation à réformer par ordonnance le mode de désignation des conseillers prud’homaux. Parmi les trois scénarios proposés par le rapport Richard, le gouvernement a choisi celui qui procède d’une sorte de renversement copernicien : les élections prud’homales constituaient une part importante de la mesure de l’audience des organisations syndicales ; c’est désormais la mesure de l’audience qui va permettre de désigner les conseillers prud’homaux. Si le principe est relativement simple à énoncer, les questions juridiques que le gouvernement devra résoudre sont redoutables. Comment concilier la désignation des juges sur la proposition d’organisations professionnelles, patronales ou syndicales avec le principe constitutionnel d’égal accès des citoyens aux charges publiques, ce que permettait l’élection, ou encore avec le principe posé par l’article 6-1 de la Convention européenne de sau­ve­garde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sur l’impartialité du juge ? Comment des juges ayant les mêmes fonctions peuvent-ils être désignés selon des modalités différentes si la mesure de l’audience des organisations d’employeurs se fait de manière différente de celle prévue par la loi de juillet 2010 pour les organisations de salariés ? Enfin, comment organiser l’articulation de la présentation des candidats par des organisations professionnelles avec la désignation des conseillers prud’homaux par une autorité publique ? On mesure ainsi que, parmi les pistes de réforme ouvertes par le rapport Richard, celle-ci ne débouche pas pour autant sur un paysage clair, radieux et ordonné… La ­décision a été arrêtée et le principe retenu : mais, parce que le diable se niche dans les détails, le plus dur reste à écrire.

Jean-Denis Combrexelle Directeur général du Travail.

Avant de poser la question des élections prud’homales, il faut se poser celle de la place de la justice prud’homale dans la régulation des relations de travail. Elle repose sur un principe simple et, à mon sens, incontestable. La relation de travail, par sa spécificité, par sa complexité, par sa particularité implique un juge qui ait l’expérience concrète et pratique de cette relation tant du côté des salariés que du côté des employeurs. Depuis 1979, un des piliers de cette légitimité est l’élection des membres de cette juridiction paritaire. Les élections prud’homales étaient la seule consultation organisée au niveau national qui constituait le thermomètre régulier de l’audience des syndicats. Depuis la réforme de la représentativité syndicale issue de la position commune et de la loi du 20 août 2008, cette audience et la représentativité qui va de pair sont mesurées sur d’autres bases, à savoir les élections des délégués du personnel et aux comités d’entreprise avec une élection spécifique pour les TPE.

Non sans paradoxe, l’élection destinée initialement à légitimer la justice prud’homale peut contribuer à l’affaiblir, eu égard au déclin du taux de participation. Dans le collège salariés, ce taux a été de 63,03 % en 1979 et de 25,48 % en 2008. Pour ces dernières élections, un effort sans précédent a été fait, les coûts directs s’étaient élevés à plus de 90 millions d’euros, les syndicats ont disposé de moyens propres de propagande, les procédures d’établissement des listes ont été améliorées et simplifiées et une expérimentation sur le vote électronique a été menée à Paris. Le risque est donc que l’on parvienne de moins en moins à mobiliser les électeurs et que le taux de participation continue de baisser. On peut aussi remarquer que les organisations syndicales et professionnelles ont de plus en plus de difficultés à constituer des listes complètes de candidats. Ce constat a conduit à envisager de fonder la désignation des conseillers prud’homaux sur la base des résultats de la mesure de l’audience obtenus dans le cadre de la réforme de la représentativité syndicale et, à terme, de la réforme de la représentativité patronale en cours. Loin d’être une remise en cause de l’institution prud’homale, c’est une réforme visant à la conforter en prenant en compte le changement de donne en matière de représentativité.

Jean-Pierre Gabriel Responsable confédéral droits, libertés et actions juridiques à la CGT.

La possibilité d’agir devant le conseil de prud’hommes est partie intégrante des garanties collectives qu’ont les salariés pour faire respecter leurs droits. Deux cent mille affaires sont traitées chaque année, 98 % sont à l’initiative des salariés. Les conseillers prud’homaux sont donc une force inestimable pour les salariés qui veulent obtenir réparation d’un préjudice. Leur légitimité ne peut être garantie que par l’élection au suffrage universel. Rappelons que les femmes ont acquis le droit de vote aux élections prud’homales en 1907, bien avant qu’elles ne votent aux élections politiques en 1945 ! C’est dans ce contexte qu’il faut analyser la volonté du gouvernement de supprimer les élections prud’homales. Pour le ministre du Travail, la désignation des conseillers prud’homaux à partir de la représentativité issue de la loi de 2008 réglerait le problème de l’abstention. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 4,8 millions de votants aux prud’hommes en 2008 ; 5,4 millions avec la représentativité 2013. La représentativité actuelle ne réglerait donc rien en termes de participation. De plus, elle exclut 5 millions de salariés qui n’ont pu voter et les chômeurs qui ne pourraient plus voter ! Sans parler du scandale de la représentativité des employeurs qui se ferait uniquement sur le nombre d’adhérents ! Ainsi, un employeur, tout en ne respectant pas l’élection des IRP dans son entreprise, pourrait être désigné conseiller prud’homal uniquement en adhérant au Medef. La règle de légalité du suffrage, prévue à l’article 3 de la Constitution, s’oppose à cette mascarade démocratique !

Les élections coûteraient 91 millions d’euros tous les cinq ans ? La réalité est qu’en deux élections, entre 2002 et 2015, l’économie est de 182 millions en treize ans et non en dix ! Une goutte d’eau au regard des 22 milliards accordés au patronat pour faciliter les licenciements des salariés. Rien ne peut justifier que l’on sacrifie une élection démocratique qui concerne 19 millions de personnes au prétexte de faire des économies ! La solution : il faut engager sans at­tendre le processus d’organisation des élections pour 2015 et travailler au sein du Conseil supérieur de la prud’homie pour une meilleure participation des salariés. La CGT a des propositions : voter dans l’entreprise en lien avec les IRP, simplifier les listes, accorder un congé à tous les salariés qui iront voter, etc.

* Cette tribune est une expression professionnelle qui n’engage pas le CSP (Conseil supérieur de la prud’homie).

CE QU’IL FAUT RETENIR

Le ministre du Travail a informé les partenaires sociaux, mi-novembre, de son intention de supprimer les élections prud’homales qui devaient avoir lieu en 2015 et de les remplacer par un mode de désignation des conseillers prud’homaux fondé sur l’audience nationale des organisations patronales et syndicales.

Un article du grand projet de loi présenté le 22 janvier en Conseil des ministres autorisera le gouvernement à changer ce mode de désignation par voie d’ordonnance.

Dans un rapport remis en avril 2010, le conseiller d’État Jacky Richard avait proposé trois scénarios pour la désignation des conseillers prud’homaux, préconisant leur élection par un collège restreint composé des quelque 300 000 délégués du personnel et de délégués représentant les TPE.

REPÈRES

25,63 %

C’est le taux de participation, toutes sections confondues, lors des élections prud’homales du 3 décembre 2008.

1979

Les juges des conseils de prud’hommes sont élus tous les cinq ans depuis cette date.

33,98 %

C’est le score obtenu par la CGT en 2008, devant la CFDT (21,81 %) et FO (15,81 %).