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Un chantier toujours en cours

Dossier | publié le : 02.12.2013 | Valérie Devillechabrolle, Cécile Almendros

Le gouvernement Ayrault prépare une réorganisation des régimes qui apporte des avancées sur l’égalité entre hommes et femmes ou la coordination interrégimes, mais pas grand-chose sur le déficit du système par répartition.

Réformette » pour les uns, « non-réforme » ou « petite réforme » pour les autres : depuis sa présentation fin août par Jean-Marc Ayrault, la première réforme des retraites d’un gouvernement de gauche cumule les qualificatifs méprisants au motif qu’« elle ne règle en rien la question du déficit structurel du système par répartition », selon Arnaud Robinet, député (UMP) de la Marne et spécialiste des retraites à la commission des Affaires sociales. De fait, alors que le gouvernement se donnait initialement pour objectif de combler un déficit évalué à 21 milliards d’euros en 2020, le projet de loi censé « garantir l’avenir des retraites » se contente d’injecter à cet horizon 6,2 milliards d’euros dans les régimes de base sous forme de hausse des cotisations et d’économiser près de 2 milliards d’euros principalement sur le dos des retraités. Autrement dit, cingle l’opposition, « il ne traite qu’un tiers du problème ». Au risque, d’ailleurs, de s’attirer les foudres de la Commission européenne, qui aurait aimé une réforme plus ambitieuse sur le report de l’âge légal de départ notamment.

La rue ne s’y est d’ailleurs pas trompée : seules 155 000 à 360 000 personnes ont défilé, le 10 septembre, à l’appel des quatre syndicats (CGT, FO, FSU et Solidaires) opposés, entre autres, à l’allongement de la durée d’assurance à quarante-trois ans en 2035… Soit dix fois moins qu’en 2010. Mais « l’importance d’une réforme ne se mesure pas à son caractère anxiogène ou au nombre de manifestants », a beau jeu de souligner le député socialiste de l’Ardèche Pascal Terrasse. Car, sous ses apparences trompeuses, la réforme Ayrault est loin d’être aussi anodine. Surtout, elle ne va pas s’achever avec le vote définitif du texte au Parlement. L’encre de la loi sera à peine sèche que d’autres régimes vont ainsi devoir prendre le relais pour résoudre l’équation de leur propre déficit. À commencer par celui des retraites complémentaires des salariés, géré par les partenaires sociaux. Si certains d’entre eux espéraient voir la réforme générale leur offrir, comme en 2010, un ballon d’oxygène, il n’en a rien été : « Aucun des leviers de la réforme gouvernementale n’a d’impact positif immédiat sur l’équilibre des régimes complémentaires. Pis, l’octroi de deux trimestres supplémentaires validés au titre du chômage va encore alourdir la facture des carrières longues pour l’Agirc-Arrco, qui s’élève déjà à 10 milliards d’euros depuis leur création en 2003 », fulmine Philippe Pihet, vice­président (FO) de l’Arrco.

Paramètres sensibles ! Alors que le déficit cumulé des deux régimes devrait, selon les dernières projections de juillet, s’élever, hors produits financiers, à plus de 6 milliards d’euros en 2014, dont 2,6 milliards d’euros au titre de l’Agirc, patronat et syndicats vont donc devoir revenir rapidement à la table de négociations. Mais avec, cette fois, un handicap supplémentaire : si un accord sur une nouvelle hausse des cotisations ou une baisse des pensions semble d’ores et déjà hors d’atteinte, les autres paramètres sont tous politiquement sensibles ! Qu’il s’agisse de l’âge de départ sans abattement (AGFF), de la réforme des pensions de réversion ou encore de la clarification de la notion de cadres. Quant à une éventuelle fusion entre l’Agirc et l’Arrco, elle n’engendrerait, selon le chiffrage réalisé pour la Cour des comptes, qu’entre 89 et 132 milliards d’euros d’économies pour les régimes. Autant dire une goutte d’eau !

De son côté, vu la pression qu’exerce Bruxelles sur la réduction des déficits, le gouvernement ne va pas pouvoir continuer à « faire l’impasse sur le déséquilibre des régimes spéciaux (7,9 milliards d’euros en 2020, après réforme) en prétendant qu’il sera comblé par la baisse des autres dépenses publiques sans préciser lesquelles », insiste l’économiste de l’OFCE Henri Sterdyniak. « Il faudra clarifier les choses », admettait aussi, mi-septembre devant l’Ajis, Yannick Moreau, la présidente de la Commission pour l’avenir des retraites, sachant qu’une part importante de leur déséquilibre résulte, en réalité, de la baisse accélérée du nombre de leurs cotisants et devrait en principe relever de la compensation démographique interrégimes.

Mais cette réforme oblige aussi à accélérer d’autres réflexions en cours. À commencer par celle sur le financement de la branche famille. Le ministre des Finances s’étant engagé à compenser la hausse de 0,3 % de la cotisation d’assurance vieillesse du patronat par une baisse équivalente de la contribution patronale familiale, la question du financement de ces prestations redevient brûlante. Et si Bercy a temporisé sur 2014 en compensant le manque à gagner pour la Cnaf par une dotation budgétaire, rien n’est dit sur 2015. La remise du rapport final du Haut Conseil du financement de la protection sociale, prévu à la fin de l’année, devrait donc relancer le débat.

En dehors de la création du compte pénibilité (voir page 56), l’autre sujet boosté par la réforme des retraites est celui de la lutte contre les inégalités salariales entre les hommes et les femmes. Après avoir renoncé à réformer dans l’immédiat les majorations de pension attribuées aux parents de trois enfants – ce qui aurait conduit à pénaliser de façon importante ces foyers, pour un supplément de pension marginal pour les mères évalué à 15 euros par mois et par enfant –, « la majorité va se battre pour permettre aux femmes d’acquérir des droits propres, via une égalité salariale accrue et la diminution des petits temps partiels », promet Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes à l’Assemblée nationale. Non seulement ces critères feront désormais partie de la batterie d’indicateurs suivis par le nouveau comité de pilotage des retraites, mais on peut compter sur la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, pour aiguillonner la mise en œuvre des sanctions prévues par la loi de 2010 sur l’égalité professionnelle : « De deux mises en demeure adressées en juin 2012, nous sommes passés à 400 aujourd’hui, et 2 700 accords ou plans de rattrapage ont été déposés », se félicitait-elle fin octobre lors de la conférence sur « les retraites au féminin » organisée par la CFTC. En attendant l’examen de sa réforme du congé parental, prévu mi-janvier à l’Assemblée, censée faciliter l’articulation entre vies familiale et professionnelle.

Comité de suivi des retraites. Mais cette réforme des retraites est aussi « structurante », selon Yannick Moreau, parce qu’« elle pose les bases d’un ajustement permanent » du système des retraites par répartition. D’un point de vue politique, ce projet de loi consacre en effet, souligne-t-elle, la capacité d’un gouvernement de gauche à « s’inscrire dans la continuité des réformes précédentes ». Que ce soit en poursuivant au-delà de 2020 le rythme d’allongement de la durée d’assurance imposé par la loi Fillon de 2003 ou en ne remettant pas en cause le report des bornes d’âge de 2010. D’un point de vue plus technique, « technocratique », fustige-t-on à la CGT, la réforme de 2013 introduit l’idée d’un pilotage annuel des régimes, avec la création de ce « comité de suivi des retraites ». Composé de cinq experts, celui-ci émettra, au 15 juillet, un avis annuel visant à corriger les éventuels écarts en termes de soutenabilité financière, de maintien du niveau de vie des retraités, de taux de remplacement ou encore de taux d’emploi des seniors et des jeunes. Surtout, le champ de ses éventuelles recommandations est très large et porte tout à la fois sur l’évolution de la durée d’assurance « au regard de l’espérance de vie en bonne santé », le taux de cotisation des « régimes de base et complémentaires », les mesures de solidarité au sein des régimes et les ressources complémentaires à y affecter.

À charge pour le gouvernement d’engager une concertation avec les partenaires sociaux sur la nécessité de reprendre ou non ces préconisations, quitte à devoir s’en expliquer devant le Parlement. De plus, si ce pilotage tend, comme le regrette Henri Sterdyniak, à « passer sous silence la question des régimes spéciaux », le régime des pensions des fonctionnaires devrait dorénavant faire au moins l’objet d’un « débat annuel avec les syndicats ».

Coordination interrégimes. Enfin, en posant le principe de la création d’ici à 2017 d’un « compte individuel en ligne » pour tous les affiliés, alimenté par un Répertoire de gestion des carrières étendu aux régimes complémentaires, d’une « demande unique de retraite préremplie » et d’un paiement unifié des pensions versées par les régimes de base alignés (Cnav, RSI, MSA), la réforme va contraindre l’ensemble de ces organismes à davantage coordonner leurs systèmes d’information. Tout en facilitant la vie des 43 % de polypensionnés relevant des seuls régimes alignés, « la réforme pose ainsi la première brique d’un véritable système d’information retraite interrégimes », se félicite un observateur averti. Dans la perspective de ce changement de paradigme mais aussi du déploiement, à partir du 1er juillet 2015, de la nouvelle déclaration sociale nominative dématérialisée, l’Agirc-Arrco vient, de son côté, d’engager la réflexion en vue de simplifier ses propres relations avec les entreprises. Notamment pour éviter les doubles affiliations et faciliter les changements de domiciliation. Une façon, aussi, de prendre les devants par rapport à un éventuel recouvrement unique des cotisations sous l’égide des Urssaf.

Mis bout à bout, et sous réserve d’une mise en œuvre qui ne se fera sans doute pas sans à-coups, ces éléments tendent plutôt à ériger la « réformette » vilipendée par l’opposition en « réforme systémique tranquille ». Au grand dam des syndicats contestataires qui, à défaut d’être dupes, n’ont pas réussi à freiner le mouvement.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle, Cécile Almendros